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« Nous avons rencontré l’ennemi, et c’est nous ». Cette célèbre citation de la bande dessinée Pogo décrit bien le dilemme du logement au Canada. 

Le principal défi reste l’incapacité de l’offre de logements, publics ou privés, de répondre à la demande. La remarquable hausse démographique du Canada, alimentée par l’immigration permanente et temporaire, a amplifié le déséquilibre.  

Dans le passé, y compris durant la période du baby-boom, l’offre de logements a largement suivi la demande. Pourquoi plus maintenant? 

Certains montrent le retrait du gouvernement fédéral des politiques de logement subventionné pendant les années Mulroney. C’est vrai, mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Le logement social n’a jamais représenté plus de 10 à 15 % de l’offre locale de logements 

Cela nous ramène à une question simple : pourquoi ne construit-on pas plus de logements là où on en a besoin? Une partie de la réponse tient au fait que nous sommes devenus plus riches et plus exigeants. Nous sommes également une nation éminemment démocratique, respectueuse des préoccupations de nos citoyens. Mais ce respect se trouve souvent en conflit avec l’objectif de construction de nouveaux logements. 

Le défi fondamental des élus municipaux est de gagner l’adhésion des citoyens aux politiques nécessaires; à savoir, le besoin pour de nouvelles constructions, souvent dans leur voisinage. Mais avant de voir comment y parvenir, il faut mieux cerner le problème. 

Ce qui se passe à côté me concerne 

Le logement est différent des autres biens. Si mon voisin s’achète un nouveau téléviseur, cela n’affectera pas ma perception de mon bien-être. La construction d’un immeuble en hauteur à côté de chez moi est une autre affaire. 

Le logement est indissociable de son environnement, d’où les plans d’urbanisme. Presque toutes les sociétés occidentales ont introduit une forme ou autre de zonage au cours du XXe siècle. Personne ne veut une usine pétrochimique ou une carrière dans son voisinage. Cependant, le zonage a rapidement dépassé la protection contre des nuisances de ce genre.  

Nous voyons le résultat aujourd’hui : la plupart, voire la majorité, du territoire urbanisé, notamment en banlieue, est zonée pour des maisons individuelles avec jardin, garage et piscine – le rêve canadien. La conséquence : une offre réduite de logements; c’est-à-dire, un nombre limité de logements pouvant être construits par kilomètre carré. 

C’est parfaitement normal que des citoyens veuillent pouvoir se prononcer sur ce qui se construit autour d’eux. C’est pour cela que des gouvernements locaux existent. C’est aussi notre point d’entrée au concept de NIMBY – « Not In My Back Yard » ou « pas dans ma cour » –, devenu synonyme d’obstructionnisme urbain. 

Le combat no 1 des NIMBY : « Ce n’est pas dans mon intérêt » 

La géographie résidentielle des villes canadiennes est aujourd’hui largement fixée. Il est facile, avec le recul, de critiquer les plans de zonage. Il est tout aussi facile de déplorer l’égoïsme des propriétaires riverains qui empêchent la construction de nouveaux logements. Pourtant, nous sommes tous potentiellement des « pas dans ma cour ».  

Nous n’avons individuellement aucun intérêt, pour la plupart d’entre nous, à voir une tour résidentielle s’élever à côté de chez soi. C’est le cœur du problème. Mais la force des NIMBY ne s’arrête pas là. Aux motivations individualistes s’ajoutent les groupes communautaires et les demandes de participation citoyenne, qui se complètent, les uns renforçant les autres. 

En juillet dernier, 26 personnes ont signé un registre dans l’arrondissement de Pierrefonds-Roxboro, en banlieue de Montréal. C’était le nombre requis pour déclencher un référendum et bloquer ainsi la construction d’un immeuble résidentiel de six étages. La question n’est pas de savoir si le nombre de 26 est raisonnable, mais plutôt comment les référendums locaux doivent être vus. S’agit-il d’instruments nécessaires de démocratie locale ou d’outils d’obstruction surutilisés ? 

En 2017, le gouvernement québécois a adopté une loi habilitant les municipalités à abroger le droit aux référendums locaux, à condition qu’ils soient remplacés par un processus de consultation non contraignant. Presque aucune ville, y compris Montréal, ne s’est prévalue de cette option. Ça se comprend : quel maire voudrait être perçu comme celui qui a retiré le droit de ses concitoyens à se prononcer sur des projets majeurs ? 

