(English version available here)

Lors d’un sommet international s’étant récemment tenu à Ottawa, des représentants de 175 pays ont jeté les bases d’un traité mondial pour lutter contre la pollution plastique.

Cette initiative rejoint les propos du ministre d’Environnement et Changement climatique du Canada, Steven Guilbeault, qui rappelait l’été dernier que « la lutte contre la pollution plastique commence chez soi ». Le ministre soulignait alors sa volonté de « négocier un accord international ambitieux et juridiquement contraignant ».

Au-delà de la volonté affichée par Ottawa de s’attaquer à ce fléau, l’épisode rappelait que la mondialisation concerne aussi les déchets.

La Chine, havre des déchets

Historiquement, la Chine était la principale destination d’une grande partie des déchets plastiques des pays occidentaux. Le tout a changé avec l’adoption d’une politique appelée « National Sword », qui a resserré l’importation de matières recyclables en plus d’interdire l’importation de déchets plastiques à compter de 2018. L’opération National Sword succédait à l’opération « Green Fence » qui visait des objectifs similaires, mais dont la portée n’a été que temporaire.

En seulement quelques mois, les pays développés, dont le Canada, ont dû trouver d’autres débouchés pour leurs déchets. Cela a entraîné des bouleversements profonds du commerce international dans ce secteur.

Comment le Canada s’est-il réorganisé ? Où sont donc allés nos déchets plastiques après leur bannissement par la Chine ?

Avant la mise en place des restrictions chinoises, le Canada exportait près de 210 milliers de tonnes (MT) de déchets plastiques chaque année à travers le monde. Après l’entrée en vigueur du National Sword, les exportations ont baissé à environ 150 MT pour la période de 2018 à 2020. Elles ont augmenté de nouveau par la suite de sorte qu’en 2022, les quantités s’approchaient des niveaux observés avant le bannissement.

Un bilan variable d’une province à l’autre

Une étude récente du CIRANO a mobilisé les données de commerce international disponibles afin de brosser un portrait du commerce de déchets plastiques au Canada. La figure 1 présente l’évolution de la géographie des exportations canadiennes de déchets plastiques.

On peut y voir le choc qu’a causé la fermeture des frontières chinoises à ce type de déchets : la part de la Chine dans les exportations canadiennes est passée de 45 % à moins de 2 % après 2018. Une partie des exportations a été redirigée vers la Malaisie, l’Inde et la Thaïlande. Mais ce changement ne fut que temporaire, car les pays concernés ont à leur tour durci leur politique.

Les États-Unis sont devenus le partenaire quasi exclusif du Canada pour ces déchets, passant de moins de 50 % en 2016 à 91 % en 2022. Les données permettent également d’analyser comment les provinces canadiennes se sont ajustées. En 2016, soit avant le bannissement des déchets par la Chine, 56 % des exportations provenaient de l’Ontario, 20 % du Québec et 15 % de la Colombie-Britannique, pour un total de 90 % de toutes les exportations canadiennes de déchets plastiques dans ces trois provinces.

La situation a singulièrement changé après le bannissement. En 2021, l’Ontario représentait 62 % des exportations, le Québec 24 % et la part des déchets en provenance de la Colombie-Britannique a chuté à seulement 5 % des déchets exportés.

Que s’est-il passé ?

Bien que le volume total d’exportations de déchets plastiques a diminué d’environ 30 % pour l’ensemble du pays, c’est en Colombie-Britannique que la baisse fut la plus marquée, avec une réduction de près de 70 % entre 2016 et 2022. Cette chute est principalement attribuable à une diminution de 73 % du volume des exportations de déchets de plastiques mélangés, moins triés et moins valorisables, catégorisés sous « autres déchets plastiques ». Ceci semble pouvoir s’expliquer par les efforts de recyclage mis en place par cette province.

L’Ontario a connu une baisse de 5 % du volume de ses exportations entre 2016 et 2022, même si sa part dans les exportations totales a augmenté. Comme en Colombie-Britannique, cette baisse est attribuable à une diminution des exportations des autres déchets plastiques moins valorisables.

