Depuis quelques semaines, plusieurs voix dénoncent l’omniprésence de la politique américaine dans nos médias. L’ancienne ministre Véronique Hivon s’est désolée de voir Donald Trump occuper autant d’espace, au risque de banaliser ses propos extrémistes. Elle remet aussi en question la pertinence de couvrir la politique intérieure américaine, comme ce fut le cas lors des funérailles de l’activiste de droite Charlie Kirk.
L’ancien député fédéral Alain Rayes a appuyé cette critique en citant les données d’Influence Communication : Trump, avec 10,6 % de la couverture médiatique – comparativement à 2 % pour Mark Carney – occupe une place démesurée dans les médias québécois. Il n’a pas tort : les médias américains eux-mêmes accordent en moyenne 9 % de leur espace à leur président, quel qu’il soit, bien que Trump en obtienne souvent près du double.
Un public moins passionné qu’on le croit
Les médias canadiens justifient l’importance accordée à la politique américaine par la nature des enjeux puisque les décisions du président et du Congrès entraînent souvent d’importantes conséquences pour le Canada. Ils affirment aussi répondre à la demande grandissante du public. Plusieurs journalistes ont d’ailleurs souligné le grand intérêt des Québécois pour la politique américaine dans l’ouvrage La Maison-Blanche vue du Québec (2021).
Or, nos données contredisent cette impression. L’intérêt des Canadiens pour la politique américaine est plutôt tiède, et certainement pas supérieur à celui qu’ils portent à la politique canadienne ou québécoise. Ce décalage illustre un désalignement évident entre l’offre médiatique et la demande réelle des citoyens.
Un intérêt équivalent à la politique municipale
Un sondage mené dans le cadre d’un projet de recherche sur la participation politique auprès du panel web LÉO de la firme Léger, entre le 27 février et le 14 mars 2025, montre que l’appétit des Canadiens pour la politique américaine est modéré : sur une échelle de 0 à 10, où 0 signifie « aucun intérêt » et 10 « beaucoup d’intérêt », la moyenne est de 5,2 au ROC et 5,5 au Québec.
Certains pourraient croire que cet intérêt, bien que moyen, dépasse celui pour la politique canadienne. Les données prouvent cependant le contraire : les citoyens s’intéressent davantage à la politique canadienne et provinciale qu’à celle des États-Unis. En fait, l’intérêt pour la politique américaine se compare à celui pour la politique municipale, souvent considérée comme le parent pauvre de la vie politique.
Un désalignement de l’offre médiatique
Lorsqu’on examine la proportion de citoyens qui s’intéressent principalement à la politique américaine (valeur la plus élevée sur l’échelle de 0 à 10), comme l’illustre le tableau suivant, les résultats sont encore plus surprenants : seulement 8 % des Canadiens et 6 % des Québécois se classent dans cette catégorie. Encore une fois, ces chiffres sont nettement inférieurs à ce qu’on retrouve pour la politique canadienne et provinciale.
Les Canadiens qui s’intéressent principalement à la politique canadienne (17 %) et provinciale (13 %) sont nettement plus nombreux. C’est aussi le cas pour les Québécois : 18 % des répondants s’intéressent principalement à la politique provinciale et 10 % à la politique canadienne. La conclusion est claire : l’intérêt pour la politique américaine relativement à la politique canadienne et provinciale est nettement inférieur.
Rééquilibrer la couverture médiatique
Ces résultats clés suggèrent un décalage très important entre l’intérêt des Canadiens et l’intensité de la couverture médiatique de la politique américaine. L’argument voulant que la « demande » des citoyens soit plus élevée pour la politique américaine ne passe tout simplement pas le test de la réalité empirique. Cela ne veut pas dire qu’il faille ignorer la politique américaine, mais un meilleur équilibre serait souhaitable. La politique canadienne mérite aussi d’occuper l’avant de la scène.
Si les médias veulent vraiment refléter le niveau d’intérêt politique du public, ils gagneraient à tourner davantage leurs projecteurs vers leur propre arène politique ou, à tout le moins, mettre davantage en valeur la perspective canadienne et québécoise dans leur couverture américaine.
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