Lors de la première vague de la pandémie de COVID-19 au Canada, la plus forte proportion des décès est survenue dans les établissements de soins de longue durée, un taux plus élevé que dans des pays comparables. Par rapport aux autres provinces, c’est le Québec qui compte le nombre le plus élevé de décès dans les établissements de soins de longue durée. La COVID-19 a constitué une réelle onde de choc qui a mis en évidence les nombreuses failles des soins de longue durée, notamment en ce qui concerne la sécurité et la qualité des soins, et, bien évidemment, la gouvernance des établissements de soins.
Pourtant, depuis plus de 50 ans, comme l’a souligné le groupe de travail sur la COVID-19 de la Société royale du Canada, nombre de rapports, de commissions et de reportages sur les soins de longue durée ont paru sans qu’on leur accorde vraiment de l’attention. Il aura fallu cette pandémie et ses milliers de victimes pour que les gouvernements s’y attardent. La COVID-19 a donné lieu à des enquêtes et à des recommandations provenant de plusieurs instances, notamment du Protecteur du citoyen, du Bureau du vérificateur général du Canada, du coroner en chef du Québec et même des Forces armées canadiennes, qui ont dû pallier le manque de ressources humaines. La COVID-19 a non seulement révélé le sous-financement des soins destinés aux aînés vulnérables, elle a aussi suscité une réflexion sur les mesures à mettre en place de façon urgente pour assurer l’avenir des soins de longue durée.
Pourquoi cette crise, en dépit des avis des dernières décennies ?
La préparation des interventions face à la COVID-19 était concentrée sur les milieux de soins aigus. Quand la pandémie est survenue, les établissements de soins de longue durée n’avaient pas les capacités requises pour contenir l’éclosion. Quelles sont les priorités qui auraient dû être établies en soins de longue durée ? Quels soins auraient été nécessaires ? Avec quelles ressources et quels équipements ? Aucune stratégie n’avait été mise au point. De nombreux éléments essentiels étaient manquants : approvisionnement en équipement de protection individuelle et formation à leur utilisation ; stratégies de regroupement et d’isolement des résidents, et procédures de surveillance des infections ; capacités de dépistage et de traçage des contacts ; personnel en nombre suffisant et bien formé ; équipe de dirigeants sur place ; politiques relatives aux proches aidants.
En somme, la pandémie a exposé la façon dont sont traités les aînés et les personnes qui en prennent soin. La dévaluation du travail auprès des personnes âgées, la perception qu’il s’agit d’un emploi facile ou de moindre importance qui nécessite peu d’habiletés, de compétences ou d’expertise particulière ont révélé un âgisme certain.
De nombreux autres facteurs peuvent expliquer le désastre qui s’est produit. Un des éléments clés concerne les caractéristiques des personnes âgées et la gestion de la main-d’œuvre dans les établissements. En dépit des changements démographiques prévisibles depuis des décennies, de l’alourdissement de l’état physique et cognitif des personnes hébergées et de la grande complexité de leurs besoins, la composition du personnel de soins n’a jamais été ajustée aux nouveaux impératifs.
Actuellement, les soins sont presque entièrement offerts par des préposés et préposées aux bénéficiaires mal rémunérés qui ont reçu une formation minimale et variable. Ces personnes représentent une ressource indispensable, mais sont néanmoins sans voix pour effectuer les changements systémiques qui s’imposent dans leur milieu de travail. Des professionnels de la santé détenant une expertise, de même que des gestionnaires de proximité, font aussi partie de la solution.
Les ratios infirmière-résidents ont été constamment réduits au fil des ans pour limiter les coûts, mais aussi parce qu’on estime qu’un personnel professionnel dont disposent d’autres établissements de santé, notamment en soins aigus, n’est pas nécessaire en soins de longue durée. C’est dans ce contexte de pénurie de personnel qualifié que les transferts quotidiens, trop nombreux et sans raison, des aînés hébergés dans les établissements de soins de longue durée vers les urgences des centres hospitaliers ont amplifié la perte d’autonomie de ces aînés.
La pénurie de personnel, majoritairement féminin, notamment de professionnels qualifiés, les conditions de travail très difficiles et le manque de formation sont parmi les principaux facteurs qui expliquent l’échec dans le domaine des soins de longue durée.
Il est non seulement essentiel de doter les établissements en personnel suffisant et de rééquilibrer les ratios, mais aussi d’engager du personnel qualifié et bien formé à temps complet et sur une base stable. Actuellement, les établissements de soins de longue durée n’ont pas accès ou ont un accès très limité aux services d’une équipe interdisciplinaire de professionnels : ce sont notamment les soins en santé mentale, les soins palliatifs et les soins de réadaptation qui ne sont pas au rendez-vous. Et combien de fois a-t-on limité le débat au « nombre de bains offerts », alors que tant d’autres soins et services sont nécessaires ? Les discours relèvent encore d’une philosophie de « gardiennage » et ne sont pas centrés sur des soins optimaux pour les personnes âgées vulnérables.
