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Les gouvernements disposent de plusieurs options pour stabiliser les loyers. Ils peuvent éliminer le profit de l’équation, réguler le marché pour que les hausses ne dépassent pas l’inflation ou encore donner des incitations au secteur privé en espérant qu’un nombre suffisant de nouvelles constructions fera baisser les coûts pour les locataires.
La dernière approche est coûteuse, et elle est la moins susceptible de réussir. C’est pourtant celle que le gouvernement fédéral a choisie, une fois de plus.
S’appuyer sur les promoteurs privés est une tradition bien établie au Canada. L’historien John C. Bacher a montré comment les gouvernements canadiens ont expérimenté sans enthousiasme, tout au long du XXe siècle, certains des modèles non lucratifs mis en œuvre avec succès en Europe, mais en préférant toujours les incitations en faveur des promoteurs privés.
En conséquence, la part des logements non lucratifs au Canada est de 4 %, soit l’une des plus faibles parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Le géographe urbain Alan Walks et ses collègues de l’Université de Toronto soutiennent que le gouvernement fédéral a été plus impliqué dans la garantie de prêts hypothécaires que ceux d’autres pays.
La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), l’agence nationale du logement, a ouvert la voie aux titres adossés à des créances hypothécaires. Dans d’autres pays, ce sont des institutions financières privées qui ont assumé ces risques. Cela explique en partie pourquoi le Canada a été l’un des rares pays à ne pas avoir connu de faillites bancaires lors de la crise financière de 2008.
Les politiques actuelles en matière de logement continuent de favoriser le libre marché, malgré des résultats incertains.
La stratégie nationale sur logement (SNL), adoptée en 2017, met l’accent sur l’octroi de prêts bon marché aux investisseurs privés. En contrepartie, les propriétaires louent une partie des logements nouvellement construits en accordant un rabais – généralement une réduction de 20 % par rapport à la moyenne des loyers – pour une durée limitée de 10 à 20 ans.
Cela n’a pas très bien fonctionné. Les prêts au rabais n’ont pas permis de stimuler de façon importante la construction de logements locatifs, et les logements à loyer réduits sont encore trop coûteux.
Une étude commandée par le Conseil national du logement a révélé que seulement 19 % des logements financés par les prêts escomptés sont abordables pour les ménages à revenus modestes. Et que 3 % sont à la portée des ménages à faibles revenus.
Nous avons maintenant un nouveau ministre fédéral du Logement, Sean Fraser, mais l’approche du gouvernement en matière de politique publique reste fondamentalement la même.
Au lieu de baisser la TPS
Jusqu’à présent, le principal axe de la politique de M. Fraser a consisté à doubler les mesures incitatives en faveur du secteur privé. En septembre, il a annoncé un rabais de TPS sur la construction d’appartements au coût de 4,6 milliards $ pour le trésor public sur six ans, soit 770 millions $ par année. Ce montant est nettement supérieur aux investissements actuels dans le logement non lucratif.
Un rapport du directeur parlementaire du budget publié au début de 2023 indique qu’un investissement unique de 1,5 milliard $ dans l’initiative gouvernementale pour la création rapide de logements permettrait de créer 6000 unités destinées aux populations à risque de se retrouver en situation d’itinérance. Ce programme crucial finance les unités les plus coûteuses de l’écosystème de logement. Ottawa pourrait donc créer 3080 unités supplémentaires par an, de façon base continue, avec les 770 millions $ auxquels il renonce maintenant chaque année avec le rabais de la TPS.
Le même rapport indique qu’une subvention unique de 500 millions $, associée à un prêt de 1 milliard $, permettrait de créer 6000 nouveaux logements coopératifs. De tels logements sont moins coûteux à construire parce que les coopératives remboursent le prêt au fil du temps. La même somme de 770 millions $ dont se prive Ottawa pourrait aider à construire plus de 8000 logements coopératifs chaque année (en incluant le coût estimé de la gestion du prêt).
Pourquoi se loger coûte-t-il moins cher au Québec qu’en Ontario?
Le dernier budget fédéral alternatif du Centre canadien de politiques alternatives propose un fonds d’investissement pour financer la construction de logements de conception universelle à profit nul. En écartant les promoteurs, en exploitant les terrains publics et communautaires et en réinvestissant les remboursements de prêts, ce fonds d’investissement permettrait de réduire considérablement les coûts de construction. Toujours avec ces mêmes 770 millions $, le gouvernement pourrait aider à financer plus de 30 000 logements locatifs non lucratifs.
Au lieu de prioriser de la construction non lucrative qui génère plus de logements abordables, maintenant et dans le futur, Ottawa accorde aux promoteurs un allégement de taxe. La seule condition attachée à cette mesure coûteuse est que les nouveaux bâtiments doivent comporter au moins quatre logements et que 90 % d’entre eux doivent être consacrés à la location à long terme.
On justifie le congé de TPS en alléguant que cet allégement fiscal entraînera une hausse de la construction de logements. On oublie cependant qu’il pourrait simplement hausser les profits des promoteurs, sans qu’il se construise plus de logements.
Le Québec a compris
Les provinces envisagent de compléter le congé de taxe fédérale en exonérant les promoteurs de la taxe de vente provinciale. L’Ontario, Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse ont indiqué qu’elles le feraient.
Les promoteurs ont demandé la même chose au Québec, en plaidant que les coûts de construction sont trop élevés et menaçant de déplacer les investissements ailleurs. Le gouvernement québécois n’a pas cédé. Le ministre des Finances Éric Girard estime qu’une telle mesure coûterait jusqu’à 1,5 milliard $, et le premier ministre François Legault évalue pour sa part qu’une telle somme pourrait être investie dans des mesures plus efficaces. Il a raison.
Dans son dernier budget, le Québec a débloqué 650 millions $ pour créer 5250 logements sociaux et abordables. Plus récemment, le gouvernement de M. Legault a promis d’égaler une subvention fédérale de 900 millions $ et d’investir la totalité du 1,8 milliard ainsi généré $ dans le logement non lucratif.
Au lieu de donner plus d’argent aux promoteurs, le Québec souhaite investir dans le logement social, les coopératives et les logements sans but lucratif. C’est logique. Lorsque l’on retire les gains financiers de l’équation, le logement devient toujours moins cher.
Le Québec devrait également contrôler les loyers des logements vacants, ce qui est une façon directe de contrôler les loyers à un coût minime. Les promoteurs disent toujours que le contrôle des loyers réduit l’offre, mais une analyse récente de la SCHL a trouvé qu’« il n’y a pas de signes notables permettant de conclure qu’il y a moins de mises en chantier de logements locatifs dans les marchés où il y a un contrôle des loyers que dans ceux où il n’y en a pas ».
Les autres provinces devraient suivre l’exemple du Québec et emprunter la voie la plus directe pour faire baisser les loyers.