Grâce à sa large recension de données, l’édition 2021 du Bilan de la fiscalité au Québec de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke permet non seulement de suivre l’évolution de la fiscalité québécoise dans le temps, mais aussi de la comparer à ses principaux partenaires économiques et à un éventail d’autres pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Évidemment, les données fiscales de cette édition n’intègrent pas encore les effets de la pandémie. Ce n’est qu’à partir de l’an prochain que les tableaux et les graphiques de ce document refléteront cet état des choses. La présente édition peut donc servir de référence pour la situation d’avant la COVID-19. En ce qui concerne l’après-COVID, certains s’inquiètent d’un éventuel alourdissement de la fiscalité par les gouvernements fédéral et du Québec pour contrer les effets de la pandémie sur les finances publiques. Seul le temps nous dira ce qu’il en est, et les tableaux et les graphiques des futures éditions en dresseront le portrait.
Bien sûr, le Bilan ne présente qu’un côté de la médaille : les recettes fiscales et leur poids dans l’économie. En 2019, les administrations publiques au Québec ont engrangé des recettes de 179 milliards de dollars, ce qui résulte en un taux de pression fiscale de 38,9 % en proportion du PIB. Comme par le passé, le poids de la fiscalité demeure plus élevé au Québec que dans toute autre province canadienne. Comparativement aux autres pays de l’OCDE, le Québec se situe dans le tiers supérieur à ce chapitre. De plus, malgré les baisses fiscales récentes, la tendance du poids de la fiscalité demeure à la hausse.
Pour ce qui est de l’autre côté de la médaille, les dépenses, le Panorama des finances publiques, une autre publication annuelle de la Chaire en fiscalité et en finances publiques, montre que les dépenses publiques sont plus élevées au Québec que dans le reste du Canada (dans son ensemble) et dans les pays de l’OCDE. Le Québec se classe au septième rang pour ce qui est des dépenses totales de ses administrations publiques. Ainsi, l’interventionnisme de l’État au Québec ne se manifeste pas seulement par une fiscalité plus forte, il sert aussi à dépenser davantage, à financer davantage de services publics.
Un autre aspect mérite donc notre attention : de quelle manière les recettes sont-elles prélevées ? Ce n’est pas la première fois que le Bilan indique que le Québec et l’ensemble du Canada, comparativement à d’autres pays dans le monde, recourent davantage à l’impôt sur le revenu et utilisent moins les taxes de vente et d’accise pour obtenir des revenus. Ce phénomène s’avère plus important aujourd’hui qu’il ne l’était au début des années 1980, ni Québec ni le Canada n’ayant suivi la tendance des autres pays de l’OCDE.
En effet, pendant que les pays de l’OCDE augmentaient en moyenne le poids de leurs taxes de vente et d’accise de 1,5 point de pourcentage du PIB entre 1981 et 2019 et réduisaient le poids de leurs impôts sur le revenu ― il a diminué de 1,9 point de pourcentage du PIB ―, le Québec faisait plutôt le contraire. Malgré le sentiment répandu que les taxes de vente et d’accise ont augmenté au Québec, leur poids dans l’économie est en réalité moins important aujourd’hui qu’il ne l’était en 1981. En 2019, il était de 24 % plus bas que la moyenne des pays de l’OCDE, tandis que le poids de l’impôt sur le revenu était de 66 % plus élevé. Il ne s’agit donc pas de minces écarts.
Malgré le sentiment répandu que les taxes de vente et d’accise ont augmenté au Québec, leur poids dans l’économie est en réalité moins important aujourd’hui qu’il ne l’était en 1981. En 2019, il était de 24 % plus bas que la moyenne des pays de l’OCDE, tandis que le poids de l’impôt sur le revenu était de 66 % plus élevé.
En matière de fiscalité des sociétés, on évoque souvent les taux d’imposition des bénéfices moins élevés qu’avant qui pourraient relativiser le portrait présenté plus haut. Les données apportent un éclairage nuancé, tant pour la moyenne des pays de l’OCDE que pour le Québec. Au sein de l’OCDE, le taux moyen d’imposition des bénéfices a effectivement chuté de moitié, passant de 47,5 % en 1981 à 23,7 % en 2019. Au Québec, au cours de la même période, si le poids de ce mode d’imposition a progressé de 2,3 % du PIB en 1981 à 3,0 % en 2019, le taux combiné d’imposition des bénéfices (taux du fédéral et de la province) a aussi diminué de près de la moitié, passant de 50,8 % en 1981 à 26,6 % en 2019. Cependant, encore une fois, le poids de l’impôt des sociétés dans l’économie a progressé entre 1981 et 2019, passant de 2,6 à 4,5 %.
Enfin, il importe également de dire quelques mots sur ce qu’on pourrait appeler le « paradoxe canadien » de la fiscalité des familles au Québec et ailleurs au Canada. Dans plusieurs situations de famille, surtout dans des ménages avec des enfants, le Québec se distingue par sa faible charge fiscale nette. En effet, pour une famille québécoise biparentale avec deux enfants et dont le revenu familial est d’environ 52 000 dollars (soit le salaire moyen d’un seul salarié), la charge fiscale nette est la plus faible des pays de l’OCDE en 2019. On obtient sensiblement le même résultat pour le Canada : dans les mêmes conditions, il arrive au troisième rang parmi les 37 pays de l’OCDE.
Cependant, même dans des cas où la charge fiscale nette est faible, il peut arriver qu’un accroissement minime du revenu familial entraîne une forte ponction fiscale sur ce revenu additionnel. C’est ce qu’on appelle le « taux effectif marginal d’imposition » (TEMI). Il a été démontré que, dans le cas d’un salaire moyen, un accroissement du revenu de travail de 1 % (environ 520 dollars) peut faire augmenter le TEMI de 71,9 % au Québec. De tous les pays de l’OCDE, seul le Canada fait pire que le Québec à ce chapitre, avec un TEMI de 73,1 %. Il faut donc apporter des précisions, tant pour le Canada que pour le Québec : la charge fiscale nette d’une famille biparentale avec deux enfants est très faible, mais l’incitation à accroître son revenu, même légèrement, est aussi faible.
Dans cette situation, le contribuable québécois se retrouve entre « le confort et l’indifférence » : le confort relatif d’avoir le meilleur ratio de revenu disponible après impôt, cotisations et prestations par rapport au revenu de travail, mais l’indifférence à accroître sa charge de travail étant donné que, parvenu à ce niveau de revenu, le ménage ne conserve que 28,1 % de chaque portion de 100 dollars de revenu de travail supplémentaire. En effet, l’augmentation de l’impôt et des cotisations ainsi que les pertes de prestations grugeront son revenu supplémentaire. Si ce phénomène n’est pas propre au Québec ― il existe aussi à l’échelle canadienne et ailleurs dans le monde ―, il s’avère par contre beaucoup plus important ici qu’au sein de l’OCDE. En conséquence, même si cette situation est bien connue depuis le Livre blanc sur la fiscalité de 1984, les gouvernements, le fédéral en premier lieu, doivent poursuivre leurs efforts pour promouvoir les incitations financières au travail, et ce, en tout temps.