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Les Canadiens s’apprêtent à choisir leur prochain gouvernement, qui devra faire face à une Maison-Blanche protectionniste et imprévisible. Dans ce contexte, le Canada pourrait se replier sur lui-même pour protéger son économie et ses emplois.

Bien que cette réaction semble logique devant le comportement erratique de notre voisin du sud, elle risque de faire oublier un géant économique largement inexploité de l’autre côté de l’Atlantique : l’Afrique.

Quel que soit le parti qui remportera les prochaines élections, qu’il forme un gouvernement majoritaire ou minoritaire, les débats sur l’économie et l’immigration façonneront la conversation nationale. Et une attention particulière sera portée aux relations avec les États-Unis.

Une puissance économique montante

Ces évolutions et leurs conséquences représentent une occasion unique pour le Canada de renforcer son engagement envers l’Afrique, au bénéfice des deux parties.

Des initiatives comme la Politique d’aide internationale féministe du Canada et la Stratégie de coopération économique Canada-Afrique ont été mises en place par l’actuel gouvernement libéral. Pourtant, l’engagement du Canada auprès des nations africaines est peu structuré et reste limité par son ampleur et sa diversité.

La croissance démographique et économique rapide de l’Afrique offre des perspectives remarquables mais pose aussi des défis de taille.

L’explosion démographique de l’Afrique est l’un des phénomènes les plus marquants du 21e siècle. Selon la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, le continent comptera environ 2,5 milliards d’habitants d’ici 2050, dont une grande proportion de jeunes de moins de 25 ans.

En plus d’être un vaste marché de consommation, l’Afrique regorge d’entrepreneurs talentueux et d’une main-d’œuvre capable de stimuler l’innovation dans divers secteurs. Par ailleurs, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) met en garde contre les perturbations climatiques déjà en cours en Afrique — sécheresses, inondations et pénuries de ressources — qui attisent les conflits et les déplacements de population.

Les données économiques montrent clairement que l’Afrique mérite une plus grande attention et une coopération accrue. Ces dernières années, des pays comme l’Éthiopie et la Côte d’Ivoire ont enregistré des taux de croissance du PIB supérieurs à la moyenne mondiale, prouvant que les économies africaines contribuent de plus en plus à la prospérité mondiale.

Alors que le libre-échange en Amérique du Nord est menacé, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) crée un marché de 1,5 milliard de personnes et devrait dépasser les 3,4 billions de dollars américains en valeur, transformant ainsi le paysage commercial et économique du continent.

Sans un dialogue approfondi avec l’Afrique, le Canada, traditionnellement lié aux États-Unis, risque de perdre des occasions précieuses en matière de commerce, d’investissement et d’innovation.

Diversification des échanges et coopération climatique

Face à la montée du protectionnisme, non seulement aux États-Unis mais dans le monde entier, le Canada doit adopter une approche tournée vers l’avenir pour diversifier ses échanges commerciaux. Ce défi s’est accentué avec la réélection d’un président mercantiliste, Donald Trump, et ses menaces de tarifs douaniers.

Une stratégie plus équilibrée, intégrant activement les marchés africains émergents, permettrait de réduire l’exposition du Canada à ces risques.

Cette initiative pourrait inclure un groupe de travail au sein d’Affaires mondiales Canada, chargé d’ouvrir de nouveaux partenariats commerciaux avec les pays membres de la ZLECA. Une collaboration avec Exportation et développement Canada (EDC) aiderait à atténuer les risques financiers et à soutenir les entreprises canadiennes souhaitant pénétrer ces marchés en croissance.

La sécurité climatique est un autre domaine où le Canada aurait beaucoup à gagner à travailler avec les pays africains.

Les changements climatiques influencent déjà les migrations, attisent les conflits liés aux ressources et mettent à l’épreuve les systèmes d’aide humanitaire — des défis qui dépassent les frontières nationales. En favorisant la coopération sur l’adaptation climatique, la gestion des ressources en eau et les énergies renouvelables, le Canada pourrait renforcer la stabilité régionale tout en créant de nouvelles opportunités de marché pour ses secteurs de l’énergie propre et des technologies.

Ces efforts conjoints pourraient prendre la forme d’un partenariat Canada-Afrique sur la sécurité climatique. Il réunirait des agences gouvernementales, des ONG, des entreprises et des institutions académiques pour partager les connaissances, renforcer les capacités et développer des systèmes d’alerte face aux urgences climatiques.

Le pouvoir de la diaspora africaine

Le rôle de la diaspora africaine au Canada est tout aussi crucial. L’immigration a toujours été un moteur de croissance pour le pays, et l’Afrique offre des perspectives uniques d’innovation et de collaboration intercontinentale.

Des professionnels qualifiés dans des domaines comme la santé, l’ingénierie et la technologie peuvent aider les entreprises canadiennes à adapter leurs produits et services aux marchés africains tout en surmontant les barrières culturelles et réglementaires. Encourager des missions commerciales dirigées par des entrepreneurs de la diaspora et des accélérateurs d’entreprises, avec le soutien des gouvernements locaux et provinciaux, pourrait générer des alliances bénéfiques pour les économies canadienne et africaine.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pourrait également explorer des voies d’immigration spécialisées et des programmes de bourses destinés aux professionnels et étudiants africains, enrichissant ainsi le bassin de talents du Canada et renforçant les liens entre les deux régions.

Limiter la vision de l’Afrique à son potentiel économique ou à l’aide humanitaire est trop réducteur. Sa jeunesse et l’évolution de ses institutions laissent entrevoir un potentiel immense pour une collaboration transatlantique accrue.

En respectant l’autonomie des Africains dans leurs priorités de développement et en investissant dans des partenariats de renforcement des capacités à long terme, le Canada peut se positionner non seulement comme un donateur ou un prospecteur de marchés, mais aussi comme un allié durable dans la transformation de l’Afrique.

Le prochain gouvernement a une occasion rare de recalibrer la politique étrangère du Canada afin de mieux s’adapter à un ordre mondial en évolution rapide. En diversifiant ses échanges commerciaux, en consolidant ses liens à travers des initiatives de sécurité climatique et en exploitant le potentiel de la diaspora africaine, le Canada pourra défendre ses intérêts économiques et géopolitiques et jouer un rôle clé dans le développement de l’Afrique.

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Zack Ahmed
Zack Ahmed est titulaire d'une bourse de doctorat du CRSH en gouvernance mondiale à la Balsillie School of International Affairs et chercheur chez MIFOOD Networks. Avec plus de 14 ans d'expérience en politique publique, en gouvernance mondiale et en développement international, il a travaillé sur des projets intersectoriels - couvrant des organisations privées, publiques et à but non lucratif à travers l'Afrique et le Canada.

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