Avant même que la nouvelle Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes — intitulée Québécois, notre façon d’être Canadiens — ne soit rendue publique, le premier ministre Justin Trudeau l’avait déjà balayée du revers de la main, en stipulant qu’« on ne rouvre pas la Constitution ». Au Canada anglais, les chroniqueurs ont presque tous conclu qu’il valait mieux ne pas même s’engager dans la conversation préliminaire que le gouvernement du Québec voulait amorcer.

Comme politique d’affirmation et de relations canadiennes, c’était mal parti. Pourtant, le document présenté par le gouvernement Couillard était étoffé, informé par les recherches universitaires de pointe sur le fédéralisme et largement dans la continuité des positions historiques du Québec.

Mais pour la plupart des Canadiens, l’affaire est entendue et classée. Il ne saurait être question de revenir sur un arrangement politique et institutionnel qui satisfait la majorité. Le ciment est pris. Dans un colloque à l’Université Queen’s l’automne dernier, haut lieu de la réflexion sur les relations intergouvernementales canadiennes, un conférencier expliquait que, finalement, ce n’était pas important que le gouvernement du Québec adhère ou non à la Constitution. À ma question un peu étonnée et prudente si ce ne serait pas tout de même un problème de ne jamais pouvoir amender la Constitution, le conférencier a répondu que non, ce n’était pas vraiment un problème. Il suffisait d’emprunter d’autres voies de réforme. Visiblement, cette réponse a fait consensus dans l’auditoire, et la conversation s’est vite éteinte.

Les chercheurs québécois qui travaillent sur le fédéralisme — Alain-G. Gagnon, François Rocher, Eugénie Brouillet et bien d’autres — ont produit des travaux convaincants sur l’idée d’un fédéralisme multinational, capable de reconnaître et d’accommoder plusieurs nations à l’intérieur d’institutions communes. Guy Laforest a aussi présenté un plaidoyer émouvant à cet égard, en parlant de l’exil intérieur des Québécois dans une fédération qui refuse de les reconnaître, plaidoyer que la nouvelle politique d’affirmation a repris à son compte.

Mais ces idées et ces émotions n’ont guère traversé les frontières du Québec. Les réflexions canadiennes sur le fédéralisme s’ouvrent à toutes les formes de diversité, mais jamais à celle qui, à l’origine, a fait du Canada une fédération. Dans les colloques savants, on prend soin, en commençant, de signaler que la rencontre se tient sur une terre ancestrale autochtone, mais une fois cette formule de politesse énoncée, on se garde bien de se demander ce que pourrait vouloir dire la reconnaissance politique réelle de plusieurs nations au sein d’un même pays.

Québécois, notre façon d’être Canadiens fait pratiquement l’impasse sur cette réalité politique. Le document reconnaît, bien sûr, que le Québec a du chemin à faire s’il veut mettre ses préoccupations à l’ordre du jour, et admet que l’accueil risque d’être tiède. Mais il ne prend pas vraiment acte du blocage politique auquel fait face le Québec.

En conséquence, c’est surtout aux Québécois que la politique d’affirmation s’adresse, pour les convaincre que, quoi qu’il advienne, ils pourront demeurer des Canadiens inconditionnels, des fédéralistes résignés à vivre dans un pays qui ne les reconnaît que du bout des lèvres.

Cette résignation transparaît d’ailleurs dans le caractère presque incantatoire des conditions mises en avant pour que le Québec puisse adhérer à la Constitution. Ces conditions — reconnaissance de la nation, participation à la nomination des juges, droit de véto, entente sur l’immigration et encadrement du « pouvoir fédéral de dépenser » — nous ramènent en effet à l’époque de l’accord du lac Meech, comme si le Canada n’avait pas changé depuis 30 ans.

Le document parle bien de la nation québécoise plutôt que de la société distincte, mais pour le reste, il retourne essentiellement aux années 1980. L’encadrement du « pouvoir fédéral de dépenser », par exemple, ne peut plus porter comme à l’époque de Meech sur des programmes à frais partagés, puisque ceux-ci n’existent plus. Mais la nouvelle politique d’affirmation n’explique pas vraiment comment on devrait limiter ce « pouvoir » qui s’est développé de longue date, en marge de l’ordre constitutionnel. Il y est d’ailleurs peu question du déséquilibre fiscal à la source de ce « pouvoir », sinon pour constater que ce déséquilibre existe et qu’il est déplorable. Devrait-on revenir aux propositions de la commission sur le déséquilibre fiscal qui, en 2002, suggérait de repenser le partage des ressources fiscales au Canada ? Le gouvernement Couillard ne le dit pas. Il demande tout au plus au gouvernement fédéral d’assumer sa juste part des dépenses de santé. On trouve plus de précision et d’affirmation dans les plans budgétaires annuels du Québec, à la section sur les transferts fédéraux. Encore une fois, il s’agit moins dans cette politique d’affirmation de définir des demandes concrètes que de souffler prudemment sur la vacillante flamme de la conversation, pour maintenir en vie « notre façon d’être Canadiens ».

Pendant ce temps, évidemment, les souverainistes québécois se disputent autour d’une tout aussi improbable feuille de route pour l’accession à la souveraineté. Il s’agit dans ce cas de statuer sur la composition et le fonctionnement d’une éventuelle assemblée constituante, qui devrait définir la Constitution d’un Québec peut-être souverain ou peut-être pas…

La sagesse consisterait peut-être à considérer d’abord les contraintes politiques réelles qui ferment ou ouvrent des avenues pour l’avenir du Québec, puis à préciser des objectifs prioritaires pour les années qui viennent, avec une stratégie et un échéancier. Compte tenu des obstacles, le projet risquerait de devenir moins emballant, mais il pourrait offrir un meilleur guide sur les premiers gestes concrets à poser. Collectivement, les Québécois deviendraient alors, comme on dit en anglais, plus tristes mais plus sages, « sadder but wiser ».

Photo : Le premier ministre du Québec Philippe Couillard dévoile la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes à la conférence de presse du jeudi 1er juin 2017, à Québec. THE CANADIAN PRESS/Jacques Boissino.


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Alain Noël
Alain Noël est professeur de science politique à l’Université de Montréal ; il est l’auteur du livre Utopies provisoires : essais de politique sociale (Québec Amérique, 2019)

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