L’échec de la candidature du Canada à l’un des deux sièges non permanents au Conseil de sécurité des Nations unies est avant tout celui d’une politique étrangère de confort, qui, malgré un travail diplomatique acharné, a semblé manquer de substance face à un monde plus compétitif et plus hostile qu’auparavant.

Il est vrai que le Canada est entré bien tard dans la course. Lorsque le premier ministre Justin Trudeau a annoncé ses ambitions onusiennes en 2016, ses deux concurrents, l’Irlande et la Norvège, avaient déjà investi près d’une décennie d’efforts diplomatiques pour obtenir un siège. La nomination de François-Philippe Champagne à la tête des Affaires étrangères, un an à peine avant le vote, la grande tournée africaine de M. Trudeau et son sprint diplomatique n’ont pas pu rattraper l’énorme retard.

Cette seconde défaite en à peine 10 ans apparaît comme une remise en question plus profonde que le simple rejet d’une candidature trop tardive. Le Canada a perdu avec un écart de voix encore plus large qu’en 2010 sous le gouvernement de Stephen Harper. Cet échec est d’autant plus difficile que l’on pouvait imputer à M. Harper un dédain non dissimulé pour l’ONU, mais M. Trudeau avait annoncé dès 2015 que le Canada était « de retour » sur la scène internationale. Constatant que le pays s’était éloigné de son rôle de puissance moyenne vertueuse, il promettait de lui redonner un rôle plus large dans les opérations de maintien de la paix, de mettre sur pied une audacieuse politique féministe de développement et de s’attaquer aux changements climatiques.

Le premier ministre avait ressuscité les « voies ensoleillées » de Wilfrid Laurier et vantait le pouvoir d’une puissance moyenne « positive », « compatissante » et « constructive ». Mais cette vision du monde profondément multilatéraliste, qui faisait la promotion d’un système international stable, fondé sur les normes démocratiques, les règles et la coopération pacifique, est apparu à plusieurs égards comme tendrement anachronique. Le monde a changé, et l’ordre international au sortir de la Seconde Guerre mondiale, qui avait vu naître l’âge d’or de la diplomatie canadienne des Pearson et des St-Laurent, est révolu.

La politique étrangère du Canada, obnubilée par le mirage d’un leadership moral, a semblé décalée, faisant fi des rapports de force qui régissent et contraignent les relations internationales. L’Irlande et la Norvège, malgré leur multilatéralisme affiché et avec une bonne dose de réalisme, avaient d’ailleurs fait campagne en revendiquant leur statut de « petit pays » aux ambitions plus modestes.

Le Canada n’a pas su prendre suffisamment en compte les profondes transformations de l’état des relations internationales. Au cours des dernières années, le tissu social de la communauté internationale n’a cessé de se désagréger, et le Canada se retrouve aujourd’hui incroyablement seul dans son attachement à un monde d’avant. Nos récents heurts diplomatiques avec l’Arabie saoudite et la Chine, et le timide soutien dont a bénéficié le Canada durant ces affrontements en sont le triste testament. Il semble aussi de plus en plus évident que nos plus proches alliés, les États-Unis, ont à tout le moins un appétit limité pour un ordre international basé sur les règles, les normes démocratiques et le multilatéralisme.

Même le slogan « en temps de crise, il est utile d’avoir un autre pays du G7 à la table de négociation »  semblait en total décalage avec l’actualité internationale après l’échec du sommet de Charlevoix en 2018, que le président Donald Trump avait quitté précipitamment sans signer la déclaration commune. Il l’était encore davantage après que la chancelière allemande Angela Merkel eut annoncé qu’elle ne participera pas au prochain sommet du G7 aux États-Unis.

Le Canada n’a pas su prendre suffisamment en compte les profondes transformations de l’état des relations internationales. Au cours des dernières années, le tissu social de la communauté internationale n’a cessé de se désagréger, et le Canada se retrouve aujourd’hui incroyablement seul dans son attachement à un monde d’avant.

