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Deux fiascos retentissants ont suscité de vives inquiétudes chez les Canadiens quant à la capacité du gouvernement fédéral d’acquérir et de gérer les technologies de l’information nécessaires au fonctionnement d’une bureaucratie solide et moderne, et à un coût raisonnable. 

Le rapport de la vérificatrice générale sur l’application ArriveCAN a remis en question l’aptitude d’Ottawa à gérer les achats de technologies de l’information (IT) au plus haut niveau. Le rapport ramène à l’esprit d’autres audits portant sur des projets de grande envergure, notamment le système de paie Phénix et le programme de modernisation du versement des prestations d’Emploi et Développement social Canada.  

Bien que ces projets aient eu lieu à des moments différents, dans des ministères différents et avec des objectifs différents, ils ont souffert de symptômes identiques : des retards importants et des dépassements de coûts.  

Les dépenses fédérales d’approvisionnement sont considérables. Compte tenu des exigences de la transformation numérique de la fonction publique, elles sont susceptibles de se poursuivre pendant un certain temps. Pour donner une idée de leur importance, le gouvernement fédéral a dépensé 4,6 milliards $ pour des achats en technologies de l’information (TI) en 2023, ce qui en a fait le second poste en matière d’approvisionnement, derrière les achats liés à la défense.  

Il est donc essentiel de bien faire les choses, et pas seulement en raison des montants en jeu. Les échecs en matière d’acquisition de TI peuvent entraîner une défaillance des services à la population, en plus de risquer de miner la confiance envers le gouvernement. 

Du contrôle des voyageurs au paiement des fonctionnaires  

Malgré des symptômes et des problèmes semblables, l’octroi des contrats pour chacun de ces programmes a fait l’objet d’une approche bien distincte. 

ArriveCAN a été développé d’urgence en seulement deux mois, en réponse aux exigences de santé publique visant à atténuer la propagation de la COVID-19 lors des vols internationaux. Cette rapidité a été rendue possible par l’introduction de mesures exceptionnelles permettant une certaine flexibilité dans les processus d’octroi des contrats.   

De leur côté, Phénix et la modernisation du versement des prestations étaient des projets complexes, de grande envergure, présentant des risques intrinsèquement élevés et planifiés des années d’avance.  

Néanmoins, l’examen détaillé par la vérificatrice générale a montré que les échecs respectifs de ces trois projets ont été causés par des lacunes similaires : reddition de compte inadéquate, manque d’expertise interne et changement de portée.  

Afin de tirer les leçons de ces résultats et de s’assurer que de futurs appels d’offres ne subissent pas le même sort, quatre mesures essentielles devraient être prises pour résoudre les problèmes potentiels à court, moyen et long terme.  

Plus de coopération entre les hauts fonctionnaires 

Un comité de sous-ministres devrait être mis en place pour effectuer une analyse de l’ensemble des pratiques d’approvisionnement fédérales en TI.  Ce comité devrait être chargé de présenter au Conseil du Trésor, dans un délai d’un an, un rapport contenant des recommandations concrètes de réformes.  

Cette approche n’a pas été adoptée dans le passé puisque les rapports de la vérificatrice générale et d’autres analyses se sont concentrés sur les défaillances de projets spécifiques en TI, sans considérer le système d’approvisionnement fédéral dans son ensemble.   

Le comité des sous-ministres devrait consulter un large éventail d’acteurs au sein du gouvernement fédéral, de même que les fournisseurs en TI et la vérificatrice générale afin d’obtenir l’image la plus complète possible du système d’approvisionnement, de ses forces, de ses faiblesses et de ses déficiences.  

En faisant participer les plus hauts fonctionnaires à ce comité, le gouvernement fédéral signalerait son engagement à adopter sans délai des mesures pour rétablir la confiance du public.  

Viser l’essentiel 

L’adoption de pratiques du secteur privé dont l’efficacité a été prouvée devrait être envisagée pour combler les lacunes du processus d’approvisionnement fédéral. L’approche du produit minimum viable (PMV) est un modèle couramment utilisé en TI au privé. 

L’approche PMV vise à concevoir un produit ou un service qui ne s’attaque qu’à l’essentiel et à l’introduire le plus rapidement possible. Cela signifie qu’une première version de base du produit ou du service est réalisée rapidement et fournie à des clients qui donnent leur avis alors que le développement se poursuit.  

Le modèle PMV permet de gérer l’ampleur du projet et de se concentrer sur ses fonctions essentielles, ce qui est une préoccupation majeure du Vérificateur général.  

Ce modèle permet également de limiter les risques financiers grâce à une mise en œuvre progressive et des coûts initiaux réduits par rapport à des propositions de projet dont la conception est déjà complétée. Enfin, de la flexibilité supplémentaire est prévue pour gérer d’éventuelles nouvelles priorités, et les changements peuvent être intégrés efficacement dans la mise en œuvre du projet.  

