La semaine dernière, le budget du Québec a fait les manchettes en raison du déficit projeté de 11 G$ en 2024-2025.
En excluant les recettes des revenus provenant du Fonds des générations et certains revenus dédiés – projetés à 2,2 G$ en 2024-2025 – ainsi qu’une provision pour éventualités de 1,5 G$, on peut comparer le déficit québécois avec celui des autres provinces. Suivant ce calcul, soit la différence entre les revenus et les dépenses, ce déficit est de 7,3 G$ ou 1,2 % du PIB. Plusieurs auront noté que d’autres provinces et pays de l’OCDE ont des déficits similaires, sinon plus élevés en proportion du PIB.
Est-ce le retour des déficits structurels au Québec, après plus de 20 ans de discipline budgétaire assez serrée, qui a ramené le poids de la dette nette de 50,9 % du PIB en 2012-2013 à 39 % en 2023-2024 ? Si c’est le cas, que compte faire la province dans la prochaine décennie ? Plusieurs options sont sur la table et le Québec, comme d’autres provinces, devra faire des choix rapidement.
Les déficits conjoncturels et structurels
C’est la hauteur du déficit, par rapport aux projections d’il y a quelques mois, qui en a surpris plusieurs. Des facteurs ponctuels, incluant des négociations salariales plus coûteuses que prévu et une sécheresse qui plombe les revenus d’exportation d’Hydro-Québec, sont en partie responsables de cet écart. Largement guidé par des besoins grandissants, Québec a aussi rehaussé les dépenses en santé et en éducation de 2 G$.
Voyons ce que dit le cadre financier présenté au budget sur les cinq prochaines années et bien sûr au-delà de cette période.
Un déficit conjoncturel ne pose pas vraiment de risque de soutenabilité à long terme. Il est généralement englouti tôt ou tard par la croissance du dénominateur du ratio dette-PIB, une mesure assez fiable du niveau d’endettement par rapport à la capacité de l’État de le rembourser.
L’époque où on croyait qu’un déficit structurel permanent était soutenable parce que le taux d’intérêt sur la dette serait inférieur à la croissance économique semble maintenant révolue. Même si le coût fiscal de la dette demeure bas en raison d’un faible différentiel entre le taux d’intérêt sur la dette et la croissance économique, les risques associés à des déficits structurels sont importants du point de vue de la soutenabilité budgétaire.
Après les années 2010, qui ont poussé plusieurs provinces, dont le Québec, à réduire la pression de la dette sur leurs finances publiques, nous entrons maintenant dans une phase où le vent de dos provenant de la croissance économique est tombé. C’est plutôt un vent de face issu des besoins liés au vieillissement, en particulier en santé, qui se lève. Naviguer un voilier dans de telles conditions demande beaucoup de doigté et des décisions difficiles afin d’arriver à destination.
Gare aux projections optimistes de retour à l’équilibre
Traumatisé par des niveaux d’endettement sans précédent, le Québec s’est doté de lois budgétaires et d’un certain consensus politique sur l’objectif de réduire le poids de la dette. Cet objectif est toujours inscrit à la nouvelle mouture de la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations malgré un contexte financier plus difficile. Le gouvernement souhaite ramener le poids de la dette à 30 % du PIB en 2037-2038 et signale son intention dans le budget de maintenir le cap sur cet objectif.
Dans ce contexte, le cadre financier présenté au dernier budget laisse entendre qu’un retour à l’équilibre budgétaire est possible. Cela implique de freiner les dépenses de portefeuille de manière considérable sur l’horizon considéré, en les limitant à 2 % en 2026-2027, à 2,3 % en 2028-2029 et à 2,6 % en 2028-2029. En dollars constants (réels), cela équivaut à une hausse pratiquement nulle des dépenses alors que les besoins, en particulier en santé et en soutien à l’autonomie (mais aussi en infrastructures), seront en grande croissance à la fin de la décennie.
Depuis 2015, le Québec n’a que rarement freiné ses dépenses de la sorte. La figure 1 montre les projections des différents cadres financiers depuis le budget de 2015-2016. Les réalisations ont toujours été bien supérieures aux projections. Bien sûr, la pandémie n’était pas prévisible et on ne pourra blâmer les gouvernements de ne pas l’avoir vue venir. Mais cette habitude va bien au-delà de cette seule période ; elle est structurelle.
Le graphique met aussi en lumière que les dépenses pandémiques, qui devaient être conjoncturelles, se sont avérées permanentes. Voilà un élément important à garder en tête quand viendra le temps de considérer les options.
Si on exclut les années fiscales 2021-2022 et 2022-2023 à titre d’années pandémiques, la croissance annuelle moyenne des dépenses de portefeuille a été de 4,6 % sur cette période. En incluant ces deux années fiscales, la croissance annuelle moyenne des dépenses a été de 6,1 %. Ces cadres financiers ont tous, sauf une ou deux exceptions, prévu une décélération de la croissance des dépenses de portefeuille qui ne s’est jamais matérialisée. Il y a fort à parier que la pression sur le portefeuille de la santé n’ira qu’en augmentant. Par ailleurs, la croissance du PIB potentiel sera vraisemblablement faible sur les dix prochaines années.
