(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Les technologies numériques transforment non seulement ce qu’il advient de notre économie, mais également sa nature fondamentale. À l’heure actuelle, une imprimante 3D produit des organes de remplacement pour les humains au moyen d’un modèle numérique et de cellules du patient. Au moment où vous lisez ces lignes, du minerai de fer est extrait d’une mine en Australie à l’aide de machines autonomes surveillées par une petite équipe se trouvant à mille kilomètres de là. Pendant que vous dormiez la nuit dernière, au Bangladesh, un ingénieur en architecture utilisait une plateforme axée sur les tâches pour créer des plans de maisons conformes aux codes du bâtiment de l’Ontario pour un client au Canada. Ajoutons que l’on peut dorénavant surveiller en ligne la qualité de l’eau des lacs et des rivières situés à proximité de certains sites industriels du Canada.

Aucun de ces exemples de technologies numériques n’est particulièrement récent. Si certains peuvent paraître surprenants, c’est parce que, pour citer William Gibson, « Le futur est déjà là — il n’est simplement pas réparti équitablement ».

Il faut du temps pour comprendre ce que les technologies perturbatrices signifient pour l’économie à mesure qu’elles évoluent et qu’elles sont combinées, de même que pour saisir pleinement les défis et les possibilités qu’elles présentent. Face à un système qui change rapidement, le défi des décideurs consiste à envisager la gamme des futurs plausibles qui pourraient survenir et à prendre les meilleures décisions possibles malgré l’incertitude. Il est bon de fonder les politiques sur des données probantes, mais comme toutes les données proviennent du passé, elles ne fournissent pas une boîte à outils complète pour gérer les systèmes en évolution rapide.

En juin 2019, Horizons de politiques Canada, l’unité de prospective de la fonction publique, a publié deux rapports qui donnent un aperçu de ce à quoi la population canadienne pourrait devoir faire face dans un avenir proche et en analysent les répercussions politiques. Le premier, La prochaine économie numérique, examine la façon dont la technologie pourrait redéfinir les principes d’organisation de l’économie, révolutionner les chaînes de valeur et changer les « qui, quoi, où, quand et comment » de la production et de la consommation. Le deuxième rapport, intitulé L’avenir du travail, met en évidence cinq facteurs déterminants susceptibles de changer la donne et de perturber les conditions d’emploi et de travail des Canadiens. Le présent article comprend quelques exemples tirés de ces deux rapports pour illustrer ce que nous pourrions constater à l’avenir.

Travailler en faisant fi des distances et des frontières

Les technologies de téléprésence de pointe vont aider les personnes et les machines à travailler en étroite collaboration, indépendamment de la région géographique dans laquelle elles se trouvent — à condition qu’elles aient un bon accès à Internet. On pourrait faire appel à l’expertise de personnes partout dans le monde pour l’utiliser au Canada, et les Canadiens pourraient offrir leurs propres compétences et expertise à l’échelle mondiale. Une entreprise pourrait décomposer de nombreux travaux de nature cognitive et physique en des tâches distinctes, sur lesquelles les travailleurs pourraient soumissionner sans avoir de relation traditionnelle ou juridique employeur-employé avec l’entreprise. Les entreprises pourraient n’avoir aucune présence physique, voire juridique officielle là où se trouvent les travailleurs, les gestionnaires, les données ou les machines axées sur l’intelligence artificielle qu’elles utilisent.

Dans un tel avenir, les pays et les villes pourraient se livrer concurrence pour attirer des résidents gagnant leur vie n’importe où dans le monde, car ces résidents effectueront des dépenses et paieront leurs impôts localement. Si vous êtes payé par une entreprise de Dubaï alors que vous vivez, faites votre épicerie, scolarisez vos enfants et faites du bénévolat à Kamloops, vous contribuez à l’économie et à la collectivité locales.

Des biens personnalisés livrés à domicile

Si les services sont fournis au-delà des frontières, la fabrication de nombreux biens de consommation peut être « relocalisée ». Depuis des décennies, de grandes entreprises manufacturières fabriquent en série des biens identiques dans des usines géantes situées dans des régions où les coûts de la main-d’œuvre sont faibles. Elles expédient ces produits vers des entrepôts partout dans le monde à des coûts environnementaux énormes. Dans la prochaine économie numérique, des usines polyvalentes pourraient produire localement des biens hautement personnalisés — pensons par exemple aux centres d’impression 3D automatisés qui peuvent imprimer des objets à partir de fichiers numériques uniques et d’une bibliothèque contenant des centaines de biens standards imprimables.

