Le Québec est la seule province à exclure les femmes de moins de 50 ans de son programme de dépistage de cancer du sein. C’est peut-être une distinction dont on pourrait se passer.
Après 15 ans sans révision, le Programme québécois de dépistage du cancer du sein (PQDCS) a récemment été modifié. L’âge maximal d’admissibilité au dépistage a été étendu de 69 à 74 ans, permettant ainsi aux femmes plus âgées de bénéficier d’un suivi prolongé. Ces nouvelles dispositions visent à mieux répondre aux besoins d’une population vieillissante, mais laissent de côté beaucoup de Québécoises susceptibles de développer un cancer du sein, comme le souligne une étude récente du CIRANO.
La nécessité d’un dépistage plus précoce fait de plus en plus consensus au pays. La Société canadienne du cancer appelle les provinces et territoires à abaisser l’âge d’admissibilité à 40 ans pour les femmes à risque moyen. Cette demande s’aligne avec des recherches récentes, réalisées à partir de données canadiennes, et selon lesquelles les femmes qui n’ont pas accès au dépistage dans la quarantaine présentent ensuite des cancers du sein à des stades plus avancés.
Des provinces comme le Nouveau-Brunswick et l’Ontario ont suivi l’exemple de la Colombie-Britannique, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard, qui offrent le dépistage dès 40 ans depuis plusieurs années. Le Manitoba prévoit également d’abaisser cet âge à 45 ans d’ici la fin de 2025, puis à 40 ans en 2026. La Saskatchewan et Terre-Neuve s’apprêtent aussi à emboîter le pas. En Alberta, les femmes de 45 à 74 sont admissibles au programme provincial de dépistage.
Dans les autres pays de l’OCDE, les recommandations suivent la même tendance. Aux États-Unis, l’American Cancer Society propose aux femmes de 40 à 44 ans de débuter un dépistage annuel facultatif, à celles de 45 à 54 ans un dépistage annuel, et à celles de 55 ans et plus un dépistage tous les deux ans ou chaque année, selon leur état de santé. En Europe, le dépistage est recommandé pour les femmes de 50 à 69 ans, et suggéré pour celles de 45 à 74 ans.
Anticiper pour mieux protéger
Le dépistage du cancer du sein sauve des vies. En permettant de diagnostiquer la maladie à un stade précoce, les chances de survie sont considérablement augmentées. Selon la Société canadienne du cancer, le taux de survie à cinq ans atteint 99,8 % pour les cancers de stade I, contre 92 % au stade II, 74 % au stade III et seulement 23 % pour les cancers diagnostiqués au stade IV. En élargissant les critères d’âge pour inclure davantage de femmes, notamment celles de 40 à 49 ans, les programmes de dépistage permettent d’identifier des tumeurs avant qu’elles ne progressent, réduisant ainsi la mortalité.
Selon les statistiques les plus récentes sur le sujet, on attribuait 20 % des nouveaux cas de cancer du sein au Canada en 2021 à des femmes de moins de 50 ans. Près des deux tiers de ces cas touchent des femmes âgées de 40 à 49 ans. Des recherches récentes suggèrent en outre une augmentation de l’incidence du cancer du sein chez les Canadiennes plus jeunes. Les cancers diagnostiqués chez les femmes de moins de 50 ans sont généralement plus agressifs que ceux diagnostiqués chez les femmes plus âgées, ce qui plaide également en faveur d’un dépistage précoce.
En plus d’augmenter les chances de survie, le dépistage précoce permet d’améliorer la qualité de vie des patientes. Les cancers diagnostiqués à des stades moins avancés nécessitent souvent des traitements moins invasifs. Les patientes peuvent ainsi éviter des interventions lourdes comme la chimiothérapie ou les chirurgies mutilantes, qui affectent leur bien-être physique et psychologique. Détecter la maladie tôt dans sa progression facilite le maintien d’une vie active et réduit le stress, tout en allégeant la tâche des aidants naturels et l’impact financier sur les familles.
