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Nos animaux de compagnie sont précieux. Naturellement, nous voulons en prendre soin en ayant recours à des soins vétérinaires de qualité. Ce souhait semble toutefois de plus en plus mis à mal par le coût des soins.

La hausse du coût des soins aux animaux a plusieurs causes. Une partie s’explique par le système professionnel qui encadre les vétérinaires.

La profession vétérinaire, est encadrée par plusieurs lois et règlements dont le Code des professions, une loi datant déjà de plus de cinquante ans. Elle a créé le système professionnel québécois et défini le rôle des ordres en se fondant largement sur le principe de l’autonomie des professions.

À l’exception de la surveillance de l’exercice illégal d’une profession, le pouvoir des ordres professionnels s’exerce exclusivement sur les membres, entre autres en les rendant responsables de préserver leur autonomie et de respecter leur code de déontologie.

Alors que les structures à l’intérieur desquelles les vétérinaires travaillent sont de plus en plus lourdes et comprennent souvent plusieurs paliers, une question se pose : notre système professionnel protège-t-il encore le public? On parle beaucoup de protection du public dans la mission des ordres professionnels, mais on devrait aussi attirer l’attention sur leur rôle sociétal et sur l’arrimage entre l’offre de services des professionnels et les besoins du public — dans le cas de la médecine vétérinaire, les animaux (patients) et leurs propriétaires (clients).

L’emprise des multinationales

Cet arrimage ne se fait pas à forces égales quand l’offre de services est en grande partie déterminée par de grandes corporations, ce qui est très loin de ce qu’on appelle dans ma profession la relation vétérinaire-client-patient (RVCP). Plus les centres décisionnels sont près du triangle de la RVCP, plus les soins sont adaptés au patient et à sa famille.

En effet, des multinationales sont maintenant propriétaires d’un pourcentage significatif (26 %) de cliniques vétérinaires : environ 40 % des médecins vétérinaires du Québec y travailleraient. Nous semblons suivre la mouvance américaine avec quelques années de retard.

Ce phénomène n’est pas propre au secteur vétérinaire. Récemment, on rapportait que des cliniques médicales du Québec (pour humains, comme on dit dans le milieu) sont la propriété d’entreprises d’autres domaines, une réalité aussi répandue dans d’autres professions s’exerçant en cabinet privé.

En principe, selon les règlements sur l’exercice en société (ou incorporation des professionnels), les cabinets des professionnels de la santé devraient être exclusivement la propriété et sous le contrôle de ces derniers. C’est aussi le cas pour les vétérinaires : le règlement relatif aux médecins vétérinaires exige que toutes les actions avec droit de vote d’une société d’exercice de la médecine vétérinaire soient détenues par des médecins vétérinaires. La motivation derrière cette exigence est la préservation de l’autonomie professionnelle.

Ce principe est malheureusement mis à mal parce que la réglementation est assez facilement contournable ou sujette à interprétation, surtout lorsqu’on parle de structures administratives à paliers multiples. Comme les multinationales qui possèdent des cliniques vétérinaires sont parfois aussi propriétaires de marques de nourriture ou de laboratoires d’analyse, cela peut encourager l’intégration de tels services à ceux offerts par la clinique.

Certains diront que les fonds provenant d’investisseurs non professionnels ont certains effets positifs sur les services, par exemple sur la disponibilité d’équipements spécialisés (scan, imagerie par résonance magnétique, etc.). C’est probablement vrai, et cela bénéficie à la minorité de cas qui nécessitent ce type de technologie, mais à quel coût pour l’ensemble des clients ?

Préserver l’indépendance des professionnels

Comme d’autres professionnels, des médecins vétérinaires exercent dans des OBNL (comme les refuges pour animaux), même si cette possibilité n’est pas mentionnée de façon explicite dans les règlements sur l’exercice en société des ordres concernés. En principe, cela ne semble pas contraire à l’intérêt public, mais cette possibilité devrait être énoncée clairement dans la réglementation. On devrait aussi s’assurer que l’indépendance des professionnels y soit protégée. De même, il serait avantageux d’établir des modalités de formation de coopératives de professionnels. (Il existe présentement des coopératives médicales, mais ce sont des coopératives d’usagers et non de professionnels).

On aura beau insister sur les obligations déontologiques des professionnels et leur attribuer la responsabilité de préserver leur autonomie, celle-ci est menacée par des contextes organisationnels. La disponibilité du personnel de soutien, du matériel de laboratoire et de médicaments spécifiques, de même que l’organisation du travail sont des pratiques de gestion qui affectent le type et la qualité des soins offerts. Certes, de nombreux médecins vétérinaires préfèrent leurs activités médicales à la gestion. Alors, trouvons des modes de gouvernance qui respectent leur autonomie en matière de soins tout en confiant des responsabilités de gestion à des tiers.

La commission Charbonneau a été un important déclencheur de remise en question du système professionnel. Elle avait recommandé que « les firmes de services professionnels liées au domaine de la construction soient assujetties au pouvoir d’encadrement des ordres professionnels dans leur secteur d’activités ». On peut penser qu’à l’instar du domaine de la construction, la population aurait avantage à ce que d’autres milieux professionnels soient assujettis à un meilleur encadrement.

Québec a entrepris une réforme du système professionnel, qui inclut une modernisation du Code des professions. Il sera essentiel de soutenir les professionnels dans la préservation de leur indépendance dans tous les types d’organisations (société par actions, société en nom collectif à responsabilité limitée, OBNL, coopérative, etc.) et de fournir aux ordres professionnels des outils modernes pour encadrer leurs membres devant une réalité qu’ils contrôlent de moins en moins.

En plus de se pencher sur les structures de gouvernance, il faudra aussi que les ordres se prononcent sur les modes de rémunération et que ceux-ci respectant les codes de déontologie. Malgré la bonne volonté individuelle, certains modes de facturation peuvent exercer une influence (même inconsciente) sur le jugement professionnel, comme la rémunération à la commission, qui se répand chez les vétérinaires employés de multinationales. Les sections « Indépendance et désintéressement » des codes de déontologie des médecins vétérinaires, des dentistes et des optométristes semblent pourtant s’y opposer.

La préservation de l’indépendance des médecins vétérinaires est un moyen important de protéger le public en ramenant les décisions près du centre du triangle vétérinaire-client-patient. Agissons pendant qu’il est encore temps.

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Caroline Kilsdonk
Caroline Kilsdonk est médecin vétérinaire et bioéthicienne, ex-présidente de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec. Elle travaille présentement à son compte et à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.

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