À l’avenir, les biens pourraient être fabriqués à proximité des consommateurs finaux, dont les besoins individuels et les valeurs communautaires pourraient être pris en compte dans des chaînes de production « ponctuelles ». Vous avez besoin de chaussures de course de taille 9,3 parfaitement adaptées à la forme de votre pied, avec une semelle conçue pour la taille des gravillons qui composent les allées du parc de votre quartier ? Vous souhaitez que le haut de vos chaussures écologiques soit fabriqué par impression d’une protéine de soie d’araignée et d’un coussinage en mousse à base d’algues ? Pas de problème : un drone les déposera demain sur le pas de votre porte.

C’est ainsi que les économies d’échelle pourraient céder le pas aux économies de gamme, des entreprises proposant une offre élargie aux consommateurs locaux dont elles comprennent les besoins. La livraison de l’usine au consommateur pourrait ne prendre que quelques minutes et éliminer le besoin d’entreposer des stocks.

Créer de la valeur dans un environnement numérique

À mesure que les biens deviennent numériques, vous n’avez pas besoin d’un nouveau dispositif pour obtenir une nouvelle valeur ; il vous suffit de télécharger le nouveau logiciel pour votre téléphone (ou vos lunettes intelligentes à venir sous peu). De plus, comme le coût marginal de production des biens numériques est quasi nul, cette valeur supplémentaire pourrait être obtenue à très faible coût. Tout cela a des répercussions majeures sur l’économie. Le bien-être des consommateurs pourrait s’en trouver considérablement accru, mais le PIB et le revenu pourraient plafonner, voire diminuer. Par exemple, vos photos numériques sont certainement déjà stockées et rapidement accessibles dans le nuage, et non en train de s’empoussiérer dans des albums ou des boîtes. Combien avez-vous réellement dépensé pour imprimer des photos l’an passé ? Et de nos jours, de combien de cadres à photos avez-vous besoin ? Ce qui est arrivé dans les domaines de la photographie et de la musique pourrait arriver à de nombreuses autres chaînes de valeur. L’écart entre l’expérience que nous avons de la valeur et la façon dont nous la mesurons pour établir la politique économique pourrait se creuser. Dans la prochaine économie numérique, les moyens traditionnels de mesurer l’économie pourraient envoyer des signaux qui s’éloignent profondément de la façon dont nous créons de la valeur pour les Canadiens.

Se préparer à des futurs plausibles

Les deux rapports d’Horizons de politiques Canada décrivent ces transformations et d’autres encore qui pourraient survenir dans l’économie future. Ils examinent les possibilités que présentent les perturbations technologiques et les questions épineuses auxquelles les Canadiens et leurs gouvernements pourraient faire face. Par exemple, si l’extraction de ressources ne crée pas d’emplois locaux bien payés à proximité de la mine ou de la forêt, qu’advient-il de l’économie secondaire — restaurants, garderies et routes principales — dans les municipalités rurales qui dépendent des ressources ? Si les travailleurs qualifiés de pays où le coût de la vie est bas proposent constamment des prix moins élevés que les Canadiens pour accomplir des tâches, dans la nouvelle économie, la requalification aiderait-elle les Canadiens qui sont supplantés par l’automatisation à exécuter ces tâches ? En outre, le système fiscal, l’assurance-emploi et autres soutiens sociaux devront-ils être repensés pour s’adapter à l’économie et au monde du travail qui se profilent à l’horizon ?

Notre travail consiste notamment à anticiper un vaste éventail de changements perturbateurs plausibles. Le but n’est pas de prédire l’avenir ou d’imposer des politiques, mais plutôt d’aider les entreprises, les travailleurs, les organisations de la société civile et les gouvernements à élaborer des politiques et des programmes solides. Nous espérons qu’ensemble, nous pourrons influer sur notre prochaine économie numérique, même si personne ne peut la contrôler intégralement. Voici ce que promet la prospective : en comprenant le plus rapidement possible les possibilités et les défis émergents, les Canadiens peuvent contribuer à façonner leur avenir.

Photo : Shutterstock / kkssr


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Kristel Van der Elst

Kristel Van der Elst est directrice générale d’Horizons de politiques Canada. Elle est l’ancienne chef de la prospective stratégique au Forum économique mondial.

Eric Ward
Eric Ward est directeur principal de la prospective à Horizons de politiques Canada et il dirige le développement de la prospective sociale, économique et de gouvernance. Auparavant, il a occupé des postes au Bureau du Conseil privé et à Justice Canada.
Marcus Ballinger
Marcus Ballinger est futuriste à Horizons de politiques Canada. Il a travaillé sur les questions géostratégiques, les changements dans le paysage énergétique mondial, la durabilité, l'infrastructure et la prochaine économie numérique.

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