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Les négociations sur les changements climatiques à la COP28, qui se sont tenues à Dubaï en décembre, se sont terminées avec éclat.
Pour la première fois en 30 ans de réunions annuelles, le monde a finalement désigné le coupable du réchauffement climatique qui met en péril la planète et ses habitants : les énergies fossiles. Les participants ont convenu de « sortir des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action au cours de cette décennie cruciale. »
Le signal est clair : l’ère des énergies fossiles tire à sa fin. La transition de ces sources d’énergies polluantes et dangereuses – le pétrole, le gaz et le charbon – vers les énergies renouvelables est en cours.
Le président américain Joe Biden a récemment suspendu les autorisations d’exportation de gaz naturel liquéfié. L’Agence internationale de l’énergie nous apprend que pour chaque dollar américain dépensé aujourd’hui dans les fossiles, 1,80 $ est désormais consacré aux technologies et aux infrastructures liées aux énergies propres. Il y a cinq ans, cette proportion était d’un pour un.
Nous avons maintenant besoin d’actions de nos gouvernements pour garantir que la transition énergétique soit suffisamment rapide, juste et internationale. Sinon, nous ne parviendrons tout simplement pas à limiter les conséquences les plus graves des changements climatiques.
Le Canada doit agir rapidement et en premier
L’accord de Paris de 2015 reconnaît que l’abandon des combustibles fossiles ne se fera pas de la même manière dans tous les pays.
En tant que pays riche et grand pollueur, le Canada devrait être parmi les premiers à agir. Nous sommes le quatrième producteur mondial de pétrole brut – avec une responsabilité historique substantielle pour les émissions mondiales – et l’un des cinq principaux pays responsables de 51 % de l’expansion mondiale prévue de l’exploitation du pétrole et du gaz jusqu’en 2050.
Le Canada a réalisé des progrès importants dans la poursuite de ses objectifs de réduction des émissions, même s’il lui reste encore beaucoup à faire pour assumer sa juste part de l’effort mondial en faveur du climat.
Un rapport d’étape exigé par la loi et publié à la fin de l’année dernière montre que le gouvernement est sur la voie de dépasser son objectif intermédiaire de 2026, qui consiste à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % sous les niveaux de 2005.
Mais plus le gouvernement tarde à s’attaquer à l’éléphant surdimensionné dans la pièce – le secteur pétrolier et gazier – plus le risque de ne pas atteindre l’objectif du Canada pour 2030 augmente. Les émissions des entreprises du secteur fossile augmentent depuis des années, alors que celles-ci diminuent dans les autres secteurs de l’économie.
Le cadre publié par le gouvernement fédéral pour plafonner les émissions du secteur pétrolier et gazier reconnaît que l’industrie, laissée à elle-même, ne contribuera pas à sa juste mesure aux efforts nationaux du Canada en matière de climat.
Toutefois, la proposition actuelle prévoit que la réglementation n’entrera en vigueur qu’en 2026, soit cinq ans après que le gouvernement fédéral a promis un plafonnement sur les émissions.
L’importance d’une transition juste
Il ne sera pas possible d’avancer rapidement sans travailler avec les gens pour rendre l’économie plus durable d’une manière équitable et inclusive. Partout dans le monde, des acteurs de droite s’efforcent d’éroder les progrès durement acquis et de semer la désinformation sur les changements climatiques.
Ces tactiques se sont avérées efficaces parce que les décideurs n’ont pas défendu des politiques climatiques telles que des programmes d’emplois verts et les projets d’énergies renouvelables communautaires, qui placent les intérêts des travailleurs au-dessus de ceux des lobbies de l’industrie et des actionnaires.
Les décideurs n’ont pas non plus engagé les fonds publics nécessaires. Des pays comme le Canada ont plutôt donné la priorité à des mécanismes de marché tels que la tarification du carbone comme solution principale aux changements climatiques.
C’est pourquoi il est si important de veiller à ce que les travailleurs et les communautés ne soient pas laissés derrière et qu’ils aient leur mot à dire dans la planification de leur avenir commun. Lors de la COP28, les parties ont convenu d’un programme de travail pour discuter de la voie à suivre pour une transition juste, ce qui élargit la portée de la conversation publique limitée que nous avons à ce sujet au Canada.
Le gouvernement fédéral a édulcoré le concept pour se concentrer sur les emplois durables. Une proposition de loi sera bientôt soumise au Sénat. Celle-ci obligerait le gouvernement à planifier et à faire rapport sur l’impact de la transition sur les emplois – une contribution importante, mais insuffisante, au programme de travail né de la COP28.
