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En juin dernier, le gouvernement de François Legault formait un comité consultatif sur les enjeux constitutionnels, dans le but de mieux identifier les moyens de promouvoir les valeurs et l’identité distincte du Québec, de renforcer le respect de ses champs de compétences et d’assurer son autonomie dans la fédération canadienne.
Six mois plus tard, le comité présidé par deux juristes — l’ex-ministre libéral Sébastien Proulx et le professeur de droit et ex-candidat péquiste Guillaume Rousseau — présente un rapport étoffé comportant 42 recommandations. Ensemble, ses propositions constituaient une feuille de route exigeante mais plausible, une vision de ce qui pourrait être la place d’un Québec plus autonome dans une fédération canadienne décentralisée.
Le rapport commence par situer le Québec comme État-nation porteur d’une histoire et d’une identité propres et comme État fédéré dans une fédération qui reconnaissait dès le début, mais parfois avec réticence, son caractère distinct et son autonomie. Il fait ensuite brièvement état des multiples tentatives de réformes, qui n’ont jamais abouti à dégager un équilibre acceptable pour tous.
Les six auteurs — les deux co-présidents, ainsi qu’Amélie Binette et Catherine Mathieu (deux juristes), Luc Godbout (fiscaliste), et Martine Tremblay (ex-cheffe de cabinet de René Lévesque et consultante en affaires publiques) — marquent une rupture avec ces différentes tentatives en refusant d’emblée le retour à une méga-négociation constitutionnelle. Ils n’ont pas tort, puisque personne ne souhaite s’engager dans cette voie. Quand le gouvernement Couillard avait fait connaître sa propre orientation constitutionnelle, qui ne proposait modestement que de maintenir la conversation ouverte avec le reste du pays, Justin Trudeau avait refusé net d’en parler.
Le nouveau rapport, intitulé Ambition. Affirmation. Action., suggère plutôt d’additionner un à un les gains, en gardant pour objectif une meilleure reconnaissance du Québec, de ses compétences et de son autonomie. Plutôt que de camper sur la défensive en attendant une occasion qui ne viendra jamais, les auteurs dressent une liste des changements à faire et des gains à réaliser graduellement.
Libre-service constitutionnel
Compte tenu du blocage actuel, l’approche privilégiée est l’unilatéralisme, pour réaliser d’emblée ce qu’il est possible de faire sans demander à personne. Certaines réformes exigeront une approche bilatérale Québec-Ottawa et d’autres une démarche multilatérale. Mais ce sont là des voies plus difficiles, moins prometteuses.
Dominé par des juristes, le comité recommande notamment l’adoption d’une constitution québécoise codifiée, qui mettrait en place une « refonte » des règles fondamentales, des normes et des symboles en vigueur, afin d’affirmer la non-subordination du Québec dans l’ordre fédéral canadien et l’existence constitutionnelle de la nation québécoise.
Le comité propose également l’adoption d’une loi-cadre sur la défense et l’accroissement de la liberté constitutionnelle, inspirée de lois de ce type récemment adoptées en Alberta et en Saskatchewan, dans le but de mieux contrer les ingérences fédérales dans les compétences du Québec. Les auteurs envisagent aussi une modification de la Charte québécoise des droits et libertés, afin de mieux refléter les équilibres propres au Québec et les impératifs de la protection du français.
Ce sera aux juristes d’évaluer la portée concrète de ce volet juridique, qui semble largement symbolique. Cependant, les écueils potentiels de l’approche apparaissent négligés par un comité qui ne comptait ni sociologue, ni politologue : même en procédant de façon unilatérale, dégager des consensus sur la nation, l’identité, et les droits des uns et des autres n’est jamais simple. Ceux qui se souviennent des années Meech et Charlottetown peuvent facilement s’imaginer la difficulté de refaire un exercice du genre, même à l’échelle du Québec, à l’ère des médias sociaux.
Ça passe ou ça casse
En octobre 2023, les Australiens ont rejeté par référendum une réforme constitutionnelle modeste qui reconnaissait simplement les Aborigènes comme premiers habitants du pays et leur accordait une voix au sein d’un nouveau conseil consultatif. Pavée de bonnes intentions, cette tentative de réconciliation ratée a laissé les liens entre les peuples d’Australie en plus mauvais état qu’ils ne l’étaient déjà.
