(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Peu de Canadiens qui se sont intéressés à la récente évolution du Sénat pourraient soutenir de manière crédible que la Chambre haute ne s’est pas améliorée. Grâce au nouveau comité consultatif indépendant ayant le mandat de formuler des recommandations concernant les nominations, le Sénat reconstruit tranquillement sa réputation.

Mais l’institution a un grand manque de crédibilité et de légitimité aux yeux de la population canadienne, comme le démontre un récent sondage de Nanos publié dans Options politiques. Il indique que, même si les Canadiens sont majoritairement favorables à un Sénat moins partisan et plus indépendant, seulement un quart de la population a une impression positive ou plutôt positive des sénateurs. Si on leur demande quel mot leur vient spontanément à l’esprit au sujet du Sénat du Canada, 12 % des répondants disent « gaspillage d’argent ».

Malgré les progrès accomplis, il est clair que le Sénat doit en faire davantage.

Il travaille ainsi à la refonte de son régime de vérification et de surveillance, et envisage de créer un comité de vérification et de surveillance (CVS). Ce sera une occasion pour lui de montrer clairement aux Canadiens qu’il n’a pas peur des conseils d’experts externes ni de leur surveillance en ce qui a trait à la vérification des dépenses, afin de garantir que l’argent des contribuables est bien dépensé.

Les principes fondamentaux d’une bonne gouvernance exigent que le CVS inclue des membres extérieurs au Sénat pour représenter les intérêts du public. Ces membres peuvent être des experts en gouvernance d’entreprise, des experts d’institutions publiques et d’anciens juges. Le vérificateur général du Canada a en effet recommandé dans son rapport de 2015 que la surveillance des dépenses des sénateurs soit confiée à un organe dont les membres, y compris son président, sont à majorité indépendants du Sénat.

Malheureusement, certains sénateurs insistent pour que le CVS ne compte aucun membre externe. Ce n’est pas la bonne manière de procéder.

Dans un comité de surveillance sans membres extérieurs, un groupe de sénateurs superviserait d’autres sénateurs et formulerait des jugements à leur égard, un modèle qui peut avoir l’apparence d’un conflit d’intérêts. Cette approche est également contraire à la recommandation du vérificateur général.

En refusant d’inclure une représentation externe, le Sénat commettrait de toute évidence une erreur qui, tôt ou tard, finirait par venir le hanter. Si sa gestion de l’argent des contribuables était encore une fois remise en question, le public porterait son attention sur le CVS et questionnerait sa structure de gouvernance, son rendement et sa composition. Les Canadiens seraient en droit de se demander si le Sénat a bel et bien tiré des leçons du scandale des dépenses, un enjeu qui était encore bien présent dans l’esprit des électeurs au moment de l’élection fédérale de 2015.

Heureusement, il n’est pas trop tard pour changer de cap. Le Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement (le Comité du Règlement) s’est saisi de la question. Ses membres devraient tenir compte des points de vue de plusieurs sénateurs qui ont souligné la nécessité d’inclure des voix extérieures, notamment l’ancien éditorialiste André Pratte, la spécialiste de la vérification et de la gouvernance Lucie Moncion, et l’avocate spécialisée dans les droits de la personne Marilou McPhedran.

Ceux qui s’opposent à l’inclusion de représentants externes affirment que leur présence au CVS porterait indûment atteinte au privilège parlementaire du Sénat à titre d’organisme autonome. En fait, cette attitude fait croire aux Canadiens que les sénateurs se soucient plus de leurs privilèges que de gagner la confiance de la population. Le Sénat appartient aux 36 millions de Canadiens, et c’est précisément parce que sa gestion laissait à désirer depuis des années que des voix éclairées — y compris d’anciens sénateurs et des sénateurs en poste, le vérificateur général, le directeur du Massey College et un ancien conseiller en éthique du Sénat — recommandent l’adoption d’un mécanisme de surveillance comprenant des membres externes.

Bien que l’argument du privilège parlementaire doive être pris au sérieux, il n’a pas sa place dans ce débat. Jusqu’à maintenant, il a été présenté de manière abstraite comme étant incontestable, sans véritable étude de la manière dont l’adhésion externe au comité de surveillance pourrait coexister, plutôt qu’interférer, avec les privilèges parlementaires du Sénat.

Le principe selon lequel le Sénat est un organisme autonome n’empêche pas l’inclusion de membres externes dans la surveillance des dépenses. Bien évidemment, les sénateurs sont maîtres chez eux. Et, à ce titre, ils peuvent choisir d’inclure des experts externes au CVS. Bien loin de miner leurs privilèges, cette inclusion sera plutôt une application pertinente et favorable de ceux-ci. Le Sénat comme Chambre haute demeurera ainsi en contrôle, et il pourra infirmer sa décision à tout moment, s’il le désire.