Lorsqu’il élabore les plans prévus par la législation, le gouvernement doit soutenir les efforts de transition régionaux et locaux par le biais d’accords de planification pour la carboneutralité avec les organisations et les gouvernements autochtones, provinciaux et territoriaux.
Un guide créé par Sacred Earth Solar – une organisation dirigée par des femmes autochtones – ainsi que par d’autres groupes autochtones et écologistes, montre comment les communautés autochtones ouvrent déjà la voie en tant que plus grands propriétaires d’énergies renouvelables du pays (en dehors des services publics).
Les Premières Nations sont en première ligne face à l’impact de l’exploitation des ressources. Leurs droits et leur souveraineté sont la clé d’une transition véritablement juste. Une politique proactive est nécessaire pour éliminer les obstacles auxquels sont confrontées les communautés autochtones qui tentent de parvenir à la souveraineté en matière d’énergies renouvelables.
La transition ne sera pas internationale sans financement
La ministre colombienne de l’Environnement, Susana Muhamad, a déclaré haut et fort à Dubaï que notre système financier mondial obsolète punit l’action climatique au lieu de l’encourager.
Une transition rapide et équitable nécessite une augmentation significative des fonds alloués par la communauté internationale pour aider les pays du Sud à accéder aux énergies renouvelables. Sans ce soutien, l’abandon progressif des combustibles fossiles est impensable dans les pays à faible revenu dont les économies dépendent fortement du pétrole, du gaz et du charbon.
Les pays du Sud global sont également confrontés à des taux d’intérêt jusqu’à trois fois supérieurs à ceux des pays riches, ce qui rend les investissements initiaux dans les énergies renouvelables quasiment impossibles.
Le texte négocié à Dubaï reconnaît la nécessité d’atténuer les impacts climatiques, déjà bien réels, par des mesures d’adaptation – par exemple, l’édification de digues et de murs de protection, la limitation du développement dans les zones côtières et les zones inondables, et la restauration des mangroves – ainsi que par le financement des pertes et des dommages.
Un financement adéquat de la lutte contre les changements climatiques n’est pas seulement une question d’équité, c’est ce qui rendra la transition possible dans le contexte fiscal tendu.
Alors que nous entendons déjà les sirènes de l’austérité, le Canada ne manque pas de ressources pour payer sa part de ces coûts, tant sur son territoire qu’à l’étranger. Il s’agit de mieux redistribuer nos ressources pour qu’elles ne soient pas allouées aux énergies fossiles et aux super-riches, mais plutôt à des solutions qui apporteront des avantages tangibles aux personnes et aux communautés.
Le grand débat politique de la COP29, qui se tiendra en novembre en Azerbaïdjan, portera sur la manière dont les pays peuvent s’entendre sur un nouvel objectif de financement de la lutte contre les changements climatiques, au-delà de l’objectif actuel de 100 milliards de dollars par an.
Steven Guilbeault, ministre canadien de l’Environnement et du Changement climatique, a fait preuve d’habileté au cours des deux dernières années pour bâtir des ponts dans les négociations. Il devra travailler tout au long du calendrier diplomatique de cette année pour rendre possible un objectif collectif accru en matière de finances.
Cela signifie que le Canada doit continuer à plaider en faveur d’une approche à plusieurs niveaux pour couvrir toutes les actions climatiques, y compris l’atténuation, l’adaptation, les pertes et les dommages – ce à quoi les pays occidentaux ont résisté.
Pour prouver son engagement, le Canada doit également inverser la tendance inquiétante à la baisse de son financement de l’aide internationale, et augmenter sa prochaine promesse de financement de la lutte contre les changements climatiques.
Pas de temps pour le cynisme
Le cynisme est à la mode. Compte tenu de l’état de la planète, c’est une réaction facile face à une industrie fossile qu’on a laissée faire, jusqu’à mettre la planète en feu sans conséquences. Alors qu’une convergence de crises menace les Canadiens et le monde, nous avons pourtant encore la possibilité d’en limiter les pires impacts.
Elinor Ostrom, première femme à recevoir le prix Nobel d’économie, a conclu de ses recherches sur la gouvernance des ressources communes qu’il n’y a pas de panacée, seulement des possibilités. Les décideurs n’agiront que lorsque nous travaillerons ensemble pour construire un contrepoids collectif à l’industrie fossile et à ses alliés, qui profitent de la surchauffe de notre planète.
C’est à nous de rendre ces possibilités si attrayantes que les dirigeants n’auront d’autre choix que de les saisir.