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Il existe un terme souvent utilisé dans le monde des politiques publiques lorsqu’on parle de dépenses en matière de défense : les « infrastructures à double usage ». L’idée est de construire quelque chose qui renforce la défense du pays, tout en ayant une utilité pour les civils – comme des routes ou des ports.

Après l’élection la plus polarisée depuis près d’un siècle en matière de partisanerie, le nouveau gouvernement libéral minoritaire devrait envisager toutes ses initiatives comme ayant un « double usage ». Il peut s’attaquer à des enjeux politiques majeurs tout en répondant aux besoins des Canadiens vivant dans les régions rurales et dans l’Ouest – des électeurs qui demandent du changement et une attention accrue à leurs préoccupations.

Au-delà des négociations bilatérales avec les États-Unis, qui seront la priorité absolue, le nouveau cabinet aura la tâche monumentale de déterminer comment prioriser son programme politique.

Voici quatre domaines où il pourrait contribuer à réduire les divisions au sein du pays.

Se concentrer sur les communautés les plus vulnérables et leurs travailleurs

Ce n’est pas le moment de mettre en place des politiques du type « un poulet dans chaque marmite » (a chicken in every pot). Les communautés les plus exposées aux tarifs américains sont souvent des petites villes, des milieux ruraux ou des communautés éloignées (y compris autochtones), selon notre analyse.

Se concentrer sur ces communautés est une décision stratégique et non un geste charitable. La plupart ne possèdent pas une économie diversifiée, mais elles produisent une grande part des biens que le Canada exporte. Confrontées à une menace extérieure qui pourrait bouleverser leur quotidien, elles sont particulièrement motivées à adopter les transformations dont le pays a besoin pour réduire sa vulnérabilité face aux décisions arbitraires de dirigeants étrangers.

Les responsables locaux du développement économique connaissent les meilleures possibilités d’investissements tournés vers l’exportation et savent ce qu’il faut pour les concrétiser. Ces leaders devraient être appuyés par les autres paliers de gouvernement. Les collèges et autres établissements d’enseignement sont souvent les mieux placés pour s’associer aux entreprises locales et soutenir la transition des travailleurs vers de nouveaux métiers.

Le gouvernement fédéral dispose d’organismes à cet effet, notamment le Réseau de développement des collectivités du Canada, qui a rapidement mis en œuvre des mesures de soutien pour les entreprises pendant la pandémie. Si ces organismes recevaient le mandat et les ressources pour octroyer des subventions et des prêts destinés à des initiatives stratégiques liées à la diversification des exportations, ils pourraient maximiser la capacité des communautés et des entreprises canadiennes.

Élaborer une politique industrielle réellement stratégique

Pour réagir aux tarifs imposés par Donald Trump, le Canada devra « mettre ses œufs dans plus d’un panier ». Autrement dit, trouver de nouveaux débouchés pour ses produits, mais aussi élargir la gamme de biens exportés.

Plusieurs secteurs d’intérêt stratégique se trouvent dans les régions rurales, le Nord et l’Ouest du pays. Par exemple, la demande mondiale pour des minéraux critiques, comme le lithium, le graphite et les terres rares est en forte croissance, et les pays réalisent que la concentration du traitement de ces minéraux en Chine représente un risque majeur pour les chaînes d’approvisionnement. Le Canada possède des ressources recherchées, mais il fait face à des obstacles techniques, financiers, réglementaires et infrastructurels qui l’empêchent de saisir cette occasion.

L’électricité propre représente aussi un secteur stratégique, en particulier dans l’Ouest, le Nord et les provinces atlantiques. Il faudra produire beaucoup plus d’énergie pour profiter des occasions dans les secteurs du gaz naturel liquéfié, des minéraux critiques, des centres de données, de la fabrication, et même possiblement de l’exportation d’électricité vers l’Europe. Si cette énergie n’est pas à faibles émissions, les investisseurs se montreront frileux, et les objectifs climatiques seront compromis. Les gouvernements devront augmenter l’offre d’électricité et développer les infrastructures de transport de l’énergie, tout en maintenant des tarifs abordables – une tâche complexe.

Le sol d'une usine rempli de tuyaux métalliques gris, de câbles et de machines.
Lithion Saint-Bruno en juin 2024, peu après l’achèvement de l’usine à Saint-Bruno-de-Montarville, dans l’est de Montréal. L’usine démonte et broie des batteries au lithium-ion pour produire un matériau utilisé pour fabriquer de nouvelles batteries. LA PRESSE CANADIENNE/Christinne Muschi

L’agriculture est aussi une énorme opportunité, particulièrement pour les régions rurales et l’Ouest canadien, en raison d’une demande mondiale croissante pour les produits canadiens. L’élimination des obstacles au commerce interprovincial aidera, mais les contraintes actuelles sur le réseau ferroviaire et les infrastructures portuaires compliquent l’accès aux marchés internationaux. De plus, il sera difficile d’élargir la transformation alimentaire tout en demeurant concurrentiel par rapport aux fournisseurs américains.

La bonne nouvelle, c’est que le gouvernement fédéral possède les outils pour stimuler des investissements privés à grande échelle et aider les entreprises à surmonter les obstacles.

