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L’obsolescence programmée et la durée de vie plus courte des appareils électroniques font l’objet d’une prise de conscience mondiale. Des États envisagent maintenant de légiférer pour permettre aux utilisateurs de réparer ces objets, le Canada y compris.

On parle d’obsolescence programmée quand des fabricants raccourcissent délibérément la durée de vie utile des biens par divers moyens, afin de forcer les consommateurs à racheter ces produits.  Il peut s’agir d’utiliser des matériaux de mauvaise qualité et non durables ou de mettre en marché de nouveaux produits incompatibles avec les modèles existants. Ou, encore, de ne plus mettre à jour certains logiciels et de discontinuer des pièces de rechange qui permettraient d’allonger la durée de vie et l’utilisation d’un produit.

En réaction à ce phénomène, on observe un mouvement l visant à prolonger la durée de vie des objets pour ralentir notre rythme de consommation et lutter contre le gaspillage, notamment en permettant aux propriétaires de réparer eux-mêmes leurs appareils ou de les faire réparer par quelqu’un d’autre que les techniciens et les réseaux de service du fabricant.

Le Canada n’est pas le seul pays à se préoccuper du droit à la réparation. Plusieurs États américains ont adopté avec succès une loi sur la question. L’Union européenne a également adopté des mesures qui comprennent des normes sur les produits, la disponibilité obligatoire de pièces de rechange et d’autres exigences en faveur de la réparation pour les fabricants d’appareils.

Quand le droit de réparer se heurte au droit d’auteur

Après l’échec de la tentative de l’Ontario d’adopter une loi sur le droit à la réparation en 2019, le gouvernement fédéral a décidé de prendre la relève, les parlementaires de tous les partis ayant manifesté un vif intérêt pour adopter des réformes.

En 2021, le programme électoral du Parti libéral du Canada faisait déjà état du droit de réparer. Ce droit a depuis été mentionné à plusieurs reprises, notamment dans les lettres de mandat des ministres et dans le récent énoncé économique de l’automne.

Les premiers efforts au niveau fédéral se sont concentrés sur les restrictions liées au droit d’auteur – connues sous le nom de lois anti-contournement – qui rendent impossible l’évitement des mesures de protection technologiques ou des verrous numériques utilisés dans les logiciels, et qui sont présents dans presque tous les appareils informatisés ou « intelligents ». Par exemple, de tels verrous et contrôles logiciels sont omniprésents dans l’équipement et la machinerie agricole moderne. Les entreprises qui utilisent de telles protections préservent jalousement la propriété intellectuelle de leur innovation.

Les restrictions liées au droit d’auteur empêchent de décrypter ou de contourner ces protections, même lorsque l’objectif est de réparer un appareil. Souvent, les fonctions de l’appareil après une réparation seront limitées, à moins que la réparation ne soit authentifiée à l’aide d’un logiciel ou d’outils spéciaux que les fabricants ne mettent normalement pas à la disposition des consommateurs ou de techniciens indépendants.

La Loi sur le droit d’auteur interdit trois catégories d’activités liées aux tentatives de contournement des logiciels protégés :

  • Les actes privés par lesquels les individus contournent les contrôles d’accès aux logiciels de leur propre chef;
  • La fourniture de services de contournement ou le contournement des contrôles d’accès pour d’autres personnes sur une base commerciale;
  • La distribution, la fabrication ou la vente d’outils spéciaux ou des technologies nécessaires pour contourner ces contrôles. Il peut s’agir de câbles spéciaux, d’outils de craquage de logiciel, de mots de passe, de correctifs ou de clés de cryptage.

Les particuliers qui réparent des dispositifs chez eux – ou qui les bricolent et les modifient dans le cadre d’un projet personnel ou amateur – sont généralement engagés dans le contournement privé, tandis que les entreprises sont plus susceptibles d’être engagées dans les deux dernières activités. Il existe des exceptions à ces règles (par exemple, rendre les œuvres protégées par le droit d’auteur accessibles pour les personnes souffrant d’un handicap), mais la réparation n’en fait pas partie.

