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Les grands gains en capital sont-ils si exceptionnels? Et sont-ils plus ou moins répartis dans la population, ou sont-ils réalisés de façon répétée au sein d’un groupe restreint?

Dans le premier texte de cette série, nous nous sommes penchés sur les principales caractéristiques des contribuables touchant des gains en capital de 250 000 $, dont l’imposition a fait l’objet d’une réforme lors du budget fédéral 2024 : qui sont-ils, combien sont-ils, quels est la hauteur de leurs gains, et où habitent-ils? Dans cette deuxième partie, nous analysons la fréquence et l’ampleur des gains de grande importance.

Le gain en capital est un impôt différé sur l’accumulation de plusieurs années d’appréciation de la valeur d’un bien. Il est donc pertinent d’étudier sa distribution dans le temps pour les mêmes individus. L’imposition du gain en capital n’a pas les mêmes conséquences en termes de réduction des écarts de revenus si le gain en capital est une source de revenus ponctuelle que s’il s’agit d’une source de revenus récurrente.

Le tableau 2, ci-dessous, présente des résultats concernant l’ensemble des contribuables ayant effectué au moins une déclaration entre 2012 et 2021. On doit noter qu’une part importante de ces personnes ont produit une déclaration à chacune de ces années; que certains en ont produit jusqu’à leur décès; et que certains n’ont commencé à faire leurs déclarations qu’en cours de période.


Pour l’ensemble de la période de 10 ans, on cumule 32 661 105 contribuables distincts ayant produit une déclaration. De ce nombre, 98,9 % n’ont eu aucun gain en capital supérieur à 250 000 $ pour l’ensemble de la période. Donc, en 10 ans, seulement 1,10 % des déclarants uniques – soit 359 005 contribuables – ont présenté un gain de 250 000 $ ou plus au moins une fois. Il s’agit d’une proportion relativement limitée, mais plus importante que le résultat observé dans une année donnée (par exemple 0,16 % en 2019, voir le premier texte).

Parmi les 359 005 contribuables ayant réalisé au moins un gain en capital supérieur à 250 000 $ sur la période de 10 ans, 84,9% ne l’ont réalisé que lors d’une seule année, tandis que 15,1% ont encaissé un tel gain à plusieurs reprises.

Le revenu des personnes ayant touché au moins un gain de 250 000 en cours de période est, par cumul, beaucoup plus élevé que celui des personnes n’ayant jamais réalisé de gain de cette ampleur, soit 288 053 $ contre 44 740 $, en moyenne. L’écart reste important même en excluant le gain en capital du revenu total, à 162 234 $ contre 43 846 $. Par ailleurs, sous l’angle de la récurrence des gains élevés, le revenu annuel moyen, avec ou sans gain en capital, augmente significativement en même temps que le nombre d’occurrences de gains de 250 000 $ et plus sur 10 ans. Le niveau de revenu, même hors gain capital, apparaît donc comme un important prédicteur de la fréquence de gains en capital d’importance.

Les résultats du tableau 2 montrent que la taille du gain annuel moyen grimpe elle aussi avec le nombre d’occurrences de gains de 250 000 $ ou plus. Ce résultat semble infirmer l’hypothèse selon laquelle la plupart des contribuables réalisant un gain important liquideraient un seul actif d’importance et étaleraient l’imposition de ce gain sur plusieurs années. Si c’était le cas, on observerait une décroissance de la taille du gain à mesure que le nombre d’occurrences augmenterait.

C’est ce qu’on observait dans une étude de 2021, où le gain annuel moyen des personnes réalisant un seul gain sur cinq ans était supérieur à la taille du gain moyen des personnes touchant plusieurs gains sur la même période. C’est également le cas dans la présente analyse, pour les personnes ayant touché un seul gain de 250 000 $ : ces contribuables ont déclaré des gains pour 4,1 années en moyenne, ce qui signifie qu’ils ont aussi réalisé environ 3 autres gains moins importants. Dans les deux cas, c’est compatible avec l’hypothèse de l’étalement du gain sur plusieurs années.

Par contre, sur l’ensemble de la période, le nombre d’années où un gain est encaissé augmente directement avec la fréquence du nombre de gains de 250 000 $ ou plus. Ce résultat incite à penser que la réforme atteint son objectif de cibler les gains importants, et ne touche que très peu de bénéficiaires réellement ponctuels.

En somme, la crainte que les petits investisseurs soient grandement affectés, soulevée par certains politiciens et différents groupes de pression, n’était pas fondée. La réforme de l’imposition du gain en capital a bel et bien surtout visé des contribuables déclarant des revenus élevés, et des gains récurrents et importants.

Le troisième article de cette série s’intéressera aux recettes fiscales attendues par la réforme et la contribution des défunts.

Une version plus détaillée de cette analyse en trois parties est disponible sur le site de le Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.à

Dans la même série :

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Antoine Genest-Grégoire
Antoine Genest-Grégoire est professeur adjoint au département de fiscalité de l’Université de Sherbrooke, chercheur de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques et fellow de l’organisation Social Capital Partners. Ses recherches portent sur les effets distributifs de la politique fiscale ainsi que sur la perception qu’en ont les citoyens.
 
Luc Godbout
Luc Godbout est professeur titulaire au Département de fiscalité à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques. Il a présidé la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise.

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