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La taille du déficit annoncé pour l’année 2024-2025 surprend. Maintenant que la poussière retombe, doit-on s’en inquiéter ? S’agit-il réellement d’un déficit historique ? Surtout, que représente l’effort à fournir pour retrouver l’équilibre ?  

Alors qu’il était estimé à 3 G$ l’an dernier, le déficit est maintenant projeté à 11 G$. Sans surprise, les revenus de l’État ont été revus à la baisse avec la diminution des perspectives économiques. Ils ont aussi été plombés par une chute des bénéfices des entreprises du gouvernement (et les pressions sur les dépenses découlant des nouvelles ententes collectives. À cela s’ajoutent de nouvelles initiatives pour près de 2,2 G$.  

En regard du précédent budget, les données du cadre financier montrent que près de 28 G$ de déficits s’ajouteraient aux années de 2023-2024 à 2028-2029. Les résultats attendus, tels qu’illustrés dans le cadre financier, laissent entrevoir l’importance d’un déficit structurel autour de 3 à 4 G$. 

Un déficit record ? 

Il a été avancé par plusieurs qu’un déficit de 11 G$ était un record, notamment supérieur à celui observé lors de la pandémie. Qu’en est-il exactement ? 

Le cadre financier indique un déficit au sens de la Loi sur l’équilibre budgétaire de 11 G$ pour l’année 2024-2025, alors qu’en dollars absolus, le déficit le plus important observé était de 10,8 G$ en 2020-2021 (année pandémique).  

Cela dit, si on retranche la portion du déficit causée par les modifications comptables et les versements au Fonds des générations, le déficit lié aux activités est beaucoup plus important en 2024 (8,7 G$) que pendant la pandémie (4,4 G$). Rares sont ceux qui, avant la présentation du budget, auraient pu s’imaginer que le ministre des Finances Eric Girard présenterait un déficit d’activités plus grand que celui présenté durant l’année pandémique. Cela reste aussi vrai si on ne tient pas compte de la provision pour éventualités de 1,5 G$. 

 

Évidemment, si on trace l’évolution du poids du déficit en pourcentage du PIB, le portrait est quelque peu différent. Il est possible d’observer que le déficit en 2024-2025 représente un poids de 1,9 %, le deuxième plus important depuis la mise en place de la Loi sur l’équilibre budgétaire en 1996. Au terme de l’année financière actuelle, on saura si la réserve pour éventualités a été utilisée ; si Québec n’y a pas touché, le ratio du déficit serait plutôt de 1,6 %. 

 

Un plan de retour à l’équilibre repoussé 

Le ministre des Finances utilise le remplacement de la Loi sur l’équilibre budgétaire votée en décembre pour repousser au prochain budget le dépôt de son plan de retour à l’équilibre. Il indique, toutefois, un retour à l’équilibre en 2029-2030.  

Pour bien saisir tout l’effort budgétaire à venir, prenons l’année 2028-2029. Actuellement, le solde budgétaire au sens de la loi indique un déficit de 3,9 G$, mais à l’intérieur du cadre financier, il est précisé que pour atteindre ce solde, le gouvernement devra résorber 2 G$ dont l’origine demeure encore non identifiée. Cela signifie donc que le déficit avant l’identification de l’écart à résorber est de 5,9 G$. 

Or, en vertu de la nouvelle loi sur l’équilibre budgétaire, selon l’article 7, un déficit budgétaire constaté supérieur aux versements au Fonds des générations – comme c’est le cas pour l’exercice 2022-2023 –, enclenche l’obligation de présenter un plan de retour à l’équilibre budgétaire d’une durée maximale de 5 ans au budget suivant (mars 2024) ou l’autre d’après (mars 2025). Le ministre des Finances a opté pour le présenter au budget de mars 2025. La loi précise également que lors de l’année précédant le retour à l’équilibre, le déficit ne devra pas dépasser 25 % du déficit constaté ayant enclenché le dépôt du plan.  

Le plan qui sera déposé au printemps 2025 devra donc prévoir un déficit maximal de 1,5 G$ en 2028-2029. Cela implique qu’on devra trouver 4,4 G$, soit la somme de l’écart à résorber indiquée au cadre financier (2 G$) et de l’écart à additionnel pour respecter la loi (2,4 G$).  

Impact sur la dette 

Évidemment, les déficits additionnels projetés se répercuteront sur la dette, dont la valeur nette passera en 2028-2029 à 263,5 G$ dans le budget de cette année par rapport à 233,5 G$ dans celui de l’an dernier. Le ministre des Finances indique qu’il s’assurera que les cibles d’endettement sont respectées lorsqu’il déposera son plan de retour à l’équilibre. 

Actuellement, le ratio de la dette nette par rapport au PIB se situe au-dessus des nouvelles cibles d’endettement votées en décembre dernier, soit 33 % pour 2032-2033 et 30 % en 2037-2038. Ces ratios respectent toutefois la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, car ils se situent à l’intérieur de la fourchette (+/– 2,5 points de pourcentage). Dans le cas de la cible intermédiaire de 2032-2033, le ratio prévu se situe à la limite supérieure.  

Devant la détérioration des soldes budgétaires relativement aux dernières perspectives budgétaires et de ses effets sur le ratio de dette, deux agences de notation (DBRS et Moody’s) se sont montrées préoccupées au lendemain du budget, sans pour autant annoncer une perspective négative sur la cote de crédit du Québec.  

Pour renouer avec l’équilibre budgétaire, le ministre a déjà révisé certains crédits d’impôt aux entreprises basés sur les salaires. Il souhaite une hausse du potentiel économique qui contribuerait à hausser les recettes de l’État sans hausser le fardeau fiscal des contribuables. Il prévoit aussi une optimisation des entreprises du gouvernement et un examen des dépenses budgétaires et fiscales devant être intégrés au plan de retour à l’équilibre budgétaire du printemps 2025, mais tout reste à faire de ce côté.  

Il va de soi que si cette année, le déficit est imposant, le travail pour retrouver l’équilibre budgétaire et l’identification des actions qui devront être prises le sera tout autant. Passer d’un déficit structurel à l’équilibre budgétaire n’est jamais une tâche facile. Les prochaines années le confirmeront. 

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Luc Godbout
Luc Godbout est professeur titulaire au Département de fiscalité à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques. Il a présidé la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise.

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