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Le budget 2023 a présenté un « Plan pour le Canada » afin de verdir l’économie et concurrencer l’Inflation Reduction Act (IRA) des États-Unis, et accélérer les investissements au pays en vue d’atteindre les cibles de réduction de GES. Ce plan prévoit environ 18 milliards $ sur cinq ans en crédits d’impôt à l’investissement – nouveaux ou plus étendus – ainsi qu’en nouvelles dépenses, pour une valeur totale d’environ 83 milliards $ d’ici dix ans.

Est-ce suffisant ? L’enveloppe totale de financement peut l’être, mais il est nécessaire de clarifier davantage les grandes initiatives telles que le Fonds de croissance du Canada, doté de 15 milliards $, et les « contrats sur différence » pour le carbone (qui garantissent aux entreprises un certain prix pour le carbone ou d’autres produits).

Si cette clarification n’intervient pas assez rapidement, le Canada continuera à perdre des investissements et des entreprises canadiennes au profit des États-Unis.

Crédits d’impôt à l’investissement et crédits d’impôt à la production

Le gouvernement fédéral a tout misé sur les crédits d’impôt à l’investissement, qui permettent aux entreprises de déduire de leurs impôts un certain pourcentage des coûts d’investissement admissibles. Il existe des crédits d’impôt à l’investissement pour l’électricité propre (15 %), l’hydrogène propre (15 à 40 %), l’adoption de technologies propres (30 %), la fabrication de technologies propres (30 %) et le captage et le stockage du carbone (qui varient en fonction du projet).

Ces crédits d’impôt constituent un grand pas en avant dans la mise en place d’un environnement d’investissement attrayant. Toutefois, les crédits d’impôt à l’investissement – même s’ils sont plus généreux que ceux des États-Unis – peuvent ne pas être aussi attirants pour les investisseurs que les crédits d’impôt à la production utilisés dans le cadre de l’IRA. De tels crédits offrent en effet un paiement par unité produite, ce qui peut aider à compenser l’incertitude du marché associée aux technologies en développement, et leur donner suffisamment de temps pour atteindre un retour sur l’investissement. C’est particulièrement vrai dans des domaines tels que l’hydrogène, les carburants propres et les carburants durables pour l’aviation, mais cela peut également concerner certains projets de fabrication et de minéraux critiques.

Si les États-Unis détournent des investissements du Canada, cela limitera notre capacité à maximiser les investissements du secteur privé nécessaires pour s’implanter sur les marchés qui alimenteront la croissance économique dans l’avenir.

Rester compétitifs avec les États-Unis

Le coût de l’IRA américain est estimé à 392 milliards $ US sur dix ans, dont 121 milliards $ US en dépenses directes et 271 milliards $ en crédits d’impôt. Toutefois, une étude récente de Brookings suggère que le coût des crédits d’impôt pourrait à lui seul atteindre 780 milliards $ US d’ici 2031.

Dans la fourchette la plus basse, les 83 milliards $ du Canada (environ 59 milliards $ US) sont compétitifs. À l’extrémité supérieure, en tenant compte de la taille relative de son économie par rapport à celle des États-Unis, le Canada n’est pas à la hauteur.

L’ampleur des dépenses directes est également importante, puisqu’un déséquilibre dans les investissements attirera les entreprises canadiennes vers les États-Unis. Par exemple, Li-Cycle, une entreprise canadienne de recyclage de batteries de véhicules électriques, a reçu un prêt conditionnel de 375 millions $ US du ministère américain de l’Énergie pour aider à financer la construction d’une installation de récupération du lithium-ion dans l’État de New York.

Le Fonds canadien de croissance et la nouvelle « approche élargie des contrats sur différence » pourraient combler l’écart avec les États-Unis.

Le Fonds de croissance du Canada

Le Fonds de croissance du Canada a été annoncé pour la première fois dans le budget 2022, et précisé dans l’Énoncé économique de l’automne. Dans le budget 2023, on a appris que le fonds serait géré par l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public (Investissements PSP).

Le choix de PSP est judicieux en termes de rapidité d’action. Une équipe aguerrie d’investisseurs peut prendre les devants, avec la promesse que les investissements commenceront pendant la première moitié de 2023.

Toutefois, les fonds de pension ne sont pas réputés pour leur capacité à soutenir le type de nouvelles technologies risquées pour lesquelles un avantage concurrentiel est nécessaire. Ils ont plutôt tendance à investir dans des projets sûrs, à grande échelle et éprouvés, ainsi que dans des entreprises dont les rendements à long terme sont évidents.

Pour que le Fonds de croissance du Canada puisse combler l’écart avec les États-Unis, Investissements PSP devra peut-être s’adjoindre des compétences supplémentaires en matière d’énergie et de technologies propres à un stade précoce. Le financement aura le plus grand impact à long terme s’il opère dans l’espace où le risque financier et technologique est trop élevé pour la dette privée et les capitaux propres. Cette ligne de démarcation évoluera au fil du temps, et Investissements PSP devra se tenir au courant de marchés qui évoluent rapidement. Les modèles du Loan Programs Office du ministère américain de l’Énergie, de la Clean Energy Finance Corporation d’Australie et d’Investissement Québec font partie de ceux dont on pourrait s’inspirer.

