(Cet article a été traduit de l’anglais.)

Actuellement, le règlement canadien visant les émissions de gaz à effet de serre (GES) des automobiles à passagers s’harmonise par défaut avec les normes émises par l’Environmental Protection Agency (EPA) des États-Unis. Depuis ce « mariage » en 2012, le Canada et les États-Unis ont eu un beau parcours ensemble. Or tout indique qu’ils sont confrontés aujourd’hui à des différences irréconciliables : le temps est donc venu d’entamer leur divorce en ce qui concerne les normes d’émissions des véhicules.

La coopération entre le Canada et les États-Unis relativement aux normes sur les véhicules s’est vue ébranlée le 2 avril dernier lorsque Scott Pruitt, dirigeant de l’EPA, a annoncé une réouverture de l’évaluation de mi-mandat des normes d’émissions de GES pour les voitures et les camions légers des années modèles 2022 à 2025, sous prétexte que les normes actuelles sont inadéquates et doivent être revues. Cette annonce révèle les réelles intentions de l’administration Trump : assouplir les normes d’émissions de GES et de consommation de carburant et concéder ainsi une victoire au lobby des véhicules alimentés à l’essence.

La Californie, ainsi que 15 autres États américains en plus de Washington D.C., a le droit de déterminer ses propres normes d’émissions en vertu de l’article 177 de la Clean Air Act des États-Unis. La réponse de son gouverneur, Jerry Brown, a été sans équivoque lorsqu’il a qualifié la décision de l’EPA d’abus de pouvoir « cynique et manipulateur » qui « mettra en danger la santé de tous les Américains ». D’autres États ont abondé dans le même sens et ont manifesté clairement leur intention de défendre bec et ongles leur droit à cet égard.

Cette annonce entraîne de sérieuses conséquences pour le Canada. Les règlements d’Environnement et Changement climatique Canada s’appuient sur les lois de l’EPA en tant que référence, ce qui veut dire que si l’EPA assouplit ses normes, la réglementation du Canada s’en trouve automatiquement affaiblie. Afin de préserver sa réglementation stricte et atteindre ses cibles de 2030 en matière d’émissions, le Canada doit s’affranchir de la réglementation fédérale américaine ou, du moins, se rallier à la Californie et maintenir la rigueur actuelle de ses normes jusqu’en 2025.

La réglementation canadienne en matière d’émissions

Le Règlement sur les émissions de gaz à effet de serre des automobiles à passagers et des camions légers a été publié en octobre 2010. On y établit des normes d’émissions de GES progressivement plus strictes pour les camions légers neufs vendus au Canada des années modèles allant de 2011 à 2025, conformément aux normes nationales américaines.

Le règlement est souple et offre aux constructeurs automobiles plusieurs options pour respecter les cibles moyennes de réduction d’émissions de leur parc automobile : par exemple, ils peuvent gagner et accumuler des « points » (crédits) si les émissions de l’ensemble des véhicules vendus se situent sous la norme ou s’ils vendent davantage de véhicules zéro émission. Le règlement aide ainsi le Canada à atteindre son objectif d’augmenter le nombre de véhicules zéro émission qui circulent sur les routes.

La réglementation des émissions de GES est cruciale pour compenser la croissance démographique, l’augmentation incessante d’automobiles alimentées à l’essence sur nos routes et le grand nombre de véhicules fort polluants du parc automobile.

Tendances des émissions du secteur des transports au Canada

Le secteur des transports représente un quart de l’ensemble des émissions de GES du Canada. Étant donné qu’il est responsable d’un pourcentage non négligeable de la pollution totale par le carbone, le Canada ne doit aucunement ralentir son élan en matière de réduction des émissions provenant de ce secteur. On s’attend à ce qu’il ajoute plus de 2 millions de véhicules de passagers à son parc automobile en 2018. Influencés par les stratégies marketing de l’industrie automobile, les consommateurs canadiens se tournent de plus en plus vers les véhicules lourds et polluants. Les camions légers représentent plus de 70 % des ventes annuelles de véhicules neufs au Canada.

Voilà pourquoi il est primordial d’instaurer des règlements en matière d’émissions. Ils assurent aux consommateurs canadiens que le prochain véhicule qu’ils vont acquérir sera moins polluant que le précédent. On s’attend à ce que les véhicules de l’année modèle 2025 consomment jusqu’à 50 % moins de carburant que ceux de l’année modèle 2008. Selon Environnement et Changement climatique Canada, « [e]n moyenne, une Canadienne ou un Canadien qui conduit un véhicule de l’année modèle 2025 réalisera des économies de carburant de l’ordre de 900 dollars par année comparativement aux nouveaux véhicules d’aujourd’hui ».

Si le prix du carbone influence le comportement des conducteurs ― ils parcourent moins de kilomètres lorsque le prix de l’essence augmente ―, il a en revanche peu d’effet sur la préférence des consommateurs pour les véhicules polluants, à moins que le gouvernement procède à une réforme de la taxe d’accise fédérale sur les véhicules à forte consommation de carburant, comme cela a été évoqué en juillet 2017 dans un article d’Options politiques.

