(Cet article a été traduit en anglais.)

La fermeture des musées à la mi-mars 2020 en raison de la pandémie a eu des effets sur leur gestion. L’inquiétude s’est rapidement répandue parmi le personnel, car ceux qui travaillent dans les musées savent bien que la survie de leur institution dépend des revenus autonomes. Un musée fermé ne génère aucun revenu de billetterie, et les autres revenus fondent aussi comme neige au soleil. Impossible de solliciter des partenaires financiers pour des expositions ou des activités éducatives, car la contribution des mécènes et des commanditaires repose sur la visibilité qu’offrent celles-ci.

Les conseils d’administration des institutions muséales ont choisi dans certains cas de suspendre les contrats d’employés occasionnels et du personnel régulier en raison du manque de ressources financières. L’isolement a également été l’occasion de réfléchir aux conditions de travail et de remettre en question certaines pratiques. Au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), le conseil a démis de ses fonctions sa directrice générale Nathalie Bondil, suscitant une vive polémique. Or cet événement doit être placé dans le contexte social et économique actuel des musées, d’autant plus qu’il a aussi donné lieu à des remises en question de la gouvernance de ces institutions.

Types de musée et financement

Il faut comprendre qu’il existe divers modèles de gouvernance parce qu’il existe différents modèles de musée. Tous ne sont pas égaux, loin de là. Contrairement à certains pays européens, les musées au Québec, tout comme ailleurs au Canada et aux États-Unis, ne sont pas tous soutenus par l’État. L’Observatoire de la culture et des communications du Québec a recensé 406 institutions muséales dans la province en 2018. De ce nombre, le ministère de la Culture a agréé, en 2019, 150 musées dans les 17 grandes régions du Québec. Ces musées régionaux et petites institutions muséales répondent aux exigences de bonne gouvernance du ministère et reçoivent un soutien financier.

Les subventions publiques (du fédéral, de la province et des municipalités) représentent en moyenne 65 % de leur budget total. Pour survivre, ils doivent compter sur des revenus autonomes (31 %) et du financement privé (4 %). Et aussi sur la contribution des bénévoles et amis des musées, sans lesquels ils ne pourraient réaliser leur mandat. Néanmoins, la majorité des musées québécois sont des institutions privées sans but lucratif.

La situation est différente pour les trois musées nationaux du Québec ― le Musée d’art contemporain de Montréal, le Musée de la civilisation et le Musée des beaux-arts du Québec. Dans leur cas, le financement public représente 77 % du budget, tandis que les revenus autonomes et le financement privé ne couvrent que 19 % et 4 % de leurs dépenses.

Le MBAM constitue un cas à part ; s’il est financé au même niveau que les musées d’État, il demeure un musée privé. Or ses revenus autonomes, de même que ses commandites, sont les plus élevés au Québec.

Le MBAM constitue un cas à part ; s’il est financé au même niveau que les musées d’État, il demeure un musée privé. Or ses revenus autonomes, de même que les commandites, sont les plus élevés au Québec. Il y a au MBAM une longue tradition de mécénat par des collectionneurs et mécènes depuis sa création au milieu du 19e siècle. Du même coup, la situation de crise que vivent les musées le touche davantage que les musées d’État, car la part des revenus autonomes et des commandites sera pratiquement nulle en 2020 et pourrait se traduire par un déficit important, tandis que les musées nationaux seront soutenus financièrement par l’État.

En ce qui concerne les musées agréés, l’écart entre le financement public et privé est encore plus marqué au Canada anglais et aux États-Unis, où l’État finance peu les musées. Et ces écarts sont plus importants pour les musées de société et de sciences, tandis que les musées d’art, comme le montrent les enquêtes, attirent davantage les mécènes et les partenaires financiers. On doit donc tenir compte du type de musée pour juger de sa santé financière.

La Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels du Canada sert indirectement à financer les musées canadiens qui ne reçoivent pas de fonds pour les acquisitions en leur permettant d’obtenir des œuvres par don. Les donateurs bénéficient de déductions fiscales égales à la juste valeur marchande des œuvres. Ce choix de société a eu pour effet de créer des liens étroits entre les directions des musées et les grands collectionneurs. Nous avons pu constater les effets de cette loi en 2018 et en 2019, à propos de la vente d’un tableau de Chagall, puis dans l’affaire Caillebotte. Dans une décision unanime, la Cour d’appel fédérale a cassé en 2019 le controversé jugement Manson sur l’exportation d’œuvres d’art, qui limitait l’acquisition d’œuvres internationales. Il est intéressant de constater que c’est Nathalie Bondil qui avait mobilisé les musées canadiens dans cette cause.

Conséquemment, c’est le mode de financement qui détermine le mode de gouvernance de chaque institution muséale. Tous les ordres de gouvernement et les administrations municipales incitent les musées à générer des revenus autonomes et à élaborer des partenariats financiers. Dans l’ensemble, ce modèle a fait ses preuves au cours des deux dernières décennies si on en juge par la progression des revenus autonomes, même si ce contexte crée une compétition vive entre les musées pour attirer les mécènes, les collectionneurs et les entreprises.

Gouvernance et réalité socioéconomique

Rappelons que les revenus autonomes des musées leur permettent de planifier la programmation à moyen et long terme. Ces revenus sont une condition essentielle pour maintenir les équipes de professionnels et de techniciens spécialisés et offrir de bonnes conditions de travail. Lorsqu’ils sont à la baisse, les conditions de travail du personnel deviennent précaires. On observe donc une grande mobilité du personnel, surtout dans les petits musées, les employés étant souvent à la recherche de meilleures conditions ailleurs.

Quant aux conseils d’administration des musées canadiens, ils font face à deux grands défis de gouvernance : assurer le financement public et privé du musée et veiller à la bonne gestion des équipes dans un contexte de précarité financière. La préoccupation première du conseil consiste à s’assurer de l’appui des ordres de gouvernement en tenant compte de l’alternance des partis politiques au pouvoir. De même, chaque direction du musée doit entretenir des relations constantes avec les collectionneurs et les mécènes en leur accordant souvent une place au conseil d’administration. Ces acteurs clés font partie intégrante de l’écosystème des musées canadiens, qui dépendent de leur soutien.

La préoccupation première du conseil d’administration consiste à s’assurer de l’appui des ordres de gouvernement. De même, chaque direction du musée doit entretenir des relations constantes avec les collectionneurs et les mécènes.

Ce contexte tend à créer des déséquilibres entre les intérêts publics du musée et les intérêts privés des partenaires. Les codes de déontologie des musées et des conseils d’administration permettent d’arbitrer les tensions entre les deux. Si tous les musées connaissent les grandes règles de la gouvernance par le biais du guide sur la gouvernance des institutions muséales de la Société des musées du Québec, de la Loi modernisant la gouvernance des musées nationaux, adoptée en 2016, et, pour le MBAM, de la Loi sur le Musée des beaux-arts de Montréal, ils doivent néanmoins composer avec un écosystème qui est beaucoup plus complexe.

L’équilibre entre les intérêts publics et les intérêts privés n’est pas simple à trouver. Cette crise de santé publique semble l’avoir remis en question. Notre équipe de la Chaire de recherche sur la gouvernance des musées et le droit de la culture de l’UQAM suit de près ces transformations qui révèlent les forces et les failles dans le monde des musées.

Je tiens à remercier Lisa Baillargeon, professeure au Département des sciences comptables, et Pierre Bosset, professeur au Département de sciences juridiques, tous deux à l’Université du Québec à Montréal, pour leur collaboration à cet article.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

Photo : Le Musée des beaux-arts de Montréal en juin 2018, durant l’exposition Picasso. Shutterstock / Cagkan Sayin.

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Yves Bergeron
Yves Bergeron est professeur au Département d’histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal, titulaire de la Chaire de recherche sur la gouvernance des musées et le droit de la culture.

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