Une nouvelle loi québécoise, adoptée cette année, soustrait certains projets aux référendums – dont ceux à plus grande hauteur ou réduisant le nombre de places de stationnement – pour les remplacer par un processus de consultation écrite. Comme on pouvait s’y attendre, la loi a été dénoncée comme une attaque contre la participation citoyenne 

Les référendums et consultations ne sont en bout de compte que le reflet du véritable obstacle : la volonté populaire. Les permis de construction sont délivrés par les municipalités. Les décisions reflètent les préférences populaires.  

L’an dernier, la municipalité de Pointe-Claire, près de Montréal, a mis sur la glace un projet résidentiel de deux immeubles résidentiels de 25 étages et d’un autre de 20 étages destinés aux ainés, devant être construits sur le terrain de stationnement d’un centre commercial à proximité d’une future station de train léger. Un projet idéal : aucun espace vert sacrifié, du transport en commun à proximité, et bon en plus pour les personnes âgées.  

Pourtant, le projet reste bloqué. Pourquoi? Parce que, selon le maire de Pointe-Claire, récemment élu sur un programme anti-densification, c’est ce que les citoyens veulent : « Ma vision est la vision des citoyens, c’est aussi simple que cela […]. Les gens veulent une banlieue, pas un centre-ville ».  

C’est pourquoi, après tout, ils ont choisi d’y vivre. Donc, nul besoin de consultation ou de référendum. Mais à quoi s’attendre d’autre, diraient certains, d’une municipalité riche de banlieue? 

Cependant, associer les NIMBY surtout à des banlieusards aisés serait une erreur. Passons alors à Hochelaga-Maisonneuve, un quartier traditionnellement ouvrier à l’est du centre-ville de Montréal. 

Vue aérienne des rues du quartier avec le fleuve Saint-Laurent au loin. Le quartier est caractérisé par des maisons en rangée et des plex en brique de trois et quatre étages, avec des arbres matures le long de la plupart des rues.
Le quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal. LA PRESE CANADIENNE Mario Beauregard

Le combat no 2 des NIMBY : « Défendre la communauté » 

Un promoteur propose actuellement la construction d’un immeuble de 10 étages et quelque 1000 logements au coût de 350 millions $ dans Hochelaga-Maisonneuve. Le projet a, à priori, a tout pour plaire, dont l’inclusion de logements sociaux, des espaces verts et des installations communautaires.  

Pourtant, un groupe communautaire local s’oppose au projet en invoquant la « gentrification », un épouvantail classique. Dit crûment, si les riches ne veulent pas des pauvres près de chez eux (sous prétexte qu’ils vont faire baisser les prix), les pauvres ne veulent plus pas des riches (sous prétexte qu’ils vont faire monter les prix). Le résultat final est le même : moins de logements construits.  

Les opposants dans Hochelaga-Maisonneuve craignent également que l’immeuble prévu ne bloque le soleil, accroisse la circulation et, de façon générale, nuise à la vie de quartier – des préoccupations fréquentes et pas forcément sans valeur. Le projet reste soumis à une éventuelle initiative référendaire. Au moment d’écrire ces lignes, nous ne savons toujours pas s’il verra le jour. 

L’aversion envers les tours est également un facteur dans le bras de fer qui oppose actuellement la Ville de Montréal aux promoteurs dans le cadre du plan de réaménagement du quartier Peel-Bonaventure près du Vieux-Port – le plus grand projet résidentiel actuellement à l’étude à Montréal.  

Le plan du promoteur prévoit un projet de plusieurs tours de 20 à 40 étages comprenant 9500 logements. La Ville favorise un projet plus modeste et moins haut de 7500 logements, en invoquant la nécessité de maintenir des constructions à une « échelle humaine » – concept louable, mais difficile à définir objectivement.  

Ce qu’il faut retenir de tous ces exemples, ce n’est pas si les projets proposés finissent ou non par se faire, mais que les processus d’approbation deviennent, presque partout, de plus en plus longs et onéreux. 

Tous les promoteurs ne disposent pas des ressources en temps et en argent nécessaires pour aller du point A au point B, sans l’assurance qu’ils l’atteindront un jour. Plusieurs vont tout simplement s’abstenir. Les « pas dans ma cour » n’ont pas besoin de réussir pour bloquer la construction neuve; la simple menace suffit.  