La Banque de l’infrastructure du Canada commence à prendre son envol avec d’importants investissements privés et des partenariats avec des communautés autochtones. Le Fonds de croissance du Canada – un fonds fédéral de 15 milliards de dollars géré par Investissements PSP – dispose des outils financiers nécessaires pour réduire les risques des projets et favoriser la décarbonation de l’économie. Ajouter un objectif de diversification des exportations à leur mandat ne serait pas un grand détour. Exportation et développement Canada a déjà cette mission dans son mandat, et pourrait collaborer avec ces institutions.

S’attaquer aux enjeux d’abordabilité dans les régions rurales

Plus de quatre millions de Canadiens vivent dans des zones à faible densité – communautés rurales, éloignées, autochtones ou nordiques – où la voiture personnelle est souvent la seule option de transport. Pour ceux qui ne peuvent pas conduire, en raison du coût, de l’âge ou d’un handicap, les options limitées accentuent les inégalités, restreignent l’accès à l’emploi et à l’éducation, et peuvent même compromettre la santé et la sécurité.

L’un des meilleurs moyens de s’attaquer à l’enjeu de l’abordabilité est d’investir dans les transports. Le gouvernement fédéral doit collaborer avec les gouvernements provinciaux, territoriaux et autochtones pour bâtir une vision audacieuse du transport de passagers au Canada – une vision qui comblerait les lacunes en misant sur le financement fédéral des infrastructures.

La vision pour les transports au Canada de 2013 a besoin d’être revue en profondeur. Elle doit aller au-delà du statu quo pour corriger les lacunes critiques, notamment dans les réseaux de transport interrégionaux par autobus et par train. Une meilleure collecte de données est aussi essentielle. Statistique Canada devrait mener une enquête nationale qui couvre l’ensemble des déplacements des ménages – pas seulement les trajets domicile-travail, mais aussi ceux liés aux soins de santé, à l’éducation et à la vie communautaire. Sans ces données, il est difficile de concevoir des politiques efficaces.

L’élargissement du financement des infrastructures et du réseau de Via Rail – en matière de fréquence, de trajets et de coûts – permettrait de recréer des liens vitaux entre les communautés mal desservies. Et pour véritablement appuyer la mobilité rurale, le Fonds pour les solutions de transport en commun en milieu rural doit être renforcé – pas seulement pour couvrir l’achat de minibus ou de véhicules, mais aussi pour financer des coûts essentiels, comme les salaires et les véhicules loués.

Les voies ferrées rouillées et envahies par la végétation passent devant la station, un long bâtiment blanc avec un toit en pente raide et de larges avant-toits. Les sept voies convergent ici et se dirigent vers un plan d'eau au loin. L'endroit est industriel, avec des réservoirs de stockage et des entrepôts.
La ligne de chemin de fer et la station Via à Churchill, au Manitoba, en juillet 2018. La fermeture du port et de la ligne de chemin de fer a entraîné des difficultés économiques pour la communauté. LA PRESSE CANADIENNE/John Woods

Favoriser l’appartenance et une citoyenneté partagée

Les tarifs imposés par Trump ont provoqué une rare vague de solidarité au sein de la population canadienne – d’autant plus remarquable qu’elle est née à la base. Il règne aussi un sentiment de soulagement dans le pays. Les gens sont rassurés de voir émerger quelque chose qui les relie à leurs voisins et à ce sentiment parfois insaisissable d’être Canadien.

Que peut faire un gouvernement fédéral pour renforcer ce sentiment d’identité partagée? C’est une question complexe, que de nombreuses organisations souhaitent explorer.

L’une des solutions passe par l’intégration réfléchie des nouveaux arrivants en reconnaissant leurs diplômes et expériences et en favorisant leur inclusion dans nos quartiers, nos écoles et nos milieux de travail. Un écosystème médiatique sain est aussi crucial, avec des médias solides à l’échelle locale, régionale et nationale.

Et le rôle des autres institutions de la société civile est tout aussi fondamental : les communautés religieuses, les arts, le sport, le bénévolat. Davantage de recherche – et d’action – est nécessaire dans ce domaine. L’IRPP a d’ailleurs abordé certains de ces enjeux dans son rapport sur les institutions canadiennes et la pandémie de COVID-19.

Gouverner le Canada n’a jamais été une tâche facile : vaste étendue, faible population, système bilingue et biculturel, et péché originel de ne pas avoir fondé la fédération avec les peuples autochtones. Mais nous pouvons continuer à déjouer les pronostics – et Donald Trump – en veillant à ce que les décisions politiques renforcent aussi les liens qui nous unissent, qu’ils soient entre villes et campagnes, entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud – ou simplement entre voisins.

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Jennifer Ditchburn
Jennifer Ditchburn est présidente et chef de la direction de l’Institut de recherche en politiques publiques. Entre 2016-2021, elle était rédactrice en chef d’Options politiques, l’influent magazine numérique de l’IRPP. Jennifer a travaillé pendant plus de 20 ans comme reporter nationale à La Presse canadienne ainsi qu’à SRC/CBC. Elle a codirigé, avec Graham Fox, l’ouvrage paru en 2016 The Harper Factor: Assessing a Prime Minister’s Policy Legacy (McGill-Queen’s).
Rachel Samson
Rachel Samson est vice-présidente de la recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques. Elle était auparavant directrice de la recherche sur la croissance propre à l’Institut climatique du Canada. Rachel a également œuvré pendant 15 ans en tant qu’économiste et cadre au sein du gouvernement fédéral, et cinq ans en tant que consultante indépendante. Twitter @rachel_e_samson

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