En somme, nous voyons émerger un déficit structurel important durant les prochaines années, allant bien au-delà du simple « écart à résorber » déjà défini. D’où l’importance de bien le mesurer dans la prochaine année pour un débat éclairé.
Des pistes de solution
Du point de vue de la soutenabilité budgétaire, le point de départ du Québec est favorable. La province a une certaine marge de manœuvre et une latitude en termes de capacité d’emprunt qu’elle n’avait pas en 2012 lorsque le poids de la dette nette était de plus de 50 % du PIB. Cela ne veut pas dire qu’elle peut faire n’importe quoi. Des options claires doivent être présentées. En voici quelques-unes :
Option no 1 : Garder le cap sur la cible de dette de 2037-2038. Il n’y a pas de magie : cela demande de réduire la croissance des dépenses, la réduction des autres crédits d’impôt ou d’augmenter les recettes. Encore une fois, la croissance économique est si faible et les coûts d’emprunt tellement plus élevés qu’auparavant qu’on ne peut miser sur un ratio de dette-PIB qui fond comme neige au soleil malgré des déficits.
Dans une province qui taxe beaucoup les contribuables et les entreprises, la marge de manœuvre récurrente du côté des recettes est très limitée. Freiner les dépenses demandera un effort social considérable, alors que les besoins explosent en santé – ce portefeuille compte déjà pour 43 % du budget – et que les dépenses en éducation sont difficilement comprimables. Par exemple, si la santé croît à 4,5 %, soit le rythme moyen observé, mais que la cible de croissance des dépenses totales est de 2,5 %, on impose une croissance annuelle de 1,2 % des autres dépenses, incluant l’éducation.
La tentation sera grande de miser sur des gains de productivité ou d’optimisation, mais ces solutions sont bien plus simples à proposer qu’à réaliser. Les dépenses pandémiques sont une avenue intéressante, car celles-ci semblent avoir été pérennisées. Un grand ménage est nécessaire.
Option no 2 : Retarder la diminution du poids de la dette. Le Québec pourrait aussi faire le choix conscient, sans abandonner son objectif de maintenir la soutenabilité budgétaire, de prendre une pause et de viser un ratio dette-PIB stable pendant le plus fort de la transition démographique. Cette option est aussi soutenable que la première option et ne peut donc être écartée d’emblée.
L’optimalité d’une trajectoire de finances publiques dépend des bénéfices marginaux des dépenses financées par des déficits (par exemple en répondant à des besoins transitoires importants) et du coût fiscal de ces dépenses, y compris le coût économique de la collecte de fonds grâce aux impôts. Cette option ne représente donc pas un chèque en blanc pour faire des dépenses improductives.
Accompagnée d’une évaluation rigoureuse des besoins et des sommes consacrées à la transition démographique, cette option pourrait représenter un défi pour un gouvernement qui veut changer de cap par rapport au quasi-consensus des 20 dernières années au Québec.
Il y a d’autres possibilités. Un gouvernement qui souhaite laisser croître les dépenses en santé et d’autres domaines pour répondre aux besoins de sa population pourrait sérieusement envisager d’augmenter les impôts en fonction de ses ambitions et de ses convictions. Cela représenterait un défi de communication, mais les contribuables seraient en mesure de comprendre l’enjeu qui se présente.
Un gouvernement ne perd pas nécessairement le contrôle de la gestion des finances publiques s’il présente un plan clair et cohérent qui minimise les risques à la soutenabilité, mais qui prévoit des dépenses substantielles afin de subvenir à des défis sociétaux importants. Un cadre financier doit mettre en œuvre un projet politique et économique de la manière la plus crédible possible.
Une nouvelle ère de défis financiers pour tous les gouvernements au Canada ?
En attendant que le vent tourne de nouveau, il est important que le gouvernement soit transparent avec la population. Or, le plan actuel prévu au cadre financier laisse plusieurs questions en suspens. Quelque chose devra se produire : un frein sur les dépenses, une hausse des revenus, ou une acceptation sociale que des déficits sont à prévoir dans un avenir prévisible.
Encore là, un débat public sain sur ce défi financier et ses impacts devrait avoir lieu, au Québec comme dans plusieurs provinces. Le gouvernement fédéral devra un jour y prêter attention à son tour.
On ne peut regarder la situation financière du gouvernement fédéral sans considérer celle des provinces. Leur capacité d’emprunter et de répondre à ces défis dépend en grande partie de la coopération du gouvernement fédéral, dans le respect des champs de compétences. D’ici le budget 2025 et la présentation d’un plan de retour à l’équilibre budgétaire – prescrit par les lois actuelles –, il faudra que cette discussion ait lieu, au Québec comme ailleurs.