Il ne faudrait pas pour autant que le Canada abandonne ses valeurs et son engagement pour le multilatéralisme. Au contraire, il devrait prendre acte du fait qu’il ne peut plus simplement se reposer sur ses alliés pour sauvegarder l’ordre international stable et régi par les règles dont il bénéficie. Si le Canada souhaite renforcer cet engagement, il doit mettre en pratique ses valeurs et élaborer une politique étrangère avec des objectifs clairement définis au sein d’un cadre d’action plus large et mieux réfléchi.

En effet, la politique étrangère actuelle du Canada semble également manquer de substance. Le pays s’est engagé dans des directions aussi diverses que les principes de Vancouver contre l’utilisation des enfants soldats ou la promotion d’une politique féministe d’aide au développement. Mais si louables soient-ils, ces engagements hautement techniques se caractérisent avant tout par une absence de prise de risque, une contribution financière plus que modeste et un manque de direction claire.

Depuis l’élection de Justin Trudeau en 2015, le Canada n’a véritablement participé qu’à une seule opération de la paix, celle au Mali en 2018-2019. Le pays avait envoyé 250 militaires et 8 hélicoptères, qui s’étaient joints à la force d’environ 15 000 militaires et policiers. Cette mission d’une durée de 12 mois était d’ailleurs considérée comme particulièrement brève selon les standards de l’ONU. L’organisation internationale avait demandé au Canada de prolonger ses opérations de trois mois afin d’éviter une interruption dans les services d’évacuation médicale des Casques bleus et du personnel onusien, mais avait dû encaisser un refus, quoique le Canada ait fait quelques concessions.

Aujourd’hui, le Canada ne compte qu’une trentaine de militaires et civils engagés dans des opérations de maintien de la paix, un nombre homéopathique, surtout si on le compare aux quelque 450 Casques bleus irlandais aujourd’hui en mission à travers le monde. Nous sommes ainsi au 77e rang en ce qui a trait à la contribution en effectifs au maintien de la paix, notre pire performance depuis 60 ans.

Mais là où le bât blesse, c’est dans l’aide publique au développement. Avec une contribution de 0,27 % du revenu national brut en 2019, le Canada est encore très loin des 0,7 % que demande l’ONU. La même année, la Norvège avait consacré plus de 1 % de son revenu national brut à l’aide internationale.

Dès le lendemain du vote aux Nations unies, de nombreux experts ont immédiatement appelé de leurs vœux une profonde refonte opérationnelle et conceptuelle de la politique étrangère canadienne. Il y a en effet beaucoup à faire pour adapter la politique canadienne à un monde très compétitif et souvent hostile. Et s’il faut certainement prévoir un tel exercice de réflexion, une réponse beaucoup plus immédiate s’impose : joindre enfin le geste à la parole.

La semaine précédant le vote, le Canada a annoncé qu’il se joint à la Coalition internationale pour le Sahel, une initiative lancée par la France et le G5 et soutenue par l’ONU pour appuyer les efforts de lutte contre le terrorisme et l’aide au développement dans cette région d’Afrique en proie aux conflits. Certains observateurs avisés auront vu dans ce geste une tentative de dernière minute pour essayer de rallier quelques votes de pays africains et une preuve de plus du manque de substance de la diplomatie canadienne, sans lui prédire un grand avenir.

C’est au contraire l’occasion pour la diplomatie canadienne de démontrer son engagement sur la scène internationale et de repenser son action diplomatique au sein d’un cadre d’action plus large. En participant pleinement à cette nouvelle Coalition, c’est l’opportunité pour le Canada de montrer que son engagement pour la paix et la stabilité n’est pas ponctuel et dicté seulement par les échéances électorales onusiennes, mais continu et sincère, et ce, même dans la défaite.

Photo : Shutterstock / IDN

Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux discussions d’Options politiques et soumettez-nous votre texte , ou votre lettre à la rédaction! 
Loïc Bisson
Loïc Bisson est chercheur au sein de l’Unité de recherche sur les conflits du Clingendael Institute à La Haye, aux Pays-Bas. Ses recherches se concentrent sur la paix et la sécurité au Sahel.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License

More like this