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Peu de principes, s’il en est, sont aussi étroitement liés à l’identité canadienne que l’universalité des soins de santé. Cependant, chaque fois que notre système de santé est mis à l’épreuve, le débat sur les mérites de la « privatisation » refait surface. Les opposants font valoir que les soins privés sont coûteux, qu’ils risquent d’allonger les délais d’attente pour les interventions chirurgicales et d’aggraver les pénuries de main-d’œuvre. Ils affirment que si les travailleurs de la santé peuvent quitter en grand nombre le système public pour travailler dans le privé, l’appui global au système public diminuera. À l’opposé, les partisans des soins privés soutiennent que la prestation privée de soins de santé pourrait alléger le fardeau imposé aux établissements publics, réduire les temps d’attente pour les interventions chirurgicales non urgentes et assurer la viabilité politique et financière de notre système.

Ce débat est devenu stérile, et une évaluation plus nuancée s’impose. La façon dont on cadre le débat sur la « privatisation » est malheureuse, car elle assimile la durabilité et la qualité des soins à la fourniture de services à but lucratif ou non lucratif.

D’une part, la prépondérance de la preuve montre que la prestation à but lucratif peut être associée à une moins bonne qualité de soins. Par exemple, une étude menée au Royaume-Uni a révélé que chaque point de pourcentage d’externalisation vers le secteur privé à but lucratif correspondait à une hausse annuelle de la mortalité de 0,38 % entre 2013 et 2020.

D’autre part, les systèmes de santé universels qui combinent les soins à but lucratif et non lucratif, comme celui de l’Australie, devancent presque toujours le Canada, selon un rapport de 2021 du Fonds du Commonwealth. Il s’avère que ces systèmes obtiennent non seulement de meilleurs résultats, mais qu’ils dépensent également moins (en pourcentage du PIB) pour la santé que le Canada.

Conséquemment, la réaction presque conditionnée des Canadiens de rejeter les mots qui suivent « soins de santé privés » nécessite un réexamen plus nuancé, qui se concentre sur les défis auxquels les Canadiens et leurs prestataires de soins sont confrontés. Ceux-ci incluent notamment de longs délais d’attente pour les interventions chirurgicales et un manque d’accès équitable aux soins primaires et spécialisés. Ces phénomènes sont exacerbés par l’épuisement professionnel croissant des prestataires de soins de santé et l’exode des infirmières, des médecins et des professionnels paramédicaux.

Il est important de comprendre que le Canada dispose déjà d’une combinaison de soins de santé publics et privés. L’imagerie diagnostique, les interventions chirurgicales mineures et les coloscopies sont déjà assurées par des cliniques privées à but lucratif dont les frais sont couverts par les régimes d’assurance des gouvernements provinciaux. Le débat sur la privatisation porte sur l’extension de ces services, et non sur la suppression du financement public. On peut donc se demander dans quelle mesure les craintes d’un système de financement privé à l’américaine – très loin du nôtre – obscurcissent cette compréhension.

Le système canadien en crise

Le pays dans son ensemble vit une grave pénurie de professionnels de la santé. Les infirmières sont les plus touchées : dans une étude ontarienne, près de 13 % des infirmières âgées de 26 à 35 ans ont déclaré qu’il était « très probable » qu’elles quittent la profession une fois que l’impact de la pandémie sera passé. Au cours des cinq dernières années, environ 1700 infirmières canadiennes ont reçu des documents leur permettant d’émigrer aux États-Unis pour y travailler. En tout, plus de 20 000 postes d’infirmières restent vacants au pays, ce qui témoigne des difficultés persistantes de recrutement.

Les infirmières, les médecins et les autres travailleurs de la santé souffrent d’épuisement professionnel en raison de mauvaises conditions de travail, d’une charge psychologique accrue et d’une augmentation de la charge de travail exacerbée par la pandémie. Ces problèmes structurels complexes constituent un risque à long terme pour les systèmes de soins de santé partout dans le monde et ne seront probablement pas réglés seulement en ajoutant plus d’argent. Pour y arriver, nous devrons confronter de façon rationnelle certains mythes envers les soins privés, qui pourraient nous empêcher de considérer toutes les solutions qui s’offrent à nous.

