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Les salaires minimums augmentent : le Québec a relevé son taux le 1er mai, suivi par l’Ontario et la Colombie-Britannique, le 1er juin. Certains considèrent ces augmentations comme insuffisantes pour couvrir le coût actuel de la vie, tandis que d’autres estiment qu’elles sont trop coûteuses et qu’elles entraîneront des licenciements massifs.
Il est clair que les seules personnes qui bénéficieront directement de l’augmentation du salaire minimum sont celles qui ont un emploi ou qui en trouvent un. Pendant longtemps, les économistes ont considéré que le salaire minimum était néfaste pour l’emploi, partant du principe que la concurrence rendrait les entreprises non rentables si elles augmentaient leurs prix ou leurs salaires.
Avec l’aide de lobbyistes, ils ont réussi à convaincre les décideurs politiques de cette hypothèse pendant des décennies. Le pouvoir d’achat du salaire minimum a connu un déclin prolongé. Entre 1995 et 2005, le salaire minimum en Ontario a augmenté d’environ 10 %, tandis que le coût de la vie, mesuré par l’indice des prix à la consommation, a augmenté deux fois plus vite.
Cependant, plusieurs études empiriques ont depuis montré que les augmentations du salaire minimum n’ont qu’un impact minime sur l’emploi. De grandes entreprises, qui disposent d’un pouvoir de marché important, dominent plusieurs secteurs et régions. Elles peuvent ainsi augmenter leurs prix et sous-payer leurs travailleurs par rapport à la valeur qu’ils génèrent. Des entreprises comme Amazon pourraient payer un salaire minimum plus élevé sans faire faillite.
Certaines études suggèrent même que l’augmentation du salaire minimum pourrait améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs, stimulant ainsi l’économie et l’emploi. Ces conclusions ont modifié le consensus et, depuis 2005, le salaire minimum a augmenté à peu près au même rythme que le salaire médian, et plus rapidement que le coût de la vie.
Aurait-il dû augmenter davantage ?
Si l’expérience a montré qu’il était possible d’augmenter le salaire minimum, il existe toutefois une limite à la hausse qui peut être appliquée sans nuire à l’économie. Les entreprises ne peuvent absorber des coûts plus élevés et augmenter leurs prix indéfiniment avant de devenir non compétitives ou non rentables. Toutes les entreprises n’ont pas la capacité de fixation des prix ou la marge bénéficiaire d’Amazon. Le risque de perte d’emploi varie selon les secteurs, mais il est le plus élevé pour les travailleurs inexpérimentés dans les petites entreprises.
Au Canada, un travailleur à temps plein touchant le salaire minimum gagne suffisamment pour se situer au-dessus du seuil officiel de pauvreté, mais pas assez pour mener une vie saine. Des études suggèrent qu’un salaire minimum vital et permettant de mener une vie saine nécessiterait une augmentation de plus de 50 %, une mesure qui entraînerait presque certainement des pertes d’emplois.
Le paradoxe de l’augmentation des salaires
Paradoxalement, les augmentations du salaire minimum peuvent nuire aux personnes mêmes que la politique vise à aider. Les pertes d’emploi et le ralentissement des embauches touchent souvent les étudiants et les travailleurs débutants, c’est-à-dire ceux qui cherchent à s’implanter sur le marché du travail ou à financer leurs études.
De plus, de nombreux travailleurs touchant le salaire minimum ne vivent pas dans des ménages à faible revenu. Cela affaiblit l’efficacité de la politique en tant qu’outil de réduction des inégalités et introduit ce que les économistes appellent une « perte sèche ».
Des moyens plus efficaces existent pour soutenir l’égalité et les travailleurs à faible revenu. Une option pourrait être d’étendre l’Allocation canadienne pour les travailleurs (ACT), qui complète les revenus des travailleurs à faible salaire. Ce programme verse actuellement à une personne seule un maximum de 1518 dollars par an (soit 29 dollars par semaine). Cela n’est pas suffisant pour aider un Canadien vulnérable à faible revenu à s’en sortir ou pour l’inciter à travailler davantage.
Augmenter le montant maximal de l’ACT pourrait mettre de l’argent dans les poches des personnes qui en ont besoin et les inciter à travailler. Elle pourrait être restructurée pour fonctionner comme un impôt négatif sur le revenu ou un revenu de base partiel, fournissant une certaine somme d’argent aux personnes sans emploi. Des études récentes montrent que l’effet dissuasif sur le travail de ce type de mesure est probablement faible et qu’elle pourrait aider les gens à se reconnecter au marché du travail. Les provinces pourraient adapter le programme aux besoins locaux.
Payer au bon moment
L’un des principaux problèmes du programme actuel est le calendrier des versements, qui sont effectués tous les trimestres ou tous les ans. Les travailleurs à faible revenu vivent souvent au jour le jour et ne peuvent pas se permettre d’attendre l’année fiscale suivante pour payer leurs achats. À l’ère numérique, il n’y a aucune raison pour que l’Agence du revenu du Canada ne puisse pas collaborer avec les employeurs afin d’intégrer cette prestation dans les salaires hebdomadaires.
Certes, l’élargissement de l’ACT aurait un coût budgétaire. Mais il pourrait être financé par une nouvelle taxe sur les salaires, similaire à celle qui finance l’assurance-emploi. Les taxes sur les salaires ont un impact négatif moindre sur l’emploi, et les petites entreprises les accepteraient probablement mieux qu’une hausse du salaire minimum.
Une option complémentaire consisterait à renforcer la protection des travailleurs et le pouvoir de négociation collective. Le fait que le Canada n’ait pas de nombre minimal obligatoire de jours de maladie payés en dehors des secteurs réglementés par le gouvernement fédéral est étrange. Des normes et des politiques plus strictes en matière d’emploi afin de promouvoir la syndicalisation contribueraient à rééquilibrer le pouvoir de négociation entre les travailleurs et les employeurs.
Les gouvernements semblent aller dans la direction opposée. Leur réaction tiède à la fermeture des entrepôts d’Amazon récemment syndiqués a été une occasion manquée de soutenir les droits des travailleurs.
Fixer un salaire minimum suffisamment élevé pour garantir un niveau de vie décent peut avoir des effets pervers, en supprimant des emplois et en rendant difficile l’accès à l’emploi pour les personnes vulnérables. L’emploi étant l’un des facteurs les plus importants pour garantir la santé mentale et le bien-être, il faut prendre au sérieux les conséquences imprévues de l’augmentation du salaire minimum.