Contrats sur différence

Les contrats sur différence ont eux aussi le potentiel de capitaliser sur un avantage important dont dispose le Canada par rapport aux États-Unis : la tarification du carbone. Au Canada, le prix du carbone devrait atteindre 170 $ la tonne d’ici 2030. Ce prix agit comme un signal pour le marché, générant de la valeur pour les investissements dans les énergies, les technologies et les produits à faible teneur en carbone. Toutefois, si un futur gouvernement devait faire demi-tour sur le prix du carbone au Canada, la valeur marchande de l’énergie et des produits à faible teneur en carbone pourrait s’effondrer. Un tel risque politique est de nature à dissuader les investisseurs.

Les contrats sur différence, dans le cadre desquels le gouvernement garantit un certain prix du carbone à l’avenir, peuvent contribuer à débloquer l’investissement privé. Le Fonds canadien de croissance aura la capacité de signer des contrats sur différence, mais le budget de cette année a également annoncé une consultation sur une approche élargie des contrats sur différence pour le carbone.

En théorie, les contrats sur différence constituent une façon peu coûteuse d’accélérer l’investissement privé. Si la trajectoire du prix du carbone reste inchangée, le gouvernement n’aura rien à payer. La responsabilité potentielle du gouvernement en cas de réduction du prix du carbone serait toutefois substantielle.

Un futur gouvernement – potentiellement dirigé par Pierre Poilievre – serait confronté à un choix difficile si des contrats sur différence à grande échelle étaient en place : revenir sur la tarification du carbone et verser des milliards de dollars de l’argent des contribuables aux entreprises, ou maintenir la trajectoire du prix du carbone intacte (au moins pour les secteurs concernés). Même si l’idée des contrats était de lier les mains d’un éventuel gouvernement Poilievre, on doit noter que le gouvernement conservateur de l’Ontario a annulé des contrats pour la production d’énergie renouvelable, en dépit du coût élevé.

Complications provinciales

Les contrats fédéraux sur différence deviennent plus complexes dans les provinces et territoires qui ont leur propre tarification du carbone. Il n’est pas logique qu’Ottawa garantisse un prix qu’un gouvernement provincial pourrait modifier. Les provinces et territoires qui disposent de leur propre système de tarification du carbone devront donc élaborer leurs propres contrats.

Les contrats de différence sont également plus difficiles à mettre en œuvre au Québec, où il existe un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission lié à la Californie. Dans un tel système, les prix augmentent et diminuent en fonction de la demande et de l’offre de quotas d’émission sur le marché. À ce jour, les prix du carbone du Québec sont inférieurs à ceux des autres provinces. Un projet au Québec serait donc désavantagé par rapport à un projet dans une autre province ou un territoire où un promoteur obtiendrait un contrat sur différence sur la base de la trajectoire du prix au fédéral, plus élevée.

Les gouvernements à tous les niveaux, ainsi que des entités telles que Investissements PSP, pourraient également utiliser des contrats de différence pour garantir les prix des produits, tels que l’hydrogène, ou ceux des intrants, comme les tarifs d’électricité. Ces contrats comportent un risque de paiement plus élevé puisqu’ils dépendent des fluctuations du marché.

Pour limiter les coûts, on pourrait recourir à des enchères inversées, dans lesquelles un montant fixe est mis de côté et où les entreprises soumettent des offres pour le prix garanti dont elles ont besoin pour que leur projet aille de l’avant. Les entités gouvernementales sélectionnent les offres les moins chères (qui répondent à certains critères de qualité) et structurent les contrats en conséquence. Le Royaume-Uni utilise les enchères inversées pour ses contrats sur différence pour de l’énergie renouvelable.

Les contrats sont également souvent conçus pour obliger les entreprises à payer le gouvernement lorsque les prix des produits sont plus élevés que le prix garanti. Le gouvernement de l’Alberta a engendré des recettes de plus de 100 millions $ grâce à ses accords de soutien aux énergies renouvelables entre 2016 et octobre 2022. Cela permet à une entité gouvernementale de disposer d’un portefeuille équilibré et moins risqué sur des marchés différents, comme ceux de l’hydrogène et des biocarburants.

Trouver une solution rapidement

Malgré la complexité, le gouvernement fédéral – et ses partenaires tels qu’Investissements PSP – devrait s’efforcer de clarifier dès que possible l’admissibilité, les outils d’investissement, les critères, les conditions et les échéances. Si le Canada veut jouer un rôle dans la course mondiale aux parts de marché de l’économie propre du futur, il doit trouver une façon de rattraper ceux qui ont été les premiers à prendre le départ.

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Rachel Samson
Rachel Samson est vice-présidente de la recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques. Elle était auparavant directrice de la recherche sur la croissance propre à l’Institut climatique du Canada. Rachel a également œuvré pendant 15 ans en tant qu’économiste et cadre au sein du gouvernement fédéral, et cinq ans en tant que consultante indépendante. Twitter @rachel_e_samson

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