Le 22 mars prochain, le ministre des Finances Éric Girard présentera son 4e budget, le dernier avant les élections générales d’octobre 2022. Certains le soupçonneront de vouloir présenter un budget électoraliste. Mais en dépit du cycle électoral ce budget sera important, car le Québec doit affronter simultanément plusieurs défis déjà présents et qui le resteront dans les prochaines années.

1- L’organisation de la santé

D’abord, la pandémie de COVID-19 a mis en exergue que le système de santé n’est pas à la hauteur de nos attentes collectives, malgré les importantes sommes qui y sont consacrées annuellement. Or, le budget de la santé qui était de 45,6 milliards de dollars avant la pandémie (2019-2020) doit passer à 55,7 milliards en 2023-2024, une hausse récurrente de plus de 10 milliards en seulement quatre ans. S’il n’est pas exclu que des efforts financiers additionnels soient requis pour remettre le système sur ses rails, il faudra d’abord et avant tout identifier comment faire mieux.

2- La lutte aux changements climatiques

Les données récentes en matière de gaz à effet de serre (GES) montrent que le Québec reste encore très éloigné de sa cible de réduction, établie à 37,5 % pour 2030 par rapport à son niveau de 1990. En effet, après 29 années écoulées sur 40 – soit presque les trois-quarts du chemin – les résultats les plus récents montrent une modeste réduction de 2,7 %. Pire, la situation s’est même dégradée depuis 2015. Il apparaît donc essentiel d’entreprendre d’autres actions afin de garder le cap sur la cible.

Une des meilleures manières de réduire les émissions de GES consiste à mettre un prix sur la pollution. Le Québec a déjà un système de plafonnement et d’échange de crédits d’émission (la bourse du carbone), mais il semble insuffisant pour atteindre nos objectifs. Même si ce n’est pas populaire, le gouvernement devra tôt ou tard utiliser des outils comme la fiscalité pour orienter les comportements vers la transition environnementale.

3- Le retour à l’équilibre budgétaire

Dans sa dernière mise à jour économique et financière, présentée en novembre dernier, le ministère des Finances prévoit que l’écart entre la tendance de long terme du PIB réel présenté avant la pandémie et le PIB actuellement prévu serait pratiquement éliminé dès 2023. Autrement dit, l’économie québécoise sera revenue sur la trajectoire qu’elle aurait dû maintenir, n’eut été la pandémie.

Malgré tout, il nous a été possible d’estimer, à partir des données budgétaires, que le cadre financier du Québec montre la présence d’un déficit structurel au sens de la Loi sur l’équilibre budgétaire d’entre 3,5 et 3,9 milliards. Il convient de rappeler qu’en dépit du retour au PIB potentiel, le déficit budgétaire ne se résorbera pas automatiquement. Le gouvernement devra poser des gestes du côté des revenus ou des dépenses afin de retrouver l’équilibre budgétaire.

4- La transition démographique

La transition démographique au Québec se distingue par deux aspects.

Le premier est la rapidité avec laquelle la proportion des personnes âgées de 65 ans et plus dans la population totale augmente. Alors qu’il devrait s’écouler 32 années pour que ce ratio passe de 12 % à 24 % au Québec, cette proportion n’aura toujours pas doublé en Ontario après 52 ans (en 2046, dernière année de la projection démographique). Autres comparaisons, le passage de 12 % à 24 % de ce même ratio se ferait en 65 ans en France et en plus de 90 ans en Suède. Le Québec vieillit donc rapidement.

La seconde distinction est la contraction du bassin de la population des 20 à 64 ans. D’ici 2031, même en tenant compte de l’immigration, il est prévu que ce groupe se contractera de 45 000 au Québec alors qu’en Ontario, il augmentera de plus de 900 000 personnes.

Rappelons que si la transition démographique créera des pressions sur le niveau de dépenses publiques (notamment en soins de santé et en services aux aînés), elle aura également pour effet de réduire la création annuelle d’emplois, ce qui ralentira la croissance économique et forcément les recettes fiscales de la prochaine décennie.

5- La rareté de main-d’œuvre

Aujourd’hui, le Québec obtient des taux d’emploi supérieurs aux taux ontariens pour chacune des cohortes de 20 à 59 ans. Par contre, force est de constater que les taux d’emploi des Québécois de 60 à 69 ans restent encore inférieurs à ceux des Ontariens. À titre illustratif, atteindre les mêmes taux qu’en Ontario pour ces deux catégories de travailleurs représenterait environ 75 000 travailleurs supplémentaires.

Les analyses avançant qu’une plus grande participation des aînés au marché du travail est une des solutions pour contrer la rareté de main-d’œuvre au Québec ne datent pas d’hier. Il s’agira cependant d’un rattrapage progressif, qui ne pourra toutefois pas résoudre à lui seul l’enjeu de la rareté de la main-d’œuvre. Cela dit, toute augmentation du bassin de travailleurs contribuera positivement à la croissance économique.

Actuellement, il y a près de 1,2 million de personnes âgées entre 50 et 59 ans qui sont majoritairement actives sur le marché du travail. Comment maximiser les chances qu’elles continuent de l’être durant les dix prochaines années alors qu’elles deviendront sexagénaires ?

Il faut d’abord s’assurer qu’elles y voient un gain financier, tout en rendant l’environnement de travail plus adapté. Cela ne peut que contribuer à une activité plus grande sur le marché du travail.

Une mesure possible consisterait à rendre la cotisation au Régime des rentes du Québec (RRQ) facultative à compter de 65 ans, comme c’est déjà le cas dans les neuf autres provinces canadiennes avec le Régime de pension du Canada. Concrètement, pour un contribuable de 65 ans et plus ayant des revenus de retraite privés et du RRQ totalisant 35 000 dollars en 2021, et qui aurait fait le choix de poursuivre sur le marché du travail à temps partiel pour un salaire de 20 000 dollars, ce seul changement aurait pour effet de faire passer la portion conservée de son revenu de travail de 60,6 % à 64,8 %, soit un gain de plus de 800 dollars.

***

Les interrelations entre les défis évoqués ici convergent vers un point commun où le temps joue essentiellement en notre défaveur. Plus on attend, plus les enjeux seront grands. Le prochain budget du Québec serait un bon endroit pour amorcer une action plus appuyée.

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Luc Godbout
Luc Godbout est professeur titulaire au Département de fiscalité à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques. Il a présidé la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise.

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