Que se passe-t-il au Québec ? Montréal est au cœur de la stratégie de gestion des matières résiduelles. Or, les centres de tri de la métropole ont rencontré plusieurs difficultés dans les dernières années : changement d’opérateur, accumulation de ballots et taux de contamination trop élevé. Ceci pourrait expliquer pourquoi le Québec a connu une faible baisse (à peine 5 % entre 2016 et 2021) des volumes exportés après le bannissement chinois comparativement à d’autres provinces. Mais la quantité de déchets exportés a connu une baisse marquée de plus de 2 % entre 2021 et 2022 portant la baisse entre 2016 et 2022 à 7 %.

Dans l’attente de chiffres plus récents, la modernisation de la collecte sélective qui entrera en vigueur dès 2025 au Québec donne des raisons d’être optimiste. Selon les réglementations à venir, trois des quatre catégories de matières plastiques qui devront voir leurs taux de recyclage améliorés appartiennent à la catégorie « autres déchets plastiques » du système harmonisé, c’est-à-dire ceux qui sont les moins valorisés.

De meilleures données pour une meilleure gestion

Les recommandations qui peuvent être faites sont limitées par notre compréhension du phénomène. Pour y remédier, le Canada doit suivre de façon plus précise les types de déchets plastiques échangés internationalement.

Les données de commerce international ne disent cependant rien sur la gestion des déchets intérieurs. Quelle fraction des déchets est traitée et valorisée au Canada ? Y a-t-il des échanges de déchets entre provinces ? Pour l’instant les données sont parcellaires et difficilement comparables. Aussi, elles ne prennent pas en compte les déchets non domestiques, comme ceux de la construction ou de l’industrie, par exemple.

Des données canadiennes permettraient de comprendre les différences interprovinciales et ainsi voir si les mesures prises dans certaines provinces – dont la Colombie-Britannique – permettent de limiter les exportations de déchets plastiques et d’améliorer leur traitement local.

Les quelques études sur le commerce des déchets plastiques s’intéressent aux exportations des pays occidentaux. En effet, les pays européens et les États-Unis sont des exportateurs nets de déchets, c’est-à-dire qu’ils exportent plus qu’ils n’importent. De ce point de vue, la situation canadienne est énigmatique puisque notre pays importe quasiment autant de déchets plastiques qu’il n’en exporte. En 2019, le Canada exportait 142 MT de déchets plastiques et en importait 166 MT. Cette même année, la quasi-totalité (95 %) des importations venait des États-Unis, surtout des états de la côte est comme New York et le New Jersey.

Pourquoi importe-t-on de si grandes quantités de déchets plastiques, alors que nous en produisons beaucoup ? Une hypothèse est que le Canada, et notamment le Québec, exporte des ballots de déchets plastiques de moindre valeur, et donc possiblement mal triés, et qu’il importe des déchets de plus grande valeur, donc mieux triés et plus facilement utilisables dans les chaînes de production. Cette hypothèse est crédible, mais des données détaillées sont nécessaires pour la confirmer ou l’infirmer.

La mauvaise gestion des déchets plastiques en fait la première source de contamination des milieux naturels, principalement les océans et les pays en développement. Les effets se manifestent aussi à l’échelle locale, puisqu’une incinération inadéquate de ces déchets génère des polluants dans l’air.

L’enjeu est suffisamment pressant pour que les agences gouvernementales consacrent plus d’efforts à recueillir les données, et ainsi mieux appréhender le phénomène et évaluer l’efficacité de politiques environnementales. Cela étant dit, nous invitons les décisionnaires à poursuivre leurs efforts d’actions concrètes dans l’établissement de politiques publiques entourant la gestion des matières plastiques, notamment quant à la réduction à la source.

Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux discussions d’Options politiques et soumettez-nous votre texte , ou votre lettre à la rédaction! 
Sophie Bernard
Sophie Bernard est professeure titulaire au Département de mathématiques et de génie industriel de Polytechnique Montréal, de même que chercheuse et fellow CIRANO.
Florence Lapointe
Florence Lapointe est étudiante à la maitrise à Polytechnique Montréal.
Julien Martin
Julien Martin est professeur titulaire au Département de sciences économiques de l’ESG-UQAM, de même que chercheur et fellow CIRANO.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License