Le modèle PMV a été utilisé avec succès dans les pratiques d’approvisionnement du ministère américain des anciens combattants (Veterans Affairs, ou VA) dans le cadre de la modernisation des prestations offertes aux anciens combattants. Le VA s’est d’abord concentré sur la fourniture de services essentiels aux vétérans, a recueilli les commentaires des utilisateurs et a surveillé l’efficacité du projet. Le projet a respecté le budget alloué, garanti la fonctionnalité de ses caractéristiques essentielles et tenu compte des commentaires des utilisateurs. Il dessert aujourd’hui neuf millions d’anciens combattants américains. 

Développer l’expertise interne 

Une autre question soulevée par le vérificateur général dans chacun de ces dossiers est la nécessité d’améliorer les compétences numériques dans la fonction publique canadienne. Afin de combler cette lacune, un soutien accru aux fonctionnaires en matière d’éducation et de formation devrait être rendu obligatoire.  

Des cours sur les compétences numériques devraient être ajoutés à l’inventaire des formations obligatoires du Conseil du Trésor pour les fonctionnaires participant à des projets informatiques. Afin d’utiliser de la meilleure façon possible les ressources existantes, on devrait se tourner vers l’Académie du numérique de l’École de la fonction publique du Canada.  

L’Académie du numérique offre actuellement une série de cours pertinents pour les compétences numériques et les achats. L’introduction de cours plus avancés serait cependant bénéfique.  

Récompenser la réussite 

Les sous-ministres devraient être incités à adopter des pratiques plus efficaces et à obtenir de meilleurs résultats lors des futurs approvisionnements en TI. Conséquemment, les primes de rendement devraient être liées à la réussite des projets.  

Cela permettrait de remédier à la responsabilité diffuse et à l’attention insuffisante accordée à ces projets par les cadres supérieurs, que la vérificatrice générale et d’autres ont signalées à plusieurs reprises. Le gouvernement peut corriger cette tendance en envoyant un message fort selon lequel la réussite des projets informatiques est une priorité absolue au sein des ministères fédéraux et entre eux. 

L’histoire tend à démontrer que l’acquisition et l’implantation de nouveaux systèmes informatiques au sein du gouvernement fédéral étaient considérées comme une sorte de niche technique de l’administration publique. En fait, la réussite de ces projets est au cœur de la légitimité même du gouvernement. De plus en plus de gens accèdent aux prestations et services du gouvernement fédéral exclusivement en ligne ou par voie électronique : l’époque de l’envoi de formulaires par courrier postal est révolue pour la grande majorité, et cette tendance va s’accentuer.  

Au XXIe siècle, s’assurer que les fonds publics soient utilisés pour garantir l’accès à des interfaces de qualité entre les citoyens et leur gouvernement, et à des coûts raisonnables, devrait être considéré comme une priorité. 

Les recommandations de cet article proviennent de l’équipe médaillée d’or au Concours national d’étude de cas en d’administration publique 2024, organisé par l’Association canadienne des programmes d’administration publique (ACPAP) et l’Institut d’administration publique du Canada (IAPC). Les auteurs sont des étudiants diplômés de l’école d’études politiques de l’Université Queen’s qui se sont mesurés à des équipes de 11 autres écoles supérieures pour trouver des solutions à un problème d’actualité en matière de politique publique. Options politiques est l’un des commanditaires du concours, qui a lieu depuis 2012. 

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George Melika-Abusefien
George Melika-Abusefien est étudiant à la maîtrise en administration publique à lécole détudes politiques et titulaire dun baccalauréat en sciences avec mention de lUniversité Queens.
Thomas Goyer
Thomas Goyer est étudiant à la maîtrise en administration publique à lécole détudes politiques de lUniversité Queens. Il est diplômé du programme de journalisme du Loyalist College et du programme de sciences politiques de lUniversité de Guelph. 
Sarah Homsi
Sarah Homsi est infirmière diplômée et étudiante à la maîtrise en administration publique à lécole détudes politiques de lUniversité Queens. Elle est titulaire dune licence en sciences infirmières de lUniversité McMaster.
Sally Twin
Sally Twin est infirmière diplômée et étudiante à la maîtrise en administration publique à lécole détudes politiques de luniversité Queens. Elle est titulaire dun baccalauréat en sciences de lUniversité de Waterloo et dun baccalauréat en sciences infirmières de lUniversité de Toronto.
Kokul Sathiyapalan
Kokul Sathiyapalan est candidat à la maîtrise en administration publique à lécole détudes politiques de lUniversité Queens et travaille dans la fonction publique de lOntario en tant que conseiller politique. Il est titulaire dun baccalauréat ès arts avec mention de lUniversité de York.

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