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(English version available here)
Statistique Canada a publié un sondage révélant qu’en 2023 seulement 28 % des Canadiens faisaient confiance au Parlement du Canada. De nombreuses analyses, notamment de l’OCDE, en 2024, soulignent un lien étroit entre la transparence publique et la confiance des citoyens envers les institutions. Le gouvernement du Canada affirme, pour sa part, que la confiance du public peut être renforcée grâce à des mécanismes de transparence, notamment en améliorant les lois d’accès à l’information.
La Suède est souvent présentée comme un pays à émuler en matière de transparence publique et d’accès à l’information. Mais dans quelle mesure l’adoption de pratiques à la Suédoise pourrait-elle renforcer la confiance des Canadiens envers leurs institutions publiques? Dans un contexte de polarisation, de désinformation et de mésinformation croissantes, ces pratiques risquent-elles d’être instrumentalisées par des partis populistes et exacerber la crise de confiance envers les institutions démocratiques?
La réponse n’est pas simple, mais la question mérite d’être soulevée. Si la Suède est un modèle en matière de lutte contre la corruption et de transparence publique, l’ascension rapide depuis environ 15 ans des Démocrates de Suède , un parti anti-immigration associé à l’extrême droite, soulève néanmoins de nouvelles interrogations notamment depuis que ce parti appui la coalition au pouvoir.
La transparence : un levier pour renforcer la confiance
Dans un rapport publié en 2024, l’OCDE examine les facteurs influençant la confiance envers les institutions publiques. L’organisation met en évidence une situation préoccupante : une part importante de la population exprime une confiance limitée envers les gouvernements nationaux. Ainsi, 44 % des personnes interrogées dans 30 pays déclarent avoir peu ou pas confiance en leur gouvernement, tandis que seulement 39 % affirment lui accorder une confiance élevée ou modérée.
Pour l’OCDE, la transparence publique et la liberté de la presse sont étroitement liées à la perception d’une intégrité élevée des institutions publiques et à une réduction de la corruption. De plus, de nombreux chercheurs s’accordent à dire que la confiance des citoyens envers leurs institutions est un élément fondamental d’une bonne gouvernance. La transparence publique est considérée comme un levier clé pour renforcer cette confiance. En conséquence, de nombreux pays ont rapidement mis en place des lois garantissant l’accès à l’information.
Le modèle suédois d’ultra transparence
Contrairement aux attentes, la Suède règlemente peu le financement des partis politiques et la pratique du lobbyisme. Une unité anticorruption existe en Suède, mais l’essentiel de l’arsenal anticorruption se trouve ailleurs. C’est la liberté de la presse et les mécanismes d’accès à l’information qui sont la clé de la lutte contre la corruption.
La liberté de la presse est un principe fondamental en Suède. Pour preuve, la première loi sur la liberté de la presse date de 1766 ! Cette loi, en plus de protéger la liberté d’expression, donne aux Suédois le droit d’accéder à tout document public. L’application de cette loi va beaucoup plus loin qu’aucune loi québécoise ou canadienne. Aucune agence ou organisation publique suédoise n’échappe à ce droit d’accès à l’information.
Les dispositifs de transparence publique imposent aux agents publics de rendre compte de leurs activités et de leurs dépenses professionnelles. Les élus doivent déclarer les entreprises ou les employeurs avec lesquels ils ont eu des relations dans le passé ainsi que leurs intérêts financiers actuels, qui sont rendus accessibles au public. Par exemple, les fonctionnaires sont tenus de divulguer toute source de revenus supplémentaire et les cadeaux reçus dans l’exercice de leurs fonctions. Par ailleurs, les salaires des fonctionnaires et des élus sont également publiés.
De plus, chaque année, l’État suédois publie en ligne le Taxeringskalendern, une publication officielle dans laquelle on trouve les déclarations de revenus de chaque citoyen suédois. Le site Ratsit dévoile également de très nombreuses informations qui sont considérées comme privées au Canada, comme les salaires, les renseignements sur le crédit ou le solde des dettes auprès des huissiers de tous les Suédois!
