Aux États-Unis et au Canada, des discussions sérieuses ont cours à l’échelle nationale au sujet du système de recherche. À titre de chercheuse canadienne établie à Harvard, je suis frappée par le contraste entre les deux pays. Tandis que l’actuelle administration américaine met à mal la crédibilité des faits, des données de recherche et du savoir, le gouvernement du Canada vient d’effectuer un examen approfondi de son système de recherche, et — s’il prend les mesures nécessaires — un bel avenir se dessine.

Je travaille dans le milieu de la recherche des deux côtés de la frontière, et je souhaite donc voir les deux systèmes progresser. Née au Canada, où j’ai obtenu un baccalauréat, j’ai fait des études supérieures en France, puis postdoctorales à Stanford. Comme mon conjoint fait lui aussi carrière dans le monde universitaire, je me suis installée aux États-Unis.

Dans sa récente proposition budgétaire, l’administration Trump procède à d’importantes compressions du financement de la recherche scientifique de pointe et du budget d’organismes fédéraux comme l’Environmental Protection Agency, le National Cancer Institute et la National Science Foundation. Elle a annoncé son intention de fermer les agences National Endowment for the Humanities (NEH) et National Endowment for the Arts, ce qui a entraîné la démission du président du conseil du NEH, William D. Adams. L’administration en place a tenté (et tentera sûrement de nouveau) de restreindre sévèrement l’entrée de citoyens de pays musulmans aux États-Unis, faisant ainsi obstacle à la libre circulation des idées et des universitaires.

Je suis membre d’un réseau international de sociologues qui étudient les enjeux de la stigmatisation raciale et sociale, et de l’inclusion. Le courant isolationniste prenant de l’ampleur aux États-Unis, en Europe et ailleurs, il est urgent de jeter une lumière nouvelle sur la protection et le renforcement des sociétés pluralistes. Le Canada a tenté de nouvelles approches et possède une expérience unique en la matière, de sorte qu’il pourrait devenir un lieu sûr pour de nombreux universitaires et étudiants étrangers qui ne sont plus très bien accueillis aux États-Unis.

Au Canada, l’actuel dialogue national sur la recherche est un modèle à suivre. Dans le cadre de l’examen du système de recherche lancé par la ministre des Sciences Kirsty Duncan, un comité consultatif formé d’experts a consulté des chercheurs de tout le pays et a déposé son rapport en avril 2017, intitulé Investir dans l’avenir du Canada : consolider les bases de la recherche au pays. Il s’agit de la première analyse à grande échelle réalisée en plus de 40 ans sur l’écosystème de recherche du Canada, dont la valeur atteint plusieurs milliards de dollars. Selon la plupart des intéressés, le comité a effectué un examen approfondi et exhaustif.

Le rapport souligne l’importance d’instaurer un système de recherche de calibre mondial, présente un portrait éclairé de la situation relativement avantageuse du Canada par rapport à des pays comparables et formule des recommandations pratiques au gouvernement concernant les changements nécessaires.

Selon les recommandations, le pays doit accroître ses investissements en recherche indépendante dans l’ensemble des disciplines et renforcer la coordination entre ses organismes de recherche. Il lui faut également accorder une attention renouvelée à la recherche en sciences sociales et sciences humaines, qui ne reçoit actuellement que 15 % des subventions fédérales à la recherche.

Comme le souligne le comité consultatif, certains des enjeux sociaux les plus pressants — notamment la lutte contre les changements climatiques et la réconciliation avec les peuples autochtones — comportent des aspects humains complexes nécessitant une contribution des sciences sociales et humaines. En ma qualité de chercheuse étudiant les questions du renforcement de la diversité, de l’inclusion et du dynamisme des sociétés, je partage entièrement ce point de vue.

Les universitaires canadiens sont en mesure de s’attaquer à ces enjeux. Du 27 mai au 2 juin dernier, plus de 10 000 chercheurs se sont réunis à Toronto pour échanger sur les résultats de leurs travaux à l’occasion du 86e Congrès annuel des sciences humaines. Comme l’a démontré cet événement, la recherche en sciences sociales offre un grand potentiel pour améliorer la société. Il a aussi mis en lumière la passion et la volonté d’agir qui animent ce milieu.

Les chercheurs américains ont voulu démontrer la valeur de leurs travaux auprès des collectivités en organisant la première Marche pour la science en avril 2017. Cet événement a retenu l’attention du monde entier : 1,1 million de personnes ont participé à des manifestations à Washington D.C. et dans 600 autres villes de la planète en appui aux travaux et aux données de recherche. Ces diverses marches visaient à mettre en lumière la menace bien réelle qui pèse sur le système de recherche des États-Unis — et qui ne semble pas près de disparaître.

De son côté en revanche, le Canada a amorcé des discussions stimulantes sur l’avenir de la recherche. Le pays pourrait commencer à renverser l’exode des cerveaux et à attirer davantage de chercheurs en leur proposant un environnement favorable. Une occasion unique s’offre au milieu des sciences sociales et humaines au Canada : il peut ouvrir la voie et montrer à son influent voisin à quel point il est important socialement de soutenir la recherche dans ces disciplines. Le pays ne doit pas manquer cette occasion.

Photo: La ministre des Sciences Kirsty Duncan répond aux questions des médias à la retraite du cabinet libéral à Calgary, le 23 janvier 2017 (La Presse canadienne/Todd Korol).


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Michèle Lamont
Citoyenne américaine et canadienne, Michèle Lamont est née à Toronto et a vécu au Québec jusqu’à l’âge de 20 ans. Elle est professeure de sociologie et d’études africaines et afro-américaines à l’Université Harvard, titulaire de la Chaire Robert I. Goldman en études européennes et directrice du Weatherhead Center for International Affairs. Elle a reçu le prix Erasmus 2017.

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