(Cet article a été traduit en anglais.)

C’est une vérité de La Palice, et tous les intervenants sur le terrain le diront : la délinquance grave trouve son terreau dans un ensemble de facteurs sociaux et psychologiques. Ces facteurs sont assez clairement établis depuis que la criminologie existe. Qu’on parle d’exclusion sociale, d’inégalité des chances, de mauvais traitements dans l’enfance, de négligence, il est bien démontré que les contextes environnementaux défavorables au développement social et psychologique sont étroitement liés à l’apparition de la délinquance au début de l’adolescence et même avant.

D’où l’importance de repérer les enfants les plus à risque dès leur plus jeune âge. Mais pour ce faire, il faudra non pas sabrer dans les programmes scolaires et sociaux pour les enfants et les familles, mais plutôt les bonifier.

Toutefois, il restera toujours un certain nombre d’adolescents qui présenteront des comportements de délinquance grave et récurrente. Pour ces jeunes, nous avons le devoir de mettre en œuvre les meilleurs moyens qui leur permettront de se réinsérer positivement dans la société. Quels sont donc les ingrédients du succès en matière de réinsertion sociale des jeunes en conflit avec la loi ? Selon moi, il faut travailler sur plusieurs fronts à la fois : s’assurer d’avoir un cadre législatif progressif, disposer d’outils d’évaluation et d’approches d’intervention reconnus et éprouvés, soutenir le partenariat entre tous les acteurs, et favoriser le développement continu des connaissances par la recherche et l’évaluation.

Les législations pénales concernant les adolescents sont relativement récentes à travers le monde. Au Québec, par exemple, ce n’est qu’au 19e siècle que sont introduites des mesures particulières pour les mineurs présentant des problèmes de comportement ou de délinquance. Avec l’avènement de la loi sur les écoles de réforme et les écoles d’industrie sont mises en place des institutions qui permettent de traiter les mineurs différemment des adultes.

En 1908, le Parlement canadien adopte la Loi sur les jeunes délinquants. Cette loi instaure officiellement un régime pénal distinct pour les enfants (elle s’applique aux jeunes de 7 à 18 ans) et considère le jeune délinquant comme une personne en développement qui a besoin d’aide et de conseils. Elle invite les juges à agir en bon père de famille et à prendre les moyens nécessaires pour ramener le jeune dans le droit chemin. Cette loi ne reconnaît cependant pas aux adolescents les mêmes droits qu’aux adultes. Elle vise davantage à protéger les jeunes qu’à les responsabiliser.

En 1984, après plusieurs années de travaux, la Loi sur les jeunes délinquants est remplacée par la Loi sur les jeunes contrevenants. Cette loi reconnaît les jeunes comme des sujets de droit et leur accorde les mêmes garanties de protection des droits qu’aux adultes. Elle met l’accent sur la responsabilisation des adolescents face à leurs délits, tout en soutenant que cette responsabilisation et la protection de la société sont mieux servies par la réinsertion sociale des contrevenants. C’est une loi qui, pour l’ensemble des acteurs au Québec, propose un équilibre intéressant entre la prise en compte des besoins des jeunes et la protection de la société. Elle privilégie l’approche rééducative qui a toujours été prônée au Québec en matière d’intervention en délinquance, et elle ouvre la porte à la déjudiciarisation des infractions mineures.

Toutes les recherches en criminologie indiquent que la répression accrue n’est vraiment pas le bon moyen pour protéger davantage les collectivités.

Malgré tout, depuis la fin des années 1990, et davantage dans les années 2000, la tentation de durcir les lois pénales pour les adolescents a été très présente au Canada. La médiatisation de quelques situations très graves mais exceptionnelles joue sur le sentiment de sécurité de la population et amène les politiciens à vouloir traiter avec plus de sévérité et de répression les crimes commis par les jeunes. Le durcissement de la Loi sur les jeunes contrevenants devient alors un enjeu électoral, et c’est ainsi qu’est adoptée en 2001 et appliquée en 2003 la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Cette nouvelle loi importe du code criminel les principes de sanction des adultes : on ne parle plus de mesure, mais de peine. La hiérarchie des principes change : on veut insister sur la protection du public et sur la proportionnalité de la peine par rapport au délit. Le juge de la Chambre de la jeunesse a désormais la possibilité d’appliquer des peines adultes à des adolescents. En même temps, on met en avant encore davantage la déjudiciarisation pour les crimes mineurs, et on renforce la place de la victime, ce qui en soi est positif.

