(Cet article a été traduit en anglais.)

Le procès est terminé, la peine a été prononcée voilà plusieurs mois, pourtant Jeanne (nom fictif) n’arrive pas à éprouver l’apaisement espéré depuis ce drame. Tant de questions en suspens habitent encore son esprit au quotidien. Pourquoi elle ? Pourquoi cet homme a-t-il choisi de violer son espace intime ? Son angoisse l’amène à s’isoler, car elle se sent incomprise. Aux yeux de ses amis, le processus judiciaire a suivi son cours et l’agresseur a reçu sa sentence. Alors pourquoi encore s’interroger sur les motifs de cet individu ? N’est-ce pas fini, tout ça ?

Ou prenons les membres d’une communauté autochtone qui vivent dans l’espoir de retrouver une certaine paix. Ils souhaitent renouer entre eux des liens positifs malgré la violence, les abus et l’isolement qu’ils subissent depuis longtemps, de génération en génération. Il doit y avoir une manière pour eux d’exprimer leur souffrance et de trouver une voie vers la guérison, sans tout briser.

Antoine (nom fictif) purge sa peine depuis maintenant deux ans. Il participe au programme de réhabilitation sociale ; toutefois, il est convaincu qu’au moment de sa libération, il se verra rejeté en raison de son casier judiciaire. Que dire de sa famille qui ne le visite plus ? Il a fait tellement de bêtises ! Des excuses pour les crimes commis, il n’en a jamais offert, ni aux victimes, ni à ses proches. Il s’interroge sur son avenir et sur la place qu’il occupe dans la société.

Pour chacune des situations décrites ci-haut, la justice réparatrice propose différentes démarches. Dans le respect des besoins des victimes comme des personnes judiciarisées, et sur une base strictement volontaire, cette forme de justice vise à restaurer les liens brisés. Et ces liens sont nombreux et complexes. Ils sont fondés sur la confiance en soi, en l’autre, en sa capacité de retrouver une place dans la collectivité. Il faut que les victimes comme les personnes judiciarisées puissent rétablir un dialogue positif avec leur entourage et reprendre possession de leur propre vie. Souvent, le crime commis affecte les parties impliquées bien au-delà des blessures apparentes. La justice réparatrice s’intéresse à tous ces aspects.

Les démarches en justice réparatrice ne sont pas improvisées. Essentiellement, elles consistent en plusieurs rencontres préparatoires individuelles au cours desquelles les différents acteurs sont accompagnés. Ils tentent de nommer leur malaise. Ils apprennent à mettre des mots sur leur souffrance et à l’exprimer dans le but de s’en libérer. En cours de route, lorsqu’ils se sentent prêts, il y a une ou plusieurs rencontres entre la victime et l’agresseur ou un agresseur, encadrées de près par des animateurs. En effet, les rencontres peuvent se faire avec la personne qui a commis l’agression (ce que proposent le Service correctionnel du Canada et les organismes de justice alternative) ou alors avec une personne ayant posé des gestes similaires (ce qu’offre le Centre de services de justice réparatrice, en groupe ou en face-à-face). Ces rencontres sont préparées soigneusement. Il est crucial de ne pas revictimiser la victime.

L’approche de justice réparatrice s’inscrit également dans une perspective de responsabilisation des délinquants. Ceux qui s’engagent dans cette voie n’ont rien de tangible à en tirer : leur peine n’est pas réduite, leurs conditions de surveillance ne sont pas supprimées, et ils n’obtiennent pas de libération conditionnelle sur la seule base de leur participation à une telle démarche. D’ailleurs, si un accompagnateur réalise que les intentions de l’agresseur ne correspondent pas aux objectifs visés par la démarche réparatrice, ce dernier ne pourra la poursuivre. Les intervenants portent une attention particulière aux cas de violence intrafamiliale afin d’éviter toute forme de récupération nocive pour la famille et la victime.

La justice réparatrice vise à restaurer les liens brisés. Et ces liens sont nombreux et complexes. Les victimes comme les personnes judiciarisées doivent rétablir un dialogue positif avec leur entourage et reprendre possession de leur propre vie.

Pour la victime, il n’y a pas de gain pécuniaire, mais il y a la reprise en main de sa vie en arrivant à exprimer ses émotions et sa souffrance, et en obtenant des réponses à ses questions. Les animateurs, qui agissent à titre bénévole, veillent à ce qu’aucun acteur n’exerce un pouvoir sur l’autre. Cela concourt à établir un dialogue respectueux, ancré dans la vérité et le respect de chacun. Dans certains cas, les rencontres favorisent une forme de guérison.

Depuis plus de 15 ans, le Centre de services en justice réparatrice (CSJR) accompagne des victimes et des agresseurs. Il forme des animateurs, s’informe des recherches sur la question et fait de la sensibilisation auprès du public. Privilégiant une approche intégrée, il collabore avec divers organismes pour assurer une compréhension et une prise en charge globale des personnes.

