Les gains en capital sont beaucoup moins imposés que les revenus de travail. Cet écart profite surtout aux plus fortunés et alimente un sentiment d’iniquité. Pourtant, des solutions existent. Dès 2015, la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise (Commission Godbout) proposait notamment d’imposer uniquement les gains ajustés à l’inflation et de limiter l’exemption accordée sur la résidence principale.
Plutôt que de s’attaquer au problème de fond, le gouvernement fédéral a choisi en 2024 d’annoncer une hausse du taux d’inclusion des gains en capital, le faisant passer de 50 % à 66,7 % dès 2026, sauf pour la première tranche de 250 000 $ chez les particuliers. À son arrivée au pouvoir, Mark Carney a toutefois annulé cette hausse d’impôt.
Ce recul témoigne du fort vent de face auquel se bute toute proposition de réforme de l’imposition des gains en capitaux. De nombreux investisseurs, souvent parmi les plus fortunés, s’opposent à l’idée d’aligner la fiscalité des revenus sur le capital sur celle des revenus de travail.
D’autres, comme la philanthrope Claire Trottier, ne sont pas d’accord. Dans une lettre publiée par Options politiques en juin 2024, elle déclarait que « le traitement inégal des gains en capital et des revenus du travail a été le moteur de l’inégalité au Canada », et qu’il est « le moins que l’on puisse demander » aux plus fortunés que de contribuer au même taux que des millions de travailleurs.
Les Canadiens les plus riches doivent payer plus d’impôts sur leurs revenus passifs
Gain en capital : maintenir l’objectif tout en offrant plus de souplesse
Qui sont les contribuables touchés par la réforme du gain en capital?
Cette distorsion renforce le déséquilibre et alimente l’incompréhension du public face au système fiscal. Pourtant, au-delà des questions d’équité, des motifs économiques valables sous-tendent les propositions de la Commission Godbout.
D’où vient le taux d’inclusion à 50 %?
Lors de la réforme fiscale de 1972, un des principaux motifs pour n’imposer que 50 % du gain en capital était de tenir compte de l’inflation. En effet, lorsqu’un bien est détenu sur plusieurs années, une partie de l’augmentation de sa valeur ne fait que compenser la hausse du coût de la vie.
Par exemple, une inflation de 2 % durant vingt ans correspond à une augmentation de valeur d’environ 50 %. Cette hausse « nominale » ne représente aucune réelle création de richesse et ne devrait donc pas être imposée. Il était donc logique, à l’époque, que seul le gain réel, soit la variation de valeur après inflation, soit imposable.
De plus, les investisseurs sur les marchés boursiers et immobiliers détenaient leurs actifs sur une longue période, parfois plusieurs décennies. La règle du 50 % était alors une façon simple de refléter le gain réel pour la moyenne des investisseurs.
Une règle dépassée à l’ère de la spéculation
Aujourd’hui, la situation a radicalement changé. La réalisation de gains en capital sur de courtes périodes est devenue beaucoup plus fréquente, que ce soit dans les marchés financiers, incluant la cryptomonnaie, ou l’immobilier. Dans ce contexte, la règle du 50 % ne respecte plus l’esprit du législateur,
À cela s’ajoute un autre facteur : depuis le début des années 1990, la politique monétaire de la Banque du Canada tend à stabiliser l’inflation sur une cible de 2 %. Et elle y parvient assez bien. La règle du 50 % favorise donc aujourd’hui les investissements faits dans une optique de très court terme, comme la spéculation, et récompense les gains réalisés lors de bulles boursières et immobilières.
Ce phénomène a commencé à être reconnu en 2023, alors que les gouvernements ont imposé à 100 % les gains en capital réalisés sur la vente d’une résidence possédée depuis moins d’un an.
Notons que la proposition du budget fédéral de 2024, haussant le taux d’inclusion à 66,7 % pour les particuliers au-delà de 250 000 $ par année, indépendamment de la durée de l’investissement, ne tient toujours pas compte de la valorisation réelle, après inflation, de chaque bien.
Ramener la solution Godbout
En 2015, la Commission Godbout proposait une approche qui s’assurait d’imposer équitablement tous les gains en capitaux, tout en augmentant les impôts des contribuables à haut revenu.
Dans son rapport final, la Commission recommandait quatre mesures, dont deux touchant plus la population en général. La première prône « l’élimination de l’inclusion partielle du gain en capital et son remplacement par la prise en compte du gain en capital réel, soit le gain en capital tenant compte de l’inflation. Le gain en capital serait ainsi imposé normalement, comme n’importe quel autre revenu » !
Une seconde mesure concerne les résidences principales : « Exclure les gains découlant de comportements spéculatifs et imposer une part des gains découlant de rendements exceptionnels en limitant l’exemption à un montant cumulatif à vie de 1 million de dollars, indexé. »
Contrairement à celle du budget fédéral de 2024, ces propositions présentent aussi l’avantage de ne pas pénaliser les propriétaires de plex qui détiennent leurs actifs sur une très longue période en vue de leur retraite. Avec un impôt sur les gains en capital qui se base sur le nominal (en dollars courants), on taxe non seulement l’enrichissement réel du propriétaire… mais aussi l’inflation, donc quelque chose qui ne lui a jamais réellement profité.
La fausse objection de la complexité
Certains pourraient invoquer la complexité technique de tenir compte de l’inflation dans le calcul du revenu imposable. Ça pouvait être un réel obstacle en 1972, mais certainement plus aujourd’hui. Les logiciels d’impôts, largement utilisés par les comptables et particuliers, peuvent facilement intégrer l’Indice des prix à la consommation (IPC) de Statistique Canada.
D’ailleurs, le régulateur indexe déjà à l’inflation l’exonération cumulative des gains en capital pour les pêcheurs, les agriculteurs et les propriétaires de petites entreprises. De plus, toujours selon la Commission Godbout, « plusieurs juridictions prennent en compte la période de détention des biens afin de déterminer le taux d’inclusion du gain en capital ».
Une solution simple et juste
Alors, pourquoi ne pas appliquer les mesures proposées par la Commission Godbout? Ce serait beaucoup plus équitable que la situation actuelle, tout en étant conforme avec l’idée d’imposer le gain réel afin de favoriser les investissements à long terme. En prime, elle réduirait les distorsions qui encouragent la spéculation de court terme.
Une telle réforme constitue l’un des moyens les plus efficaces pour renforcer la légitimité du système fiscal tout en améliorant la performance économique. Que du bon pour l’économie — et pour la confiance du public dans la fiscalité.