En 2012, l’adoption de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés pousse un cran plus loin l’aspect répressif, en considérant la dissuasion générale comme un facteur qui peut être pris en compte dans l’énoncé d’une peine, et en permettant au tribunal de lever l’interdiction de publication de l’identité d’un adolescent ayant commis un crime.

Pourtant, toutes les recherches prouvent que les lois plus répressives n’ont pas d’impact sur la diminution de la délinquance. Au contraire. Notre voisin du Sud est un exemple à ne pas suivre sur ce plan : affichant le taux d’incarcération le plus élevé au monde, les États-Unis deviennent de plus en plus une société violente, avec un taux de criminalité beaucoup plus important qu’au Canada. Par exemple, en 2012, 14 827 meurtres ont été rapportés aux États-Unis, contre 543 au Canada…

D’autres pays nous donnent pourtant des exemples intéressants à suivre. Ainsi, les ministres de la Justice des États membres du Conseil de l’Europe ont adopté en novembre 2008 des règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures. Ces règles sont encadrées par plusieurs principes directeurs et règles des Nations unies pour la prévention de la délinquance, lesquels servent de guide pour l’élaboration de législations en la matière dans les pays membres. En voici quelques extraits :

  • Toute sanction ou mesure […] doit être […] fondée sur les principes de l’intégration sociale, de l’éducation et de la prévention de la récidive.
  • Le prononcé et l’exécution de sanctions ou de mesures doivent se fonder sur l’intérêt supérieur du mineur, doivent être limités par la gravité de l’infraction commise […] et doivent tenir compte de l’âge, de la santé physique et mentale, du développement, des facultés et de la situation personnelle (principe d’individualisation), tels qu’établis, le cas échéant, par des rapports psychologiques, psychiatriques ou d’enquête sociale.
  • Afin d’adapter l’exécution des sanctions et mesures aux circonstances particulières de chaque cas, les autorités responsables de l’exécution doivent disposer d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire suffisant […].
  • La médiation et les autres mesures réparatrices doivent être encouragées à toutes les étapes des procédures impliquant des mineurs.
  • Le droit à la vie privée du mineur doit être respecté […].
  • Le personnel travaillant avec des mineurs accomplit une importante mission de service public. Son recrutement, sa formation spécialisée et ses conditions de travail doivent lui permettre de fournir un niveau de prise en charge approprié, répondant aux besoins spécifiques des mineurs et constituant pour eux un exemple positif.

Le Canada est un pays à l’avant-garde pour ses politiques sociales. On a vu cependant dans la dernière décennie que la tentation d’aller vers un durcissement des lois pénales est toujours présente chez nous, malgré le fait que toutes les recherches et les connaissances en criminologie indiquent que la répression accrue n’est vraiment pas le bon moyen pour protéger davantage les collectivités.

L’application de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents a fourni aux intervenants sociaux et judiciaires du Québec l’occasion de réfléchir ensemble sur les valeurs, les principes et les connaissances sur lesquelles ils devaient fonder leurs interventions. Cela leur a permis de se doter d’une vision commune et d’orientations quant à l’application de la loi. Ils ont aussi souhaité évaluer scientifiquement les retombées de leurs actions par une recherche exhaustive. Il est important que les politiciens tiennent compte des connaissances scientifiques et des évaluations de programmes existants lors de tout futur changement législatif concernant la justice des mineurs. C’est peut-être moins rentable électoralement que de tabler sur l’insécurité des citoyens, mais certainement beaucoup plus responsable.

Cet article fait partie du dossier Une vision élargie de la réforme du système de justice pénale.

Photo : Shutterstock / kwanchai.c


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Michèle Goyette
Michèle Goyette, criminologue de formation, est consultante auprès de divers organismes œuvrant auprès des jeunes. Durant les 40 dernières années, elle a été intervenante ou gestionnaire dans des services pour les adolescents en conflit avec la loi et les enfants en besoin de protection, participant aussi à différents travaux provinciaux sur l’amélioration de l’intervention auprès des jeunes en difficulté du Québec.

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