Ce n’est donc pas par hasard que le CSJR a été invité à participer aux séances de consultation du ministère de la Justice du Canada et du Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels. L’initiative du gouvernement fédéral, visant la transformation du système de justice pénale, poursuit de nombreux objectifs : accroître l’efficacité du système, prendre en compte les besoins des populations vulnérables, garantir le respect de la Charte canadienne des droits et libertés, hausser la transparence, la responsabilisation et la surveillance au sein du système correctionnel fédéral, recourir davantage à la justice réparatrice. Ces nobles objectifs correspondent aux attentes du public. Nous devons nous y attarder puisque le système de justice pénale traverse une zone de turbulences liée à sa complexité, à ses coûts, à son accessibilité et aux perceptions qu’on en a.

Il est important de rappeler que la réparation des torts causés à la victime et à la communauté, de même que la responsabilisation du délinquant face aux crimes commis, sont des objectifs déjà inscrits à l’article 718 du Code criminel canadien. La justice réparatrice a donc un attrait indéniable pour les gouvernements. Mais plusieurs défis restent à relever.

Bien qu’il puisse arriver que la victime pardonne, la démarche lui permet avant tout de dire ce qu’elle a vécu, de poser les questions qui sont les siennes, et d’exprimer éventuellement sa colère et ses frustrations.

Premièrement, la justice réparatrice est méconnue, et plusieurs craintes et fausses perceptions l’entourent. Par exemple, certains croient que les gouvernements s’y intéressent dans l’unique but de réduire le volume de causes pénales, et ce, au détriment des intérêts et des besoins des victimes. Pourtant, tel que pratiqué au CSJR, le processus de justice réparatrice s’amorce après que la sentence a été prononcée et parfois même purgée par les auteurs des crimes. D’autres pensent qu’au terme de la démarche, une victime doit nécessairement pardonner à son agresseur. Cela ne correspond pas du tout à la réalité. Bien qu’il puisse arriver que la victime pardonne, la démarche lui permet avant tout de dire ce qu’elle a vécu, de poser les questions qui sont les siennes, et d’exprimer éventuellement sa colère et ses frustrations. En aucun temps la victime ne porte le poids des attentes des uns et des autres. Devant ces craintes et perceptions, une campagne de sensibilisation et d’éducation des acteurs du système et des citoyens s’avère impérative.

Deuxièmement, la bonne formation des animateurs est essentielle, et il est important qu’ils soient déployés sur un vaste territoire. L’accessibilité aux services de justice réparatrice est plus problématique en région éloignée. Toutefois, le gouvernement du Québec reconnaît la situation et consent des efforts et des ressources pour assurer un déploiement plus vaste de ces services.

Troisièmement, il existe encore au sein de notre société la perception qu’un organisme communautaire dirigé par un conseil d’administration bénévole et dont l’action repose en partie sur le travail de bénévoles se caractériserait par une absence de professionnalisme. Il y aurait professionnalisme seulement lorsque les services sont offerts par des professionnels rémunérés ou par des organismes publics. Pourtant, des organismes comme le CSJR sont des corporations à but non lucratif qui doivent rendre des comptes de leur gestion à leurs membres, à leurs bailleurs de fonds et aux gouvernements.

Ces organismes voient à la prestation de services de qualité par la mise en place de mécanismes rigoureux en ce qui a trait au recrutement des animateurs, à leur formation et à leur supervision. Les bénévoles qui animent les séances de justice réparatrice sont issus du milieu des sciences humaines. Au-delà de leur formation, leur savoir-être est grandement considéré. Le respect, la bienveillance et la capacité d’assurer la sécurité et l’égalité dans leurs démarches sont des qualités et des valeurs essentielles à l’accomplissement de leur mandat. Le caractère communautaire de la justice réparatrice ne doit pas porter ombrage à cette initiative. De plus, elle favorise l’engagement et la contribution des citoyens.

Pour maintenir cette participation des membres de la communauté et le respect des parties en cause, il y a une dernière recommandation à formuler aux gouvernements.

Il arrive parfois que les impératifs budgétaires des gouvernements entraînent une quantification de chacune des activités et des tâches, imposant ainsi des résultats définis à l’avance et même des limites au temps consacré à ces dernières. De même, une tendance à systématiser des pratiques peut nuire au rythme d’une démarche de réparation. Les autorités gouvernementales, tout en démontrant de l’ouverture à la justice réparatrice, doivent résister à la tentation d’institutionnaliser cette initiative et de l’enfermer dans une logique purement comptable. La justice réparatrice doit conserver son caractère humain et demeurer une solution de proximité mettant à profit l’engagement des citoyens.

La justice réparatrice s’avère une avenue prometteuse à bien des égards, car retisser des liens constructifs, retrouver la confiance en soi, en l’autre et en la communauté, engendre des bénéfices inestimables pour notre société.

Cet article a été rédigé en collaboration avec Estelle Drouvin, coordonnatrice du CSJR.

Cet article fait partie du dossier Une vision élargie de la réforme du système de justice pénale.

Photo : Shutterstock / Peter Buckwalter


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Johanne Vallée
Johanne Vallée est ambassadrice du Centre de services de justice réparatrice (CSJR). Elle a été sous-commissaire régionale responsable du Service correctionnel du Canada pour le Québec et, auparavant, sous-ministre associée à la Direction générale des services correctionnels du Québec.

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