Le respect de normes : aussi sensé sur le plan des affaires

Au cours des cinq premières années de la mise en vigueur du Règlement (2011 à 2015), Environnement et Changement climatique Canada a fait état d’une conformité supérieure au sein de l’industrie, dont les moyennes d’émissions étaient systématiquement inférieures aux normes exigées par le Règlement. De toute évidence, les constructeurs automobiles ont su mettre au point et déployer un ensemble de technologies de pointe et d’innovations permettant de réduire les émissions.

La possibilité de gagner et d’accumuler des points pour des réductions dépassant celles exigées constitue un aspect important du Règlement, qui favorise la transition pour les constructeurs, qui devront respecter des normes plus rigoureuses pour les années modèles 2017 à 2025. Ils sont ainsi en mesure de planifier de nouvelles technologies de contrôle des émissions et de les intégrer méthodiquement et progressivement.

Qui plus est, les préoccupations quant aux coûts élevés du respect des normes sont constamment exagérées. Un compte rendu de fournisseurs sur le développement de nouvelles technologies révèle que les coûts de certaines de ces nouvelles technologies diminueront de centaines de dollars et ceux des véhicules électriques, de milliers de dollars par véhicule d’ici 2025. Des recherches menées en 2017 par l’International Council on Clean Transportation (ICCT) ont démontré que les coûts de conformité aux normes adoptées pour 2025 seront de 34 à 40 % plus bas que ceux projetés dans l’analyse effectuée dans le cadre de l’évaluation réglementaire de mi-mandat des États-Unis.

Les recherches de l’ICCT ont en outre établi que les normes actuelles « peuvent être respectées de manière rentable. De telles normes entraîneraient une augmentation modeste et progressive des coûts des véhicules jusqu’en 2030, qui serait accompagnée d’économies de carburant de deux à trois fois plus importantes que les coûts » [nos italiques] [traduction]. Ce sont principalement des technologies de combustion d’avant-garde qui permettraient d’atteindre les normes actuelles tout en stimulant la croissance du segment de marché des véhicules électriques rechargeables.

Certains secteurs de l’industrie canadienne de l’automobile partagent d’ailleurs ce point de vue : ils s’inquiètent des répercussions d’un assouplissement potentiel des normes. L’Association des fabricants de pièces d’automobile du Canada (APMA) a déclaré que « le fait de rendre les règlements moins contraignants nuirait aux finances des fabricants de pièces automobiles du Canada qui ont pris des mesures pour s’adapter à des normes plus sévères » [traduction]. Le président de l’APMA, Flavio Volpe, a affirmé que les fabricants ont « investi des centaines de milliards de dollars pour mettre au point des conceptions plus légères et des modes de propulsion alternatifs. Un abaissement des normes à un stade aussi avancé pourrait rendre vaines une partie de ces recherches approfondies en matière de nouvelles technologies tout comme les dépenses liées à leur développement » [traduction].

Étant donné que les changements s’opèrent à un rythme relativement lent dans ce domaine vaste et complexe qu’est le secteur de l’automobile, la réglementation en matière d’émissions de GES a été établie à moyen et à long terme sans céder aux pressions politiques pour le court terme. Une réglementation prévisible tout comme des règlements favorisant une meilleure qualité de l’air et une réduction des émissions de GES à longue échéance s’avèrent essentiels pour permettre à l’industrie de demeurer concurrentielle dans l’économie mondiale sobre en carbone. La nécessité de mettre en place de telles conditions constitue un autre argument de poids pour inciter le Canada à maintenir son règlement actuel jusqu’en 2025.

Une telle réglementation est cruciale pour respecter nos engagements pris envers la communauté internationale en matière de climat.

Selon Environnement et Changement climatique Canada, les plus récentes modifications apportées aux normes canadiennes sur les véhicules devaient entraîner une réduction cumulative des émissions de GES de 174 Mt entre 2017 et 2025. Nous ne pouvons faire fi d’une telle diminution d’émissions si nous ne voulons manquer à notre engagement de l’Accord de Paris. Selon des projections récentes, le Canada est en voie d’accumuler un retard équivalant à 66 Mt par rapport à sa cible de 2030 de l’Accord, et ces projections sont fondées sur le règlement actuel concernant les émissions d’ici 2025, sans tenir compte d’un éventuel assouplissement.

Il est donc temps pour le Canada d’entreprendre les « procédures de divorce » et d’établir sa réglementation en solo afin de maintenir l’échéancier actuel en ce qui concerne ses cibles de réduction. Cette réglementation est essentielle pour répondre à la crise climatique, faire en sorte que les constructeurs automobiles demeurent concurrentiels dans l’économie mondiale sobre en carbone et permettre aux consommateurs de réaliser des économies.

Il n’en demeure pas moins que cette séparation avec les États-Unis offre une opportunité de rapprochement avec la Californie, qui a clairement fait savoir son intention d’accentuer son action politique en matière de climat et son refus d’assouplir sa réglementation en vigueur. Ensemble, le Canada, la Californie et les 15 autres États représentent près de la moitié du marché nord-américain de l’automobile. Une nouvelle idylle pourrait bien être sur le point de naître.

Photo : Shutterstock, Alexander Ishchenko.


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Annie Bérubé
Annie Bérubé est directrice des relations gouvernementales au bureau d’Ottawa d’Équiterre.
Isabelle Turcotte
Isabelle Turcotte est analyste principale au Pembina Institute.

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