(Cet article a été traduit de l’anglais)

Le service n’est plus ce qu’il était dans votre restaurant préféré. Votre déception est telle que vous en avez parlé au maître d’hôtel. Il vous a probablement expliqué que le restaurant ne parvient pas à attirer des employés compétents. Depuis la pandémie, les restaurants, comme de nombreuses autres petites, moyennes et grandes entreprises, sont confrontés à une pénurie de main-d’œuvre sans précédent. Si les symptômes sont clairement visibles le remède l’est moins.

Selon un nouveau sondage mené par Découvrir, la division de recherche de Navigator, 87 % des Canadiens pensent que la pénurie de main-d’œuvre est un problème sérieux, dont 38 % qui croient qu’il s’agit d’un problème « très sérieux ». Ce résultat corrobore l’enquête trimestrielle de la Banque du Canada auprès des entreprises, qui indique que plus d’un tiers des compagnies canadiennes (36 %) souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre qui limite leur capacité à répondre à la demande.

La situation semble encore plus problématique au sud de la frontière. Aux États-Unis, tant de personnes ont quitté leur emploi, à la recherche de meilleures conditions de travail, que les médias ont surnommé le phénomène « La grande démission ».

Le nombre de grèves aux États-Unis a même augmenté car les travailleurs syndiqués – qui ne représentent que 11 % des travailleurs américains – tentent de forcer les employeurs à améliorer les salaires, les avantages sociaux et les horaires.

« Les travailleurs sont en grève pour une meilleure convention collective et une meilleure vie, a expliqué Liz Shuler, présidente du principal regroupement syndical américain l’AFL-CIO, comme le rapporte Reuters. La pandémie a vraiment mis à nu les inégalités de notre système et les travailleurs refusent de retourner à des emplois minables qui mettent leur santé en danger. »

Que demandent les employés ? Notre enquête révèle que lorsque les Canadiens cherchent un emploi, le salaire demeure la première préoccupation (pour 42 % des travailleurs). Toutefois, pour une proportion importante d’employés (17 %), l’horaire de travail est primordial. Ce dernier pourcentage est nettement plus important chez les jeunes travailleurs et les femmes.

Plus de flexibilité

Maintenant que nous entrons dans l’ère post-COVID, les employeurs au Canada et aux États-Unis se rendent compte que le travail à domicile a eu un impact énorme sur les attentes de leurs employés : ils s’attendent à plus de flexibilité. Parmi d’autres grands employeurs, Amazon a dû adapter son plan de retour au travail afin de permettre davantage de travail à domicile.

Le professeur Tsedal Neeley de la Harvard Business School déclarait récemment au Wall Street Journal que si les employeurs n’offrent pas la flexibilité dont les gens ont envie, et s’ils ne le font pas en temps opportun, ils perdront des gens talentueux. Le professeur ajoute que des dirigeants comme le PDG d’Amazon Andy Jassy l’ont bien compris.

Les Canadiens ont deux avis bien différents concernant les solutions possibles. À court terme, les employeurs et les travailleurs attribuent une partie du problème aux défuntes Prestation canadienne d’urgence et Prestation canadienne de relance économique. Selon notre sondage, 43 % des Canadiens pensent que des programmes gouvernementaux trop généreux sont à l’origine des pénuries de main-d’œuvre qui freinent les entreprises du pays. Les changements judicieux apportés aux politiques laissent croire que le gouvernement fédéral a entendu ce message. 32 % des participants à notre enquête pensent que les travailleurs sont simplement devenus plus exigeants en ce qui concerne les salaires et les autres conditions de travail.

À plus long terme, les Canadiens suggèrent des changements plus fondamentaux. À la question de savoir qui, du gouvernement ou du secteur privé, est responsable des pénuries de main-d’œuvre, 63 % répondent en pointant du doigt les entreprises « qui n’offrent pas à leurs employés des salaires décents et de bonnes conditions de travail. » L’autre 37 % pense que les gouvernements n’ont pas fait assez pour « encourager l’immigration et la formation, afin de disposer d’un plus grand nombre d’employés compétents et disponibles. »

Les entreprises demandent à juste titre au gouvernement d’améliorer la formation des travailleurs et d’attirer davantage d’immigrants qualifiés. Cependant, comme le montrent notre enquête et d’autres sondages, les Canadiens s’attendent à ce que les entreprises fassent leur part. Après avoir répété pendant des mois à leurs employés qu’ils jouaient un rôle essentiel pendant la pandémie, les employeurs du secteur privé devraient maintenant agir en conséquence et offrir à leur personnel de meilleures conditions de travail.

De meilleurs salaires

Cela signifie d’abord de meilleurs salaires. Le gouvernement provincial de l’Ontario a pavé la voie en annonçant récemment une augmentation du salaire minimum à 15 $ l’heure. «Nous avons une dette de reconnaissance infinie envers les travailleuses et travailleurs de première ligne de l’Ontario. Ces femmes et ces hommes ont travaillé sans relâche pour assurer le maintien des stocks dans les magasins et des chaînes d’approvisionnement pendant la pandémie, affirme l’Énoncé économique de l’automne 2021. Depuis trop longtemps, les salaires ne suivent pas le coût de la vie. Les travailleurs ontariens doivent avoir la possibilité d’améliorer leur sort plutôt que de voir leur situation se détériorer.» Cela vaut aussi pour les travailleurs d’autres régions du pays.

Comme nous l’avons déjà mentionné, la flexibilité est essentielle. Le chômage au Canada est maintenant revenu à son faible niveau d’avant la pandémie, ce qui signifie que de nombreux travailleurs peuvent choisir où travailler. Le salaire et la flexibilité – en regard de l’horaire et du travail à domicile – détermineront très probablement leur décision. Cela nécessite un changement profond de la culture de nombreuses entreprises. « Le travail à domicile est une démarche stratégique, pas seulement une démarche tactique qui permet de faire des économies, a déclaré la présidente de Global Workplace Analytics Kate Lister au New York Times. C’est en grande partie une question de confiance, poursuit-elle. Faites-vous confiance à vos employés ? »

Les entreprises n’ont d’autre choix que de procéder à de tels changements, sinon elles continueront à manquer de travailleurs. En revanche, si elles modifient leurs façons de faire, elles seront récompensées en conservant et en attirant des employés compétents et investis dans leur travail.

Cet article présente une version abrégée d’un chapitre tiré d’un ouvrage qui sera publié en 2022 chez UBC Press. Il fait partie du dossier spécial Au cœur d’une campagne de terrain.

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André Pratte
André Pratte est directeur chez Navigator. Il était auparavant rédacteur en chef à La Presse de 2011 à 2015 et sénateur indépendant de 2016 à 2019.
André Turcotte
André Turcotte est directeur chez Navigator. Il possède plus de vingt-cinq ans d'expérience en recherche sur l'opinion et les affaires publiques. Il est également professeur associé à l'École de journalisme et de communication de l'Université Carleton.

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