Parler de constitution, c’est détourner l’attention des vrais problé€mes, affirme Gordon Campbell, premier ministre de la Colombie-Britannique. Il s’agit laÌ€ d’une opinion répandue face aÌ€ la proposition du gouvernement Charest d’adopter une charte du fédéralisme. Mé‚me au Québec, plusieurs citoyens souffrent encore de « fatigue constitutionnelle » et partagent l’avis de Campbell.
Pourtant, c’est la Constitution qui dicte ce que peuvent faire et ne pas faire les gouvernements provinciaux et fédéral pour résoudre ces soi-disant vrais problé€mes. AÌ€ chaque fois qu’émerge un vrai problé€me, les gouvernants devraient se questionner sur les contraintes qu’im- pose la Constitution et les outils qu’elle leur fournit. Et si ceux-ci s’avé€rent inadéquats, des mesures de nature cons- titutionnelle devraient é‚tre envisagées. Autrement dit, dissocier la question constitutionnelle des vrais problé€mes réduit inutilement la gamme des solu- tions aÌ€ la disposition des gouvernants.
Quant au contenu possible d’une charte du fédéralisme, le gou- vernement Charest a évoqué deux idées : limiter le pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compé- tence des provinces et reconnaiÌ‚tre le caracté€re distinct de la société québé- coise. Deux revendications québécoises aÌ€ propos desquelles de nombreux pro- jets d’ententes intergouvernementales ont échoué dont l’Accord du lac Meech. Le refus de Campbell et des autres premiers ministres provinciaux d’abor- der un projet de charte du fédéralisme n’est certainement pas sans lien avec les cicatrices laissées par l’échec de Meech. En revanche, le gouvernement Charest serait mal avisé d’abandonner ces deux revendications traditionnelles. En plus de porter sur l’inconfort qu’a causé le rapatriement constitutionnel de 1982, elles font écho aux préoccupations identitaires québécoises exprimées au cours de la dernié€re année, notamment dans le cadre du débat sur les accom- modements raisonnables.
Le projet de charte du fédéralisme pourrait éviter les écueils de Meech en incluant, en plus des dispositions iden- titaires ché€res aux Québécois, des moyens pour résoudre des problé€mes contemporains qui ne sont pas spéci- fiques au Québec, de façon aÌ€ obtenir l’appui de ceux qui partagent présente- ment l’avis de Gordon Campbell.
Cela permettrait au gouvernement Charest de présenter son idée de charte du fédéralisme comme un moyen d’ac- croiÌ‚tre la capacité des provinces aÌ€ résoudre de vrais problé€mes. Il pourrait notamment insister sur l’intéré‚t d’une telle charte aÌ€ la lumié€re des enjeux inscrits aÌ€ l’agenda du Conseil de la fédération, par exemple la réduction des émissions de gaz aÌ€ effet de serre, un enjeu que plusieurs considé€rent comme un vrai problé€me. En effet, l’atteinte des objectifs gouvernemen- taux dans ce domaine pourrait é‚tre compromise si une réflexion constitu- tionnelle devait é‚tre exclue.
Les interventions gouvernemen- tales en environnement ont pour source le partage constitutionnel des compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces dans des domaines aussi variés que l’agriculture, les pé‚cheries, le commerce, la santé et les ressources naturelles. Les problé€mes environnementaux que nous connais- sons aujourd’hui n’étaient pas aÌ€ l’ordre du jour au moment d’inscrire dans la Constitution les responsabilités des deux ordres de gouvernement dans chacun de ces domaines. Il serait donc normal que les gouvernements réfléchissent aux contraintes de la
Constitution et aux outils qu’elle leur fournit en matié€re de protection de l’environnement ”” et l’élaboration d’une charte de la fédération pourrait é‚tre l’occasion pour ce faire. Vu sous cet angle, le projet de charte du fédéralisme serait plus attrayant pour les provinces canadiennes-anglaises.
Mais cette stratégie d’inclure des préoccupations canadiennes anglaises comporte elle aussi des diffi- cultés bien illustrées par l’échec de l’Entente de Charlottetown, cette fois- ci. C’est sans doute aÌ€ la lumié€re de ces problé€mes que Jean Charest a prévenu les Québécois qu’il est irréaliste d’at- tendre qu’une charte du fédéralisme puisse é‚tre inscrite dans la Constitution aÌ€ court terme. Comme Charlottetown, l’adoption d’une telle charte exigerait l’accord unanime des provinces et du gouvernement fédéral. Cependant, la tradition constitu- tionnelle canadienne accorde une valeur quasi constitutionnelle aÌ€ des lois et des conventions non écrites. En vertu de cette tradition, une charte du fédéralisme qui susciterait l’adhésion du gouvernement fédéral et de plusieurs provinces ne serait pas sans effet, mé‚me si elle n’était pas inscrite directement dans la Constitution.
Le compromis que le gouvernement fédéral a façonné au printemps dernier en vue de réduire le déséquilibre fiscal illustre combien il est difficile d’obtenir l’accord unanime des provinces cana- diennes. Mais il montre aussi qu’il est possible de réconcilier des préoccupa- tions québécoises avec celles de plusieurs autres provinces anglophones.