La démocratie locale peut-elle être mise au service du logement? 

Mais simplement diaboliser les NIMBY n’est pas très utile. Ils remplissent parfois une fonction nécessaire et les préoccupations exprimées par les opposants sont souvent légitimes. Les consultations publiques peuvent améliorer le projet final. Est-il possible de contrer l’obstructionnisme des NIMBY tout en gardant les avantages de la participation citoyenne?  

La Colombie-Britannique et l’Ontario ont récemment adopté des lois visant à stimuler la construction de nouveaux logements. Toutes deux contiennent de nombreuses mesures positives (par exemple, l’assouplissement des contraintes à la construction). Cependant, elles passent à côté de la question de participation citoyenne en adoptant une approche « carotte et bâton », qui ne sera pas forcément bien reçue localement.  

Le projet de loi 43 de la Colombie-Britannique, à titre d’exemple, donne au ministre le pouvoir passer outre les règlements et permis municipaux. Il reste à voir dans quelle mesure ces pouvoirs seront effectivement utilisés, étant donné qu’ils peuvent avoir un coût politique.  

La loi ontarienne, elle, fixe des cibles en matière de logement à construire pour les principales villes de la province avec un fonds pour récompenser celles qui atteignent les objectifs. Elle confère aussi à certains maires des pouvoirs supplémentaires pour mettre en œuvre les mesures nécessaires. Là encore, on peut se demander si les carottes promises aux villes seront suffisantes pour convaincre les opposants. Après tout, les maires veulent être réélus. 

Mettre les citoyens au cœur des projets 

Pourquoi ne pas alors anticiper les objections de type « pas dans ma cour » en mettant la participation citoyenne en amont du processus, grâce aux technologies modernes de l’information et de cartographie interactive? 

Cela pourrait ressembler à une variante du plan ontarien, mais où ce sont les municipalités – et non la province – qui établiraient les cibles de logement. Toutefois, la somme totale des cibles municipales devrait être cohérente avec la cible provinciale. Sinon, les municipalités seraient invitées à refaire leurs devoirs.  

Au Québec, l’obligation pourrait s’appliquer à toutes les villes faisant partie d’une région métropolitaine de recensement (RMR) ainsi que des villes de plus de 25 000 habitants. Faisons de l’atteinte des cibles de construction un objet de fierté locale. D’ailleurs, pourquoi ne pas envisager une compétition à la grandeur de la province, en récompensant les municipalités les plus performantes, comme en Ontario? 

Les cibles de logement à construire seraient fixées à la suite d’un processus de consultation citoyenne. Chaque résident aurait accès via l’internet à des cartes et à des données statistiques pour son quartier, à l’aide d’une application conçue à cette fin et fournie aux municipalités par la province. Ils seraient appelés à identifier les sites potentiels de construction de nouveaux logements et à se prononcer sur la hauteur des bâtiments et les cibles de logements sociaux.  

Sur ce dernier point, les citoyens auraient des informations sur le financement disponible pour le logement social, afin d’éviter des attentes irréalistes. Le résultat des consultations serait rendu public, accompagné de cartes avec des objectifs de hauteur et de densité. 

Le choix final reviendra aux conseils municipaux, via des règlements de zonage. Les zones ainsi identifiées seraient exemptées de référendums et de certaines obligations réglementaires. 

Toutefois, les citoyens concernés pourraient continuer à s’exprimer par le biais de consultations non contraignantes limitées dans le temps, notamment sur les aspects architecturaux des projets proposés. La carotte provinciale et/ou fédérale prendrait la forme, le cas échéant, d’accords de financement d’infrastructures pour les grands projets approuvés.   

Chaque ville serait différente. Comme toujours, le diable se cache dans les détails. Toutefois, le résultat le plus utile d’une telle démarche qui coopterait des NIMBY serait, espérons-le, une meilleure compréhension par la population des choix et des compromis à faire si l’on veut vraiment venir à bout de la crise du logement au Canada. 

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Mario Polèse
Mario Polèse est professeur émérite à l’Institut national de la recherche scientifique, à Montréal. Il a écrit abondamment sur l’économie urbaine et le développement régional. Ses livres les plus récents sont The Wealth and Poverty of Cities: Why Nations Matter (Presse de l’Université Oxford) et Le miracle québécois (Boréal).

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