En 2022, les Chiliens ont voté contre un projet de réforme constitutionnelle rompant avec l’héritage de la dictature, jugé trop à gauche. Puis, en 2023 ils ont écarté une autre proposition, celle-là trop à droite. Le jeune président de gauche, Gabriel Boric, a finalement tourné la page et conclu qu’il n’y aurait pas d’autres tentatives. Comme quoi s’entendre sur les fondements et les institutions d’une nation est rarement facile.
Le comité consultatif reconnaît par ailleurs les limites de l’approche unilatérale. En ce qui concerne le partage des ressources fiscales, notamment, il faudrait nécessairement s’entendre avec Ottawa, sur une base bilatérale ou multilatérale. Ou, sinon, recourir aux tribunaux. C’est cette dernière approche que recommande le comité dans le cas des nouvelles manifestations du pouvoir fédéral de dépenser, comme le Régime canadien de soins dentaires, ou pour contester l’imposition d’un plafond au programme de la péréquation.
Le comité propose par ailleurs d’ouvrir des négociations afin de remplacer les transferts fédéraux pour la santé et les programmes sociaux par l’octroi d’un espace fiscal accru au Québec, avec la cession en particulier de tous les revenus de la taxe sur les produits et services. Il favorise également une déclaration unique de revenu administrée par Revenu Québec.
Merci, mais non merci?
Dans le cas du fédéralisme fiscal, la difficulté reste bien sûr de convaincre le gouvernement fédéral de renoncer à des ressources et à des pouvoirs dont il dispose en échange, au mieux, de tièdes remerciements. Le Québec, en effet, n’a rien à offrir comme contrepartie pour une telle décentralisation et on voit mal pourquoi Ottawa accepterait de jouer le jeu. « La règle d’or du fédéralisme fiscal », disait l’économiste canadien Tom Courchesne, « c’est que celui qui a l’or fait la règle ».
Certaines manœuvres pourraient mal tourner. Une contestation ratée devant les tribunaux pourrait par exemple étayer davantage la capacité fédérale d’intervention dans un champ de compétence du Québec. Le comité estime un peu légèrement cette possibilité, en notant simplement qu’advenant une décision défavorable le gouvernement du Québec n’aurait qu’à « poursuivre le combat ». C’est Leonard Cohen qui parlait de « perdants magnifiques »?
Un troisième volet concerne la participation du gouvernement du Québec aux nominations fédérales pour les postes de juge et pour celui de lieutenant-gouverneur, de même que l’amorce d’un processus pour réformer le Sénat. D’autres recommandations concernent l’immigration, la culture et les relations internationales.
La voie à suivre
Ce rapport sur la place du Québec dans la fédération a le grand mérite de mettre sur la table et d’articuler les revendications du Québec, tout en amorçant la réflexion sur la façon de réaliser ses aspirations. Les membres du Comité privilégient l’unilatéralisme quand c’est possible, mais ils reconnaissent également la nécessité d’ententes bilatérales ou multilatérales, sur les questions financières notamment.
Les différentes recommandations sont parfois en tension les unes avec les autres. On parle, par exemple, de contester l’existence même de programmes justifiés par le pouvoir fédéral de dépenser mais aussi de reconnaître au Québec un droit de retrait avec pleine compensation pour de tels programmes.
Mais l’écueil principal relève de la politique des réformes envisagées. Pour se donner une constitution et un régime de citoyenneté complet, le Québec doit amorcer un vaste processus de délibération qui risque de créer des tensions, peut-être même de s’enflammer. L’affaire est donc moins simple qu’elle n’apparaît. Sur le plan fiscal, l’obstacle est encore plus imposant, puisque tout progrès exige un recul consenti du gouvernement fédéral.
Ceci étant dit, ce rapport sur les enjeux constitutionnels présente une feuille de route cohérente pour le gouvernement du Québec, une sorte d’horizon politique qui indique la voie à suivre pour les années qui viennent. Sa mise en œuvre sera difficile et souvent reportée. Mais on a maintenant un ensemble explicite d’objectifs à poursuivre, afin de mieux reconnaître la spécificité et l’autonomie du Québec dans la fédération canadienne.