(Cet article a été traduit de l’anglais.)

OTTAWA – À l’approche du sixième anniversaire du tristement célèbre système de paie Phénix, les ministères fédéraux sont engagés dans une course contre la montre pour récupérer les montants payés en trop sur les salaires de leurs employés.

Le système Phénix, tristement célèbre pour ses ratés, a en effet versé près de trois milliards de dollars en trop-payés aux employés du gouvernement fédéral depuis sa mise en service en février 2016. Dans le traitement de leurs chèques de paie, presque tous les fonctionnaires ont été touchés par des problèmes techniques, des erreurs humaines ou les conséquences de données erronées. Depuis six ans, des milliers de personnes ont été trop payées, sous-payées ou pas payées du tout.

Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), qui gère la paie au gouvernement, estime que Phénix a versé des trop-payés à 337 000 employés. Jusqu’à présent, 222 000 d’entre eux ont remboursé environ 2,3 milliards de dollars. Les 115 000 employés restants doivent environ 552 millions – mais il pourrait y avoir plus en arriérés.

Le plus gros montant en souffrance est de 300 156 dollars, mais plus des deux tiers des montants se situent entre 100 et 5 000 dollars.

Après février, c’est radié

Ces derniers mois, cependant, l’accent a été mis sur les personnes qui ont été trop payées par Phénix au cours de sa première année d’exploitation. Selon la loi, le gouvernement fédéral dispose en effet de six ans pour recouvrer les trop-payés des employés, après quoi ils deviennent irrécouvrables et radiés en tant que dette.

Cela signifie que les ministères doivent trouver tous les trop-payés restants, récupérer l’argent ou au moins engager des démarches de remboursement en février.

Les spécialistes de la paie ont passé au peigne fin les dossiers pour 2016-2017, y compris des milliers qui n’avaient pas encore été traités, et ont trouvé environ 21 000 trop-payés en souffrance.

Des lettres signalant les trop-payés ont été envoyées aux 21 000 employés – plusieurs d’entre eux disant ne pas savoir qu’ils avaient reçu trop d’argent. On leur a demandé de reconnaître le trop-payé par écrit et proposé des options flexibles de remboursement. En l’absence de confirmation à l’intérieur de quatre semaines, l’argent sera récupéré automatiquement sur leur salaire.

« Il s’agit de faire preuve de diligence raisonnable, d’intendance. C’est l’argent des contribuables, qui est dû au gouvernement, et nous devons nous assurer que les contribuables ne se font pas avoir », a dit un bureaucrate de longue date qui n’est pas autorisé à parler publiquement.

Ce sprint de dernière minute ne plaît pas aux syndicats.

Ils soutiennent que les paiements en trop auraient dû être corrigés depuis longtemps. Il est injuste d’exiger que des employés aient à reconnaitre des dettes qui leur tombent dessus sans avertir.

Les lettres expliquent ce que les recherches de dossiers ont trouvé, les montants dus et ce qui a causé les trop-payés. Mais certains employés, frustrés et méfiants à l’égard de Phénix, se plaignent de n’avoir aucun moyen de vérifier ce genre de détails six ans plus tard. D’autres disent qu’ils ont déjà remboursé ce montant.

« La réalité est qu’il n’y a pas eu une seule période de paie sans problème depuis le début du fiasco qu’est Phénix, en 2016. Il est donc absolument scandaleux que le gouvernement veuille maintenant récupérer l’argent des employés », estime pour sa part Chris Aylward, président de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC). « Dans la plupart des cas, ces paiements en trop sont une surprise complète pour nos membres, et beaucoup n’ont aucun moyen de confirmer s’ils doivent réellement de l’argent. »

Ce qui exaspère encore plus les syndicats, c’est que cette course pour respecter la limite de six ans pourrait se poursuivre chaque année jusqu’à ce que Phénix soit remplacé.

« Malheureusement, ce n’est que le début. Ce processus se poursuivra chaque année alors que le Conseil du trésor tente d’éviter de dépasser la limite de six ans pour tous les trop-payés », enchaîne M. Aylward. « Les travailleurs de la fonction publique qui ont déjà tant souffert aux mains de Phénix méritent mieux, et leur calvaire ne sera pas terminé tant que le gouvernement n’aura pas mis en place un système de paie qui les rémunère avec exactitude et à temps, chaque fois. »

Pour sa part, Services publics et Approvisionnement Canada ne s’attend pas à être confronté à la limite de six ans année après année. Une fois les arriérés éliminés, tous les dossiers rattrapés et les erreurs corrigées, les paiements en trop seront corrigés à mesure. On ne sait par contre pas quand cela se produira. La dernière cible d’élimination des arriérés était 2022.

