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Une récente décision du tribunal de la famille de Hamilton, en Ontario, a donné raison à une mère qui refuse de faire vacciner ses deux enfants contre la COVID-19. Le juge Alex Pazaratz, de la Cour supérieure de l’Ontario, a estimé que les inquiétudes de la mère concernant l’innocuité et l’efficacité des vaccins étaient « légitimes ». Il a cité les « avertissements et commentaires crédibles fournis par des sources fiables » qu’elle avait fournis dans ses observations au tribunal.

Dans quatre causes précédentes en Ontario, au moins deux au Québec, et une en Saskatchewan, les juges ont pris connaissance d’office de l’innocuité et de l’efficacité du vaccin COVID-19 pour les enfants. Prendre « connaissance d’office » signifie reconnaître certains faits comme indiscutables afin qu’ils puissent être introduits sans preuve à l’appui. La Cour suprême du Canada a déclaré que de tels faits sont si notoires qu’ils ne peuvent être mis en doute par des personnes raisonnables.

Contrairement à ses collègues magistrats, le juge Pazaratz a plutôt trouvé que les informations du gouvernement ou de la santé publique sur la vaccination n’étaient pas assez fiables, citant une longue liste d’erreurs et d’erreurs de calcul historiques du gouvernement, y compris les camps d’internement japonais et chinois, l’utilisation de la thalidomide et le système des pensionnats pour les enfants autochtones…

Quelles étaient les « sources crédibles » fournies par la mère qui rejette la vaccination ? Des pages et des pages de recherches sur internet qui rapportent notamment les croyances marginales (et manifestement erronées) du Dr Robert W. Malone, un diffuseur de désinformation antivaccin, incluant certaines de ses publications sur le Web et certains de ses propos entendus sur le balado de Joe Rogan et à la chaîne Fox News.

Les limites des tribunaux

C’est précisément ce genre de cause qui met à l’épreuve la capacité des tribunaux à appliquer correctement la réflexion critique nécessaire pour évaluer la validité des preuves scientifiques et la crédibilité des sources, tant humaines que savantes. Et le juge Pazaratz a échoué au test.

Dans son jugement, il a dit du Dr Malone « qu’il ait raison ou tort à propos des vaccins contre la COVID est un sujet de discussion et de calcul. Mais avec ses références, il peut difficilement être rejeté comme un cinglé ou un auteur marginal ».

C’est faux.

Les titres de compétence, bien qu’importants, ne sont qu’un outil parmi d’autres pour évaluer la validité d’allégations scientifiques ou qui concernent la santé. Dans ces deux domaines, les fraudeurs sont légion. Des titulaires de doctorats en médecine ou d’autres disciplines se sont discrédités, jusqu’au plus haut niveau. Du Dr Kurt Donsbach au Dr Mehmet Oz, en passant par le lauréat du prix Nobel Linus Pauling, des gens possédant de vrais diplômes ont trompé des millions de personnes avec des idées sans fondement et réfutées. Qu’il s’agisse de vanter les bienfaits du peroxyde d’hydrogène sur la santé, des superaliments ou de la vitamine C contre le cancer, ces experts ont tous eu tort, et dans certains cas, dangereusement tort.

Quiconque évalue une allégation relative à la santé doit non seulement examiner les références de la personne qui soutient l’allégation, mais aussi son statut dans la communauté de professionnels où elle vit et travaille. A-t-elle publié de nombreux articles dans des revues scientifiques respectées ? Ses articles sont-ils largement cités ? A-t-elle le respect de ses collègues ? Comment ses points de vue s’accordent-ils avec les connaissances existantes ?

Le juge Pazaratz a également écrit qu’une fois qu’il s’était assuré que les arguments de la mère ne venaient pas de « cinglés et de charlatans », il ne pouvait pas décider s’ils étaient exacts ou inexacts, « ou qu’il était impossible qu’ils soient exacts ».

Bien sûr, il est impossible d’exclure que quoi que ce soit soit « possible », mais ce n’est pas l’enjeu ici. M. Pazaratz semble accepter une perspective faussement équilibrée du monde. En somme, cela reviendrait à suggérer que lorsque cherchons à savoir comment les avions volent, nous devrions accorder un poids égal aux preuves fournies par des ingénieurs aéronautiques de renom et des partisans des tapis volants.

Cinq milliards de preuves

Dans le cas présent des vaccins, après que plus de cinq milliards de personnes aient reçu au moins une dose – dans ce qui est peut-être la plus grande expérience de l’histoire de l’humanité –, les résultats sont clairs et incontestables. Les vaccins contre la COVID-19 fonctionnent. Ils sont aussi possiblement l’intervention la plus importante et la plus vitale de toute l’histoire médicale.

Face à cette preuve massive, le juge Pazaratz a trouvé la collection d’articles glanés sur le Web par la mère plus convaincante. Il a écrit que : « Les documents professionnels déposés par la mère étaient en fait plus informatifs et stimulants que les documents gouvernementaux quelque peu répétitifs et étroits déposés par le père ».

Relisez cette phrase. Le juge a estimé que les résultats des recherches sur Internet par une non-experte plus convaincants que les preuves et les recommandations fournies par les principaux organismes de santé ou de science, notamment Santé Canada, l’Agence de la santé publique du Canada, l’Organisation mondiale de la santé et pratiquement tous les principaux virologues de chacun des grands centres de recherche et universités du monde entier.

Cette décision et d’autres jugements malavisés qui l’ont précédée – y compris celle d’un juge qui a statué en faveur de parents qui ont refusé le traitement éprouvé de la leucémie pour leur fille de 11 ans en faveur de la médecine alternative – montrent les conséquences graves qu’un affrontement entre la science et le système juridique peut entraîner.

Les avocats et les juges, bien qu’experts en droit, sont souvent mal équipés pour traiter des questions de preuve et d’exactitude scientifiques. Ils œuvrent au sein d’un système qui n’est pas conçu pour arriver à des conclusions fondées sur la science. Les résultats, comme dans ce cas, sont extrêmement nuisibles, et ne rendent service à personne.

Bien qu’il existe des entités qui cherchent à enseigner aux juges un éventail de sujets, comme le fait l’Institut national de la magistrature, il est manifeste que cela n’est pas suffisant dans un contexte d’évaluation des preuves scientifiques. Des décisions comme celle rendue par le juge Pazaratz avalisent la désinformation et brouillent davantage le discours public sur des enjeux cruciaux.

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Timothy Caulfield
Timothy Caulfield est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit et en politique de la santé, professeur à la faculté de droit et à l’école de santé publique, et directeur de recherche au Health Law Institute de l’Université de l’Alberta.
Paul Benedetti
Paul Beneditti est ex-coordonnateur du programme de maîtrise en journalisme de l’Université Western, en Ontario, où il a enseigné le journalisme et la pensée critique.

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