La plupart des Canadiens ignorent probablement qu’une taxe sur les véhicules énergivores est déjà en vigueur au Canada. Cela n’est pas surprenant, car cette taxe s’applique uniquement aux véhicules de luxe tels que la Lamborghini Aventador Roadster, dont le prix de vente dépasse les 400 000 dollars. Les personnes qui font l’acquisition de cette Lamborghini ne paient qu’une maigre taxe de 4 000 dollars pour un véhicule qui émet la faramineuse quantité de 461 grammes de CO2 par kilomètre (en comparaison, une Honda Civic émet seulement 158 grammes). À maintes reprises, les données d’études ont démontré que les Canadiens sont prêts à faire leur part en matière de lutte contre les changements climatiques. Toutefois, lorsqu’il est question de l’achat d’une voiture ou d’une camionnette, notre système de taxation ne leur fournit pas d’incitatif à faire un choix judicieux.

Dans sa forme actuelle, la taxe d’accise fédérale sur les véhicules énergivores instaurée en 2007 par le gouvernement conservateur ne peut être considérée comme une mesure environnementale. Elle n’a aucun effet sur les décisions d’achat de véhicules, donc aucun effet sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) et autres polluants atmosphériques.

Certains diront que, de toute façon, cette taxe n’a plus son utilité depuis qu’une taxe sur le carbone a été mise en place au Canada. Or un prix du carbone de 30 dollars la tonne (comme en Colombie-Britannique) inclut un coût supplémentaire de seulement 7 cents par litre d’essence, ce qui représente environ 5 % du coût à la pompe. Bien que ce prix puisse contribuer à modifier les habitudes de conduite, comme les distances parcourues, une étude révèle que de tels niveaux de prix du carbone, incluant le nouveau système fédéral de tarification du carbone, sont peu susceptibles d’influencer de façon significative les décisions d’achat de la plupart des consommateurs, principalement parce que les taxes sur l’essence et le diesel au Canada sont parmi les plus faibles des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). L’approche « pollueur-payeur » canadienne comporte de sérieuses lacunes : étant donné que c’est le prix d’achat qui importe le plus aux consommateurs, le prix des véhicules devrait refléter leur coût de pollution.

Plus que jamais, les Canadiens achètent des véhicules à émissions élevées. Trois des cinq véhicules les plus vendus au Canada sont des camionnettes, et 60 % des 30 véhicules les plus vendus au pays sont des camionnettes, des véhicules utilitaires sport (VUS) ou des fourgonnettes : des modèles de véhicules qui polluent davantage que les voitures ordinaires. Ces préférences se reflètent dans les tendances d’émissions au Canada ; l’achat de ce type de véhicule y compte pour beaucoup. Nous devons donc renverser cette tendance pour être en mesure de réduire les émissions de GES du secteur du transport personnel au Canada.

Auparavant, les profils d’émissions des différents modèles de camionnettes différaient peu, et l’imposition d’une taxe sur ces véhicules aurait été perçue comme inéquitable pour ceux qui doivent en posséder un dans le cadre de leur travail. Or aujourd’hui, les émissions varient suffisamment entre les modèles des différentes catégories de véhicules pour permettre aux consommateurs de faire des choix plus écologiques sans avoir à renoncer au modèle de véhicule qui les intéresse. Les indices de CO2 publiés par Ressources naturelles Canada, qui classe les véhicules selon la pollution qu’ils génèrent sur une échelle de 1 (le pire) à 10 (le meilleur), attribue aux camionnettes des valeurs variant entre 2 et 5 sur un maximum de 10. Qui plus est, l’arrivée de camionnettes électriques et hybrides rechargeables laisse entrevoir que des véhicules avec de meilleurs indices de CO2 seront disponibles prochainement, même dans cette catégorie de véhicules si populaire. Les options sont encore plus nombreuses en ce qui concerne les voitures et les VUS.

De 2000 à 2011, l’Ontario avait un programme de taxation avec remise qui consistait à taxer l’achat de véhicules énergivores et à offrir un rabais pour les véhicules écoénergétiques. Selon une analyse du programme, il a eu un effet significatif sur la répartition des véhicules circulant sur les routes malgré des frais relativement modestes imposés par véhicule. Au Chili, on a récemment adopté une approche qui tient compte à la fois des émissions des véhicules et de leur prix de vente : on impose des taxes plus élevées pour les véhicules à fort coefficient de pollution et dispendieux, et des taxes moindres pour les véhicules qui polluent moins et sont meilleur marché. Ce type de mesure incite à acheter des véhicules plus propres, sans exacerber les inégalités de revenu.