La pénurie de personnel, majoritairement féminin, notamment de professionnels qualifiés, les conditions de travail très difficiles et le manque de formation sont parmi les principaux facteurs qui expliquent l’échec dans le domaine des soins de longue durée. Personnel temporaire et à temps partiel travaillant dans plusieurs établissements, agences de placement sursollicitées, heures supplémentaires obligatoires, va-et-vient entre « zones chaudes » et « zones froides » en sont des illustrations concrètes. Et que dire de la gestion des établissements ? Le modèle doit être revu. Une gestion à distance dans des mégastructures est loin d’être optimale, alors qu’une gestion décentralisée, de proximité, aurait permis d’éviter plusieurs dérives.
Bien sûr, d’autres facteurs peuvent expliquer la situation exacerbée par la pandémie. On a invoqué la vétusté des infrastructures où sont prodigués les soins : chambres à plusieurs lits favorisant la contamination, manque d’espace qui empêche la distanciation physique, absence de ventilation adéquate. On attend de nouvelles constructions et des rénovations dans les établissements existants. Le Québec a notamment promis des maisons des aînés, mais, à court terme, leur construction ne constitue pas une solution. Pour améliorer le sort des personnes âgées, il faut certainement plus que de jolis environnements physiques. Réformer et restructurer la composition de la main-d’œuvre et sa gestion est une condition sine qua non.
À court terme, les gouvernements à l’échelle mondiale ont élaboré quelques stratégies d’action depuis le début de la pandémie. On recommande, par exemple, que toutes les résidences de personnes âgées soient pourvues d’un plan d’intervention et qu’il y ait une personne clairement identifiée à la tête de chaque établissement, qui devra rendre des comptes. Le personnel devra être stable, des technologies devront relier les résidents à leurs proches et une politique devra permettre aux proches aidants de rendre visite à la personne hébergée de façon. Le gouvernement du Québec a pris en compte quelques-unes de ces recommandations dans son Plan d’action pour renforcer et assurer l’application des mesures de prévention et de contrôle des infections dans les milieux de vie, mais… il y a plus que la pandémie ! Il apparaît clairement qu’une restructuration de l’ensemble des soins de longue durée, tant dans le secteur public que dans le secteur privé (la deuxième vague ayant éprouvé les établissements privés), doit avoir pour but de corriger les négligences présentes depuis trop longtemps.
Quelles priorités pour une réforme des soins de longue durée?
Ce ne sont pas les données qui manquent pour aider à la prise de décision et améliorer les soins. Voici les priorités :
- Un financement suffisant et pérenne des soins de longue durée, provenant tant du gouvernement fédéral que des gouvernements des provinces, en vue d’atteindre des normes d’excellence minimales en matière de soins ;
- Une gestion de proximité des établissements de soins, décentralisée, qui rapproche les réalités du terrain d’une prise de décision rapide et efficiente faites par des leaders compétents qui doivent rendre des comptes ;
- Un niveau adéquat et constant d’effectifs, y compris une variété de professionnels formés (ce qui nécessite des réformes éducatives soutenues par les gouvernements), qui permet de répondre aux besoins des aînés tout au long de l’évolution de leurs besoins ;
- Un financement et un fonctionnement des soins à domicile qui ont été repensés en vue d’une meilleure intégration aux soins de longue durée.
La responsabilité des soins de longue durée est évidemment provinciale. Il semble par ailleurs que plusieurs pays font actuellement des efforts afin de créer des cadres de référence nationaux. Sans le soutien financier du gouvernement fédéral, les gouvernements des provinces auront du mal à se doter de toutes les ressources essentielles dans le contexte actuel. Les gouvernements ont donc un important rôle à jouer dans cette réforme urgente : ils doivent fournir un financement adéquat et mettre en place des normes fondées sur des résultats probants.
Un changement dans le mode de gestion des établissements qui, au Québec, à la suite de la réforme du système de santé de 2015, ont été regroupés en mégastructures, s’avère également indispensable : décentralisation, gestion de proximité, diminution des lourdeurs administratives, reddition de comptes. Il faut aussi revoir la composition des effectifs et la formation minimale requise du personnel, de même que la spécialisation en soins de longue durée, pour pouvoir fournir des soins de qualité aux aînés.
Si le Plan d’action du gouvernement du Québec pour une deuxième vague prend en compte quelques-unes de ces recommandations, la question de la main-d’œuvre, qui est cruciale pour corriger la situation au-delà de la pandémie, n’y est pas abordée dans son ensemble.
Force est de constater qu’il n’y a nul besoin d’une autre commission ou d’un énième rapport pour prendre dès maintenant des décisions éclairées qui modifieront en profondeur la façon de prendre soin des aînés vulnérables. Au Québec, la récente politique d’hébergement et de soins et services de longue durée et la politique nationale pour les personnes proches aidantes offrent quelques lueurs d’espoir, mais encore faut-il que ces politiques puissent se traduire en plans d’action concrets assortis de mesures de résultats. Les données sont disponibles, les actions ont été suggérées; une volonté politique forte est maintenant nécessaire pour en arriver à modifier les paradigmes actuels dans notre société vieillissante et, ultimement, pour contrer l’âgisme qui y règne.
Cet article fait partie du dossier Coup d’envoi à la réforme des soins de longue durée.