La plupart des provinces canadiennes sont allées au-delà de la proposition d’Ottawa. En Colombie-Britannique, en Alberta, au Manitoba, en Ontario, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve-et-Labrador, les vérificateurs généraux provinciaux ont clairement, dans leur mandat législatif, la responsabilité de vérifier les dépenses de leur assemblée législative respective.

Par ailleurs, d’autres institutions parlementaires de type britannique ont dû traiter des enjeux de la vérification et de la surveillance. Nos cousins du Commonwealth à la Chambre des communes du Royaume-Uni et au Parlement de l’Australie ne sont pas moins autonomes que nous, mais ils ont volontairement mis sur pied des organes de vérification et de surveillance solides dont tous les membres sont des représentants externes. Le Parlement australien a créé l’Autorité indépendante des dépenses parlementaires en 2017 en réaction à des scandales. En ce qui concerne la Chambre des communes du Royaume-Uni, en réponse à des cas de dépenses outrancières et exagérées par des députés, elle a mis sur pied l’Autorité indépendante des normes parlementaires. Ces organes sont entièrement externes, mais leur taille, leur portée et leur coût dépassent largement ce dont a besoin le Sénat du Canada.

La Chambre des lords a opté pour une approche plus modeste, qui mérite d’être prise en considération : elle a créé un comité de vérification qui comprend non seulement des lords, mais également deux membres externes, dont l’un occupe la présidence. Ce choix correspond davantage à la solution qui, selon certains, devrait être adoptée au Sénat.

Mais l’organe qui correspond le mieux à nos besoins, c’est le comité consultatif de vérification qui a été mis sur pied à Terre-Neuve-et-Labrador dans la foulée du scandale des indemnités de fonctions en 2006 et qui est composé à moitié de membres externes. La situation a mené à la publication d’un rapport signé par le juge Derek Green, dont les recommandations ont été transformées en loi en l’espace de quelques jours. Dans son rapport, le juge Green a souligné que les membres externes pourraient fournir un point de vue indépendant et réfléchi sur des questions financières, de sorte que le comité de vérification puisse agir comme un chien de garde contre la mauvaise gestion financière à la Chambre d’assemblée.

Le rapport Green a mené à l’établissement d’un comité de vérification composé de deux députés, dont l’un doit être membre de l’opposition, et de deux membres externes sélectionnés par le juge en chef de la province. Agissant à titre de sous-comité consultatif de la Commission de gestion (comme le Comité sénatorial de Régie interne, budgets et administration), le comité de vérification a pour mandat d’aider la Commission de gestion à s’acquitter de ses responsabilités de surveillance et à rendre des comptes à l’Assemblée et au public sur la gestion des fonds publics. De l’avis du juge Green, la question n’était pas vraiment s’il fallait ou non ajouter un élément externe à la structure de gouvernance de l’Assemblée, mais plutôt comment inclure des membres externes à un organe sans miner les privilèges de l’Assemblée. Le juge Green a conclu que, puisque le comité de vérification n’aurait qu’un rôle consultatif auprès de la Commission de gestion, la présence de membres externes ne porterait pas atteinte aux privilèges de la Chambre d’assemblée. Ce compromis constitue un excellent point de départ pour le Sénat, qui doit maintenant jongler avec l’art du possible.

À ma connaissance, les comités sénatoriaux qui ont étudié la question n’ont entendu publiquement aucun témoin provenant des assemblées qui se sont dotées d’un organe de vérification et de surveillance auquel siègent des membres externes. Les sénateurs ont compris qu’une étude approfondie de la question aurait lieu au sein du Comité du Règlement et qu’elle serait complétée avec les preuves de témoins provenant de l’extérieur du Sénat. Il serait pertinent d’entendre dès le départ le témoignage du juge Green.

Le Sénat doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour démontrer qu’il accueille favorablement le regard du public et l’œil scrutateur d’experts externes. Même si la question du privilège parlementaire représente un défi, des situations semblables au Canada et à l’étranger démontrent qu’il ne s’agit pas d’un problème insurmontable. L’expérience de Terre-Neuve-et-Labrador démontre que des solutions créatives peuvent être trouvées. Il n’y a aucune ambiguïté quant au lieu où réside le pouvoir ultime, pas plus qu’une remise en question du coût politique qui résulte du fait d’ignorer le conseil de membres externes.

Les sénateurs ont l’obligation, à titre de gardiens de cette Chambre du Parlement, de tout faire en leur pouvoir pour restaurer le manque de crédibilité de leur institution. Et permettre que des experts externes participent à la surveillance des dépenses y contribuerait grandement.

Selon moi, l’inclusion de membres qui ne sont pas sénateurs dans le CVS est une exigence pour avancer dans la bonne direction. Si une majorité de sénateurs continue à faire la sourde oreille aux besoins des Canadiens, elle agira sans mon soutien.

Photo : Shutterstock / Paco Forriol


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Peter Harder
Le sénateur Peter Harder a été sous-ministre dans plusieurs ministères fédéraux, dont celui des Affaires étrangères. Il a également agi à titre de représentant du gouvernement au Sénat entre 2016 et 2020.

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