Investir pour garantir l’accès
Élargir le dépistage soulève un dilemme entre quantité et qualité. L’augmentation du nombre de femmes admissibles nécessite des ressources supplémentaires (personnel soignant, équipements d’imagerie, infrastructures) pour garantir un accès équitable et rapide aux examens. Inclure les femmes plus jeunes dans le dépistage pourrait allonger les délais d’attente, retardant d’autant les diagnostics et réduisant ainsi les bénéfices escomptés.
Dans un contexte où certains groupes de femmes, notamment les femmes immigrantes et d’autres populations vulnérables affichent déjà des taux de dépistage relativement faibles, il est essentiel de veiller à ce que l’abaissement de l’âge d’accessibilité ne crée pas une pression accrue sur les ressources ni ne désavantage davantage ces groupes. Une planification rigoureuse et des investissements dans les capacités logistiques des programmes sont donc indispensables pour garantir que l’élargissement du dépistage conjugue efficacité, accessibilité et qualité des soins.
Cela implique de perfectionner les connaissances et techniques d’imagerie utilisées pour le dépistage afin de limiter les cas de faux positifs. Des résultats erronés – lorsqu’une anomalie est détectée sans qu’elle soit réellement cancéreuse – peuvent engendrer une anxiété importante et un stress psychologique. Les patientes concernées sont souvent soumises à des examens complémentaires invasifs, souvent douloureux. Ces démarches ajoutent une charge émotionnelle et, dans certains cas, entraînent une perte de confiance envers le système de santé. Les coûts liés aux faux positifs sont d’autant plus pertinents pour les patientes jeunes, dont la densité mammaire plus élevée augmente le risque d’erreurs dans l’interprétation des mammographies.
Adapter les méthodes aux caractéristiques individuelles, comme la densité mammaire ou le niveau de risque, permettrait d’améliorer la précision des diagnostics et de proposer un dépistage mieux adapté aux besoins de chaque patiente. Heureusement, des solutions existent.
Réinventer le dépistage : la voie du sur-mesure
Des études récentes portant sur les facteurs génétiques, en particulier la présence de mutations de certains gènes, ont mis en relief l’importance de lignes directrices sur le dépistage qui soient personnalisées. Par exemple, l’imagerie à résonance magnétique et l’échographie offrent une meilleure visualisation des tissus mammaires denses, ce qui permet de détecter des cancers qui auraient échappé à une mammographie traditionnelle. La radiographie 3D pourrait également se révéler plus performante pour certaines patientes. Intégrer au dépistage du cancer du sein ces techniques d’imagerie plus performantes requerrait vraisemblablement des investissements significatifs. Le Canada – et par inclusion le Québec – est en effet assez peu pourvu en appareils d’imagerie, quand on le compare aux autres pays de l’OCDE.
En plus d’adapter le dépistage aux besoins individuels, les progrès en technologies de l’information et en intelligence artificielle permettent aussi d’améliorer l’interprétation des résultats, notamment en réduisant les faux positifs pour les cas complexes. Ce dépistage sur mesure peut être modulé en fonction des antécédents familiaux, des mutations génétiques et du mode de vie de chaque patiente, pour un suivi mieux adapté. L’Ontario et l’Alberta ont mis en place des programmes pour les personnes à risque élevé afin d’améliorer leur accès aux soins, optimiser le ciblage et l’imagerie, et établir des points d’accès dédiés. Cette approche est toutefois négligée par le Québec.
Au-delà de l’âge d’admissibilité, il est donc important de s’orienter vers un dépistage personnalisé du cancer du sein afin d’optimiser les ressources et concentrer leur utilisation sur les patientes les plus susceptibles d’en bénéficier, tout en évitant les interventions superflues. Une telle approche encouragerait une gestion plus efficace des budgets de santé et favoriserait un suivi médical durable, mieux adapté aux besoins individuels. Elle s’alignerait aussi très bien sur la nouvelle stratégie du gouvernement du Québec, annoncée récemment et qui misera sur la prévention afin de réduire la demande pour des soins et services de santé.
L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) est à préparer son avis sur l’abaissement à 50 ans de l’âge recommandé pour le dépistage du cancer du sein. Il doit le remettre au ministre de la Santé, Christian Dubé, d’ici la fin du mois. Relancer le débat nourrit l’espoir de résolutions pour la nouvelle année afin de mieux protéger la santé des Québécoises.