L’Ombudsman : une invention de la Suède
En Suède, les acteurs publics savent que les documents officiels sont directement accessibles en ligne et examinés par les journalistes. Les médias bénéficient également d’un soutien financier public important, ce qui permet de maintenir un secteur médiatique diversifié et compétent. Cette transparence accrue crée une forte vigilance : les élus et les fonctionnaires sont pleinement conscients qu’ils évoluent sous un contrôle public constant, comparable à celui d’une « maison de verre », où le moindre faux pas pourrait déclencher un scandale.
De plus, la loi protège les fonctionnaires qui divulguent de l’information aux médias. Ces derniers ont le droit de garder l’anonymat, et ça constitue un crime, en Suède, que de dévoiler l’identité d’un dénonciateur. La législation suédoise est pensée de manière à rendre la dénonciation de tout acte de corruption facile, à faible coût et peu risquée.
Par-delà les lois facilitant la dénonciation et l’accès à l’information, la présence d’« ombudsman », une invention suédoise depuis 1809, et d’audits réguliers favorise la culture de la transparence en plus de mettre de la pression sur les acteurs publics. Ces institutions sont perçues comme des gardiens de l’éthique.
Une brèche pour la montée de l’extrême droite
Cette transparence ultime a permis aux médias de révéler certains scandales dans les dernières années. Historiquement reconnue pour sa bonne gouvernance, la Suède a vu sa réputation ébranlée par une série de révélations liées à la corruption et à l’utilisation abusive des fonds publics.
En tirant parti de ces scandales, les Démocrates de Suède se sont positionnés comme une alternative morale à l’élite politique en place, attirant un nombre croissant d’électeurs désillusionnés. Selon une étude récente, les enquêtes d’opinion montrent que les membres et sympathisants du parti affichent des attitudes marquées par un fort rejet de l’establishment et une posture anti-immigration, des traits qui les différencient des autres partis suédois. Leurs discours soulignent fréquemment les cas où les politiciens traditionnels ne respectent pas les valeurs progressistes ou égalitaires qu’ils défendent publiquement.
Les Démocrates de Suède ont su utiliser les scandales comme un outil politique puissant pour renforcer l’image d’un establishment corrompu et moralement défaillant. Par exemple, des affaires telles que la mauvaise gestion des fonds publics ou les méthodes controversées visant à forcer les personnes âgées ou ayant un trouble mental à acheter des billets de loterie pour financer un parti politique ont été exploitées par le parti pour critiquer vigoureusement l’intégrité des formations traditionnelles.
Ces scandales ne sont pas seulement présentés comme des échecs individuels, mais comme des symptômes d’un dysfonctionnement plus large du système politique suédois. Parallèlement, des études ont montré que la confiance politique est étroitement liée à la confiance sociale, qui peut être définie par une croyance en l’honnêteté, l’intégrité et la fiabilité des autres. Ainsi, il en ressort que la Suède a aussi connu une forte baisse de la confiance ces dernières années.
La désinformation et le populisme en cause
Cette stratégie nourrit la méfiance envers les partis établis et renforce la crédibilité des Démocrates de Suède, qui se positionnent comme les défenseurs d’une politique « propre » et d’un retour aux valeurs morales traditionnelles. Ce message résonne particulièrement auprès des électeurs déjà désabusés par les partis ayant historiquement dominé la scène politique suédoise.
En 2024, le parti a été accusé d’exploiter une « usine à trolls » active sur les réseaux sociaux. Sur une période de trois mois, cette opération aurait généré collectivement 27 millions de vues sur différentes plateformes, amplifiant ainsi l’influence médiatique du parti et ses discours politiques.
On ne peut pas déduire du cas suédois qu’il serait nécessaire de revenir à une politique menée à l’abri des regards pour éviter la montée de partis populistes ou pour réinstaurer la confiance. Sur le long terme, la Suède demeure un modèle de gouvernance duquel on devrait s’inspirer. En cette époque marquée par la postvérité, le véritable problème d’effritement de la confiance ne réside donc pas dans le manque ou non de transparence publique, mais dans les stratégies de désinformations des politiciens populistes, ces ingénieurs du chaos. Il ne faut pas se tromper de cible.