L’Alliance s’oppose au plan de remboursement, mais conseille à ses membres de payer s’ils doivent de l’argent, et de demander plus de preuves en cas de doute. Certains pourraient être en attente de sommes qui leur sont dues à cause d’une autre gaffe de Phénix. Dans ce cas, le syndicat suggère aux employés de demander cet argent avant de rembourser le trop-payé.

Enfin, à ceux à qui on a assuré que leur salaire était exact ou qui n’étaient pas au courant d’un trop-perçu, le syndicat suggère d’ajouter : « Je ne devrais pas avoir à rembourser ce montant » dans leurs réponses.

Un cauchemar de 247 millions $

Le gouvernement avait déjà des problèmes avec les paiements en trop dans son ancien système de paie, mais leur nombre a explosé avec Phénix, et ce de manière cauchemardesque durant les deux premières années. À la fin de 2017, Services publics et Approvisionnement Canada estimait que les employés du gouvernement fédéral devaient 246 millions en trop-payés.

Les erreurs ont submergé le nouveau centre de paie de Miramichi, au Nouveau-Brunswick. Inondés de dossiers, la plupart des spécialistes de la paie étaient de nouveaux venus et trop peu nombreux. Les trop-payés se sont accumulés parce que la priorité était d’abord de remettre des chèques de paie et de l’argent aux employés qui étaient sous-payées ou pas payés du tout.

La plupart des paiements en trop ont été effectués lorsque des affectations temporaires, des promotions, des licenciements ou divers types de congés n’ont pas été saisis à temps dans le système. Les employés ont fini par être payés trop cher ou trop longtemps. Ceux qui changeaient de département recevaient deux salaires. Dans certains cas, des employés temporaires ou des retraités ont continué d’être payés même après l’abolition de leur poste.

Phénix a été conçu pour fonctionner en temps réel. Une opération inscrite en retard était son talon d’Achille. Il s’agissait d’un immense changement de culture pour un service gouvernemental qui avait toujours entré les données tardivement ou après coup.

Prenons par exemple ce que Services Canada appelle les « trop-payés administratifs » avec une rémunération temporaire – le plus gros problème. Il s’agit d’un salaire supplémentaire que les employés reçoivent lorsqu’ils remplacent des patrons ou d’autres collègues. Une réclamation tardive générait non seulement un trop-payé, mais pouvait également générer en une foule d’autres erreurs – cotisations syndicales, primes de bilinguisme ou avantages sociaux – qui devaient ensuite être corrigées manuellement.

Depuis, le gouvernement a dépensé plus de 1,3 milliard pour réparer Phénix, dont une grande partie pour la dotation en personnel, qui a quadruplé. Il y a encore des paiements en trop, mais ils sont moins fréquents en raison des divers changements apportés au fil des ans. Les problèmes liés à la rémunération temporaire ont été corrigés en 2020.

Cependant, les trop-payés sont devenus un point de rupture pour les syndicats en raison des implications fiscales et de la lourdeur du processus de recouvrement. Le gouvernement a modifié les règles fiscales et celles pour le remboursement afin d’aider les employés à faire face à ces problèmes, hors de leur contrôle.

Le gouvernement a aussi reporté la récupération des trop-payés jusqu’à ce les dossiers soient remis en ordre et que les employés concernés aient été payés correctement pendant trois périodes de paie consécutives. Ces employés pouvaient ensuite effectuer des remboursements en plusieurs versements, sous forme de somme forfaitaire ou par une retenue sur sa paie. Ces options sont toujours offertes aux 21 000 employés qui reconnaissent leur dette, mais pas aux autres.

Phoenix est la plus grande catastrophe de gestion publique de l’histoire de la bureaucratie canadienne. En plus de son coût, il a engendré plus de 560 millions de dollars en dommages et intérêts afin de compenser les employés pour leurs difficultés émotionnelles et financières.

Phénix demeurera le système de paie du gouvernement jusqu’à ce que son remplaçant, baptisé NextGen, soit prêt. Un essai est en cours, mais un nouveau système est à des années d’être prêt.

L’autrice a bénéficié d’une bourse de journalisme Accenture sur l’avenir de la fonction publique. Découvrez ici les autres chroniques de Kathryn May.

 

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Kathryn May
Kathryn May est la boursière Accenture en journalisme sur l'avenir de la fonction publique. Dans les pages d'Options politiques, elle examine les défis complexes auxquels font face les fonctionnaires canadiens. Elle a couvert la fonction publique fédérale pendant 25 ans pour le Ottawa Citizen, Postmedia et iPolitics. Gagnante d'un prix du Concours canadien de journalisme, elle a aussi mené des recherches sur la fonction publique pour le compte du gouvernement fédéral et d'instituts de recherches.

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