Certaines personnes ou réparateurs tenteront de trouver des moyens non autorisés ou légalement douteux de contourner ces mesures de contrôle. Or, ces initiatives posent des risques coûteux si le fabricant initial estime que sa propriété intellectuelle est bafouée. En 2017, la Cour fédérale a accordé plus de 12 millions de dollars à Nintendo pour la modification non autorisée de consoles de jeu par une petite entreprise.

Un projet de loi à portée réduite

Le premier grand effort de réforme pour lutter contre l’obsolescence programmée a eu lieu en 2021, lorsque le député libéral Bryan May a présenté le projet de loi C-272 visant à modifier la loi sur le droit d’auteur.  Le projet de loi est toutefois disparu dans la foulée de l’élection fédérale, la même année.

En février 2022, le libéral Wilson Miao a ressuscité l’idée avec le projet de loi C-244. Celui-là visait à autoriser les trois activités interdites à des fins de réparation, d’entretien ou de diagnostic de dispositifs informatisés. Il proposait aussi un droit de réparation significatif au Canada pour les particuliers et les entreprises indépendantes.

Or, des amendements peu débattus apportés au projet de loi en mai 2023 ont anéanti son objectif initial. Les modifications comprenaient une liste en apparence redondante d’œuvres protégées par le droit d’auteur qui pourraient être concernées par les exceptions de réparation proposées.

L’accent mis sur les enregistrements sonores en particulier a donné lieu à des interrogations sur l’intention des changements et ce qu’ils impliquaient. La préoccupation principale était que le langage législatif puisse être utilisé pour créer une exception pour certains appareils ou produits.

Le projet de loi C-244 est maintenant entre les mains du Sénat, et on en sait beaucoup plus sur les visées du projet de loi, ses amendements et leur impact pratique sur le droit de réparer au Canada. Les craintes d’une dérogation pour les appareils contenant des enregistrements sonores ont vraisemblablement été exagérées.

Toutefois, la formulation du projet de loi modifié sème la confusion chez les entreprises impliquées dans la réparation, ainsi que chez les défenseurs du droit à la réparation dans tout le pays. Cette confusion pourrait embourber le secteur de la réparation dans des technicalités concernant les risques commerciaux et juridiques, et l’empêcher d’atteindre ses fins.

En outre, les amendements apportés au projet de loi ne concernent que les actes privés et excluent les services commerciaux et les dispositifs de contournement que ceux-ci pourraient utiliser. Cela réduit considérablement le champ d’application du projet de loi dans sa forme initiale.

Ce faisant, le projet de loi risque de ne pas aider beaucoup les entreprises indépendantes qui effectuent des réparations numériques ou qui souhaitent distribuer ou vendre des outils de contournement spéciaux. Dans sa forme actuelle, la loi privilégie les personnes qui ont un penchant pour la technologie pendant leurs loisirs.

La portée limitée du projet de loi pourrait s’expliquer par les obligations commerciales internationales du gouvernement dans le cadre de l’accord Canada-États-Unis-Mexique. Les dispositions de cet accord relatives à la propriété intellectuelle limitent la marge de manœuvre du Canada pour élaborer de nouvelles exceptions à la Loi sur le droit d’auteur qui favorisent la réparation. Ainsi, la prochaine frontière de la politique canadienne en matière de droit à la réparation pourrait se situer au niveau du commerce international.

Que ce soit pour le secteur de l’automobile, les appareils médicaux ou les appareils ménagers, un droit canadien à la réparation doit soutenir les marchés secondaires et les entreprises indépendantes.

En ce sens, les décideurs doivent détailler plus précisément les types de réparations censées être couvertes par le projet de loi. Sinon, le droit à la réparation ne se déploiera jamais réellement à l’extérieur des murs du Parlement.

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Anthony Rosborough
Anthony Rosborough est professeur assistant aux facultés de droit et d’informatique de l’université Dalhousie et chercheur doctorant à l’Institut universitaire européen.
Alissa Centivany
Alissa Centivany est professeure adjointe à la faculté d’information et d’études médiatiques de la Western University et chercheur principal de deux subventions de recherche sur la réparation financées par le CRSH.

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