Une analyse effectuée par Rachel Samson et Sara Rose-Carswell pour le compte d’Équiterre a montré que le Canada pourrait s’inspirer des meilleurs éléments de systèmes de taxation existant ailleurs dans le monde pour réformer sa taxe d’accise sur les véhicules énergivores et la rendre plus efficace du point de vue environnemental, tout en offrant une variété de choix aux consommateurs. Pour que les véhicules à faibles émissions soient attrayants pour les consommateurs, la taxe doit s’appliquer à tous les véhicules dont l’indice de CO2 se situe en deçà d’un certain seuil de pollution (voir le tableau ci-dessous).

Certains soutiennent que les taxes sur les véhicules neufs incitent les gens à conserver leur vieille voiture à fortes émissions plus longtemps, ce qui va à l’encontre de leur objectif de réduire les émissions de CO2 dans l’atmosphère. Or une conception judicieuse de la taxe permet de remédier à ce problème. Le gouvernement pourrait annuler ou réduire la taxe sur un véhicule neuf si la personne qui l’achète laisse en échange un véhicule plus vieux et plus polluant. (Il pourrait, par exemple, accorder un rabais de 25 % sur la taxe à l’achat d’un véhicule dont l’indice de CO2 est d’un point supérieur à l’ancien, jusqu’à concurrence de 100 % de rabais sur la taxe à l’achat d’un véhicule dont l’indice de CO2 est supérieur de quatre points.)Nous suggérons d’appliquer la taxe à toutes les voitures et tous les VUS dont l’indice de CO2 est inférieur à 6 sur une échelle de 10, ainsi qu’à toutes les camionnettes et fourgonnettes dont l’indice de CO2 est inférieur à 5. Afin de tenir compte de l’accessibilité financière, nous proposons une taxe qui serait calculée en tant que pourcentage du prix d’achat du véhicule au lieu du montant forfaitaire actuel. Ainsi, une camionnette Ford F150 FFV dotée d’un moteur 3,5 l se verrait imposer des frais additionnels de 1 800 dollars pour un prix d’achat de base de 26 000 dollars. Par contre, un supplément de 5 300 dollars serait exigé à l’achat d’une GMC Yukon Denali 4WD vendue au prix de base de 66 000 dollars. Il n’y aurait pas de frais supplémentaires pour les véhicules populaires que sont la Toyota Corolla ou la Chevrolet Cruze puisque leur indice de CO2 se situe au-dessus du seuil requis.

Réformer la taxe actuelle afin qu’elle reflète véritablement le coût environnemental d’un véhicule énergivore inciterait les Canadiens à acheter des véhicules plus propres, émettant moins de GES et d’autres polluants atmosphériques. Si elle est combinée à une tarification du carbone, à des normes de carburants propres et à des investissements dans les infrastructures de recharge de véhicules électriques, une taxe efficace sur les véhicules contribuerait à accélérer la transition vers un système de transports novateur et à faibles émissions de carbone dont le Canada a besoin pour atteindre ses cibles de réduction des émissions de GES.

Qui plus est, cette réforme fiscale est nécessaire afin que davantage de véhicules zéro émission se trouvent sur les routes du Canada, comme le gouvernement s’est engagé à le faire dans le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques. Le ministre des Transports Marc Garneau ainsi que le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique Navdeep Bains travaillent actuellement à mettre au point une stratégie pancanadienne pour les véhicules zéro émission qui verra le jour en 2018. Un obstacle important à l’électrification des transports au Canada est l’écart entre le prix de vente au détail des véhicules électriques et des véhicules à moteur à combustion interne. Pendant trop longtemps, les véhicules alimentés à l’essence et au diesel ont été artificiellement maintenus à bas prix : une faille du marché qui a permis aux acheteurs de se dérober aux coûts de la pollution que ces véhicules engendrent. Il est temps de transmettre aux Canadiens un signal de prix représentatif ainsi que toute l’information dont ils ont besoin pour effectuer un choix éclairé lors de leur prochain achat de véhicule.

Photo: Shutterstock/Eduard Goricev


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Annie Bérubé
Annie Bérubé est directrice des relations gouvernementales au bureau d’Ottawa d’Équiterre.
Rachel Samson
Rachel Samson est vice-présidente de la recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques. Elle était auparavant directrice de la recherche sur la croissance propre à l’Institut climatique du Canada. Rachel a également œuvré pendant 15 ans en tant qu’économiste et cadre au sein du gouvernement fédéral, et cinq ans en tant que consultante indépendante. Twitter @rachel_e_samson

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