Des hôpitaux privés draineraient-ils les ressources des hôpitaux publics?

Nombreux sont ceux qui affirment que les établissements et hôpitaux à but lucratif recrutent dans le même bassin limité de professionnels de la santé, et qu’il s’agit d’un jeu à somme nulle. Ce n’est pourtant pas le cas. De nombreuses infirmières ont quitté le système public pendant la pandémie pour poursuivre d’autres carrières. La privatisation pourrait avoir des conséquences positives : des environnements alternatifs, avec de meilleures conditions de travail, pourraient encourager les infirmières, les médecins et les professionnels paramédicaux à rester plus longtemps en poste, et permettre aux retraités de travailler à temps partiel ou même d’éviter l’exode annoncé.

Privatiser les soins ferait-il augmenter les dépenses publiques?

Un autre argument veut que l’argent des contribuables serait de plus en plus détourné vers des prestataires privés. Les données recueillies au Royaume-Uni semblent indiquer que non. Depuis 2012, environ 7 % du budget des soins de santé du Royaume-Uni sont consacrés à la fourniture de soins par le secteur privé, un pourcentage qui s’est maintenu pendant la pandémie, lorsque davantage de contrats ont été attribués à des prestataires privés afin d’accroître l’accès aux lits, au personnel et à l’équipement. Les contrats avec les prestataires privés ont généralement eu tendance à rester moins importants que ceux conclus avec les établissements publics. Ces établissements sont désormais utilisés pour réduire les listes d’attente pour les soins de routine. La législation en la matière impose aux décideurs de prolonger les contrats avec les établissements de qualité et de rechercher de manière concurrentielle de nouveaux établissements lorsque la qualité ou l’équité décline.

À mesure que les provinces canadiennes s’orientent vers une hausse des prestations privées des soins, leurs gouvernements peuvent et doivent veiller à ce que les dépenses soient effectuées là où les patients ont le plus à gagner, tout en maintenant un contrôle sur la qualité des soins. De même, les gouvernements peuvent choisir de prendre des ententes avec des prestataires dans les régions où les besoins sont les plus importants plutôt que dans celles qui sont les plus riches.

Sommes-nous en train de dériver vers un système à but lucratif, à l’américaine?

La « pente glissante » vers l’américanisation de notre système public est une préoccupation majeure au Canada, où les États-Unis projettent une ombre inquiétante. Pourtant, d’autres juridictions n’ont pas continué à avancer sur ce continuum, empêchant la mise en place d’un système de santé à l’américaine grâce à une législation et à une surveillance rigoureuse visant à garantir la qualité, l’égalité d’accès et la viabilité financière.

Nous ne savons pas ce qu’il adviendrait de notre système de santé en cas d’augmentation de l’offre de soins par des fournisseurs privés, mais nous ne devons pas laisser cette incertitude nous paralyser. Il existe des preuves, à la livraison des services, qui suggèrent que les soins privés pourraient ne pas être bénéfiques, mais des preuves internationales indiquent aussi que notre système n’est pas aussi performant qu’il pourrait l’être. Nous avons besoin de plus de données.

Toutefois, si elle est bien menée, la prestation privée peut allonger les carrières de nos soignantes, orienter les dépenses vers des soins de haute qualité et améliorer l’accès pour les personnes qui en ont le plus besoin. Nous devons développer les types de modèles qui nous ont aidés à surmonter la pandémie et d’autres défis récents afin d’évaluer l’impact potentiel d’une privatisation accrue. Nous devons également nous assurer que, quelle que soit la manière dont nous procéderons, les patients seront mieux soignés.

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David Klein
David Klein est professeur agrégé de médecine et de santé publique à l’université de Toronto et membre du conseil d’audit du secteur de la santé de la province de l’Ontario.
Bijan Teja
Bijan Teja est professeur adjoint d’anesthésiologie et de médecine des soins intensifs à l’Hôpital St. Michael’s de Toronto. Il est titulaire d’un double diplôme MD/MBA et termine un doctorat en épidémiologie clinique.
Naheed Jivraj
Naheed Jivraj Naheed Jivraj est anesthésiste et chercheur en soins intensifs à l’Université de Toronto. Il est titulaire d’une maîtrise en politique de santé internationale de la London School of Economics. Twitter @naheedjivra

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