
Inscrivez-vous à Un Canada plus fort à l’ère Trump pour recevoir nos toutes dernières analyses politiques sur les prochaines orientations du Canada.
(English version available here)
Lors de la visite du premier ministre Carney à la Maison-Blanche, le président Trump a une fois de plus insinué que le Canada devrait devenir le 51e État des États-Unis. Carney lui a dès lors répondu avec fermeté en utilisant une métaphore immobilière : le Canada « n’est pas à vendre ».
Pourtant, cette rhétorique du 51e État, qui prend l’allure d’une vieille blague douteuse, n’est pas sans profondes racines historiques. Elle a fait régulièrement surface, notamment lors de certaines périodes de tensions commerciales ou politiques entre les deux pays. L’idée de voir le territoire canadien intégrer le giron américain est même inextricablement liée à trois moments fondateurs : l’adoption de l’Acte de Québec de 1774, de la Constitution américaine de 1787 et de la Constitution canadienne de 1867.
Si l’histoire peut nous être utile ici, c’est par un rappel que les grandes épreuves autour de ces moments ont façonné et renforcé nos nations respectives et que nos constitutions ont pavé la voie à des solutions durables dont nous profitons à ce jour.
Le rôle décisif de l’Acte de Québec de 1774
Portés par leur mouvement indépendantiste, les révolutionnaires américains voulaient déjà que le Canada les rejoigne en tant que futur « 14e État » des États-Unis. Nombre d’entre nous s’étonneront aussi de savoir que les Articles de la Confédération de 1777, la première constitution des États-Unis, contiennent l’invitation suivante dans l’Article XI :
« [traduction] Le Canada, sur sa simple accession à cette Confédération et son adhésion aux actes des États-Unis, sera admis dans cette Union, et rendu participant de tous ses avantages[.] »
Cet article fait directement suite à l’Acte de Québec. Considéré par les révolutionnaires américains comme un des « Actes intolérables » justifiant leur cause, cette loi du Parlement impérial à Londres accordait d’importants bénéfices aux Canadiens français dans le cadre d’une stratégie visant à contrer le mouvement indépendantiste des treize colonies. En effet, il repoussait les frontières du Québec jusque dans la vallée de l’Ohio, permettait aux catholiques de rejoindre la fonction publique sans avoir à abjurer leur foi et autorisait la réintroduction du droit privé français dans la province.
Bien que ces concessions aient eu pour but d’assurer la loyauté des Canadiens français envers la Couronne, elles signalent tout de même une capacité des acteurs politiques et de la société à faire preuve de pragmatisme, menant ainsi à des compromis historiques. Aujourd’hui, il est permis de croire que, n’eût été l’Acte de Québec, les Canadiens français auraient fini par être assimilés au sein de la majorité anglophone nord-américaine.
La Constitution américaine de 1787 : une union pour survivre
Les premières années suivant l’adoption des Articles de la Confédération ont rapidement mis en lumière ses importantes lacunes. Dans son ouvrage intitulé The Framers’ Coup : The Making of the United States Constitution, publié en 2016, l’historien du droit américain Michael Klarman raconte que, dès 1786, la nouvelle Confédération semblait sur le point de s’effondrer. Sur le plan des affaires extérieures, elle devait faire face aux ambitions coloniales de l’empire espagnol établi au sud, en plus de la présence britannique au nord. Sur le plan économique, les États-Unis se trouvaient plongés dans une guerre commerciale à coups de tarifs douaniers non seulement avec les nations européennes, mais bientôt entre les 13 États eux-mêmes.
Devant cette crise le gouvernement américain était impuissant. En effet, les Articles de la Confédération ne conféraient pas au Congrès l’autorité de lever ses propres impôts, ni de réglementer le commerce. Une seule solution s’imposa éventuellement aux acteurs politiques : une réforme complète de la structure gouvernementale. De là est née la Constitution des États-Unis de 1787, la plus ancienne constitution en vigueur au monde.
Dans son ouvrage classique De la démocratie en Amérique (1835), Alexis de Tocqueville expliquait ainsi la nécessité des États à former l’union de 1787 :
« Les petites nations sont souvent misérables, non point parce qu’elles sont petites, mais parce qu’elles sont faibles; les grandes prospèrent, non point parce qu’elles sont grandes, mais parce qu’elles sont fortes. La force est donc souvent pour les nations une des premières conditions du bonheur et même de l’existence. »
Cette réflexion continue de trouver écho jusqu’à nous. Dans un monde régi par la loi du plus fort, l’union fait la force. Quand on est plus fort, on se fait moins abuser. Il est plus facile de prospérer.
La Confédération canadienne de 1867 : faire contrepoids à l’Amérique
Plusieurs des motivations à l’origine de notre Confédération ne sont pas sans rappeler celles en 1787. À partir du début du 19e siècle, les Canadiens sont témoins de l’immense appétit expansionniste américain, suivi de la puissance militaire américaine déployée lors de la Guerre de Sécession (1861-1865). En 1865, le partenaire américain menace de mettre fin au traité de réciprocité (libre-échange) canado-américain portant sur les droits de pêche et le commerce transfrontalier des ressources naturelles et des produits agricoles, menace qu’il mettra à exécution l’année suivante.
Ayant compris la leçon de Tocqueville, les acteurs politiques canadiens déterminent qu’une union des colonies de l’Amérique du Nord britannique s’impose. Le 1er juillet 1867 (quelques mois après l’acquisition de l’Alaska par les États-Unis) voit le jour de la Confédération canadienne, une union fédérale avec un marché commun interprovincial et assortie d’une promesse de construction d’un chemin de fer intercolonial.
Évidemment, la Constitution de 1867 n’est pas exempte de sérieux défauts, mais sa durée témoigne d’assises que les générations futures ont su s’approprier pour bâtir le Canada d’aujourd’hui.
Se tourner vers la constitution pour affronter des menaces existentielles
Depuis l’époque des treize colonies, le projet de plusieurs dirigeants américains de s’emparer du territoire de leur voisin au nord vogue entre desiderata, velléité et convoitise. Si la rhétorique du 51e État a semblé dernièrement perdre quelque peu de son élan, sa politique économique phare des tarifs douaniers continue de représenter une menace existentielle.
L’histoire du Canada (et des États-Unis) nous rappelle qu’en faisant face à un adversaire économiquement et militairement supérieur, l’initiative la plus fructueuse dans le temps a été ni l’apaisement ni la confrontation. Notre survie et notre prospérité sont plutôt passées par la pérennisation de réformes systémiques dans une loi constitutionnelle. La veille de moments fondateurs, les acteurs politiques et les citoyens de l’époque ont su laisser temporairement leurs différends de côté et forger des alliances cruciales dans l’intérêt national.
Dans ce contexte historique s’inscrit le discours du président Trump sur le 51e État. La crise dans laquelle nous avons été plongés ramène à l’avant-scène le besoin d’une recalibration de certains de nos arrangements fédératifs, en particulier dans la recherche de gains en efficience substantiels au sein de notre marché commun intérieur. Et comme en 1774 et en 1867, la constitution pourrait se révéler à nouveau un allié inattendu.
Les auteurs souhaitent remercier Jean-François Gaudreault-Desbiens, Michael Klarman et Martine Valois pour leurs commentaires sur une version antérieure de cet article.