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Pour améliorer la santé et le bien-être d’une population, un système de santé doit produire des résultats, soit créer de la valeur. Mais comment créer et mesurer cette valeur ?

C’est une question cruciale, alors que les systèmes de santé du monde entier paraissent en déroute. Souvent ciblé comme cause principale, le vieillissement de la population était pourtant prévisible. C’est la façon dont les systèmes de santé ont été et sont organisés qu’il faut examiner.

La meilleure façon de créer de la valeur en santé est d’atteindre le Quintuple Objectif (défini par l’Institute for Healthcare Improvement), qui se traduit par une meilleure expérience patient, une meilleure santé de la population, des dépenses per capita moins élevées, un bien-être des équipes de soins rehaussé et l’équité en santé. 

L’organisation des soins au cœur de la solution

Un système de santé est caractérisé par son administration, son financement et, surtout, par l’organisation de ses services. C’est ce dernier élément qui devrait être au cœur de toute transformation à partir d’une architecture claire.

« Je ne prétends pas offrir la meilleure solution. Je souhaite plutôt partager une réflexion nourrie par mes nombreuses années d’expérience, d’observation, d’échanges avec des collègues, des consultants et des chercheurs, ainsi que par l’analyse de modèles internationaux. » — Frédéric Abergel

Le modèle que je propose est évolutif, conçu pour aider à définir l’offre de services la plus pertinente, selon le contexte d’une population donnée. On s’éloigne donc des structures de type one size-fits-all  souvent implantées par les autorités sanitaires.

Définir une architecture est primordial pour réduire les multiples sources de variabilité dans les soins. Actuellement, un patient qui consulte plusieurs équipes pour un même problème de santé peut recevoir autant de soins différents. Cette incohérence, documentée depuis longtemps, freine la performance et rend plus difficile la création de valeur.

L’évolution de l’architecture dépend de facteurs externes (évolution de la population, des pratiques de soins, des ressources et de la réglementation) et internes (principes directeurs liés aux patients, aux équipes de soins et à l’excellence opérationnelle).

Sept leviers d’action pour un système efficace

En considérant les facteurs externes et les principes directeurs, je vous présente sept leviers pour transformer un système de santé en un système axé sur la valeur en santé. Ces leviers peuvent être séparés en trois groupes : ceux qui permettent d’accélérer la professionnalisation de la gestion du système de santé, ceux qui permettent de penser centralement, mais d’agir localement, et les leviers qui permettent d’être proactif plutôt que réactif.

Professionnaliser la gestion du système de santé

Un système performant repose sur une gouvernance agile et solide. Les rôles, responsabilités, structures, processus et règles doivent permettre de gérer au quotidien tout en poursuivant la stratégie de transformation. La gouvernance clinique, centrée sur la valeur ajoutée pour les patients, doit mobiliser tous les acteurs.

Cette gouvernance doit être solide pour résister aux crises et agile pour s’adapter rapidement aux changements.

Une gouvernance à plusieurs paliers (ministre, ministère de la Santé, agences nationales et régionales, établissements de santé) exige une définition claire des rôles et responsabilités. Elle repose aussi sur un système de gestion, à tous les niveaux, qui assure la continuité des opérations en même temps que l’exécution de la stratégie de transformation, sans nuire à la performance.

Le deuxième levier consiste à gérer les ressources humaines, matérielles, technologiques, immobilières et financières selon les besoins. Il revient à tous les acteurs du système de santé d’identifier ceux-ci avec précision, d’acquérir les ressources nécessaires, les déployer au bon moment et les maintenir à un niveau optimal.

Il faut repenser régulièrement la composition des équipes (ajout de nouveaux titres d’emploi), ou réaménager certains espaces pour améliorer la productivité et augmenter la capacité de prise en charge.

Les ressources humaines, qui sont les plus précieuses, sont trop souvent tenues pour acquises. Une architecture efficace permettrait d’assurer leur rémunération indépendamment des postes occupés, pour faciliter l’adaptation du système sans perte de personnel.

Dans certaines juridictions, les conditions de travail sont négociées avant de définir les changements souhaités pour mieux répondre aux besoins de la population. L’offre de service est alors soumise aux contraintes résultant de ces négociations préalables. La rémunération devrait être négociée après avoir défini l’architecture souhaitée du système de santé.

Penser globalement, agir localement

Pour articuler vision globale et action locale, trois leviers sont nécessaires.

D’abord, il faut rehausser la littératie en santé des citoyens afin qu’ils comprennent mieux leur état de santé, les services disponibles et comment y accéder, ainsi que leur responsabilité dans leur propre santé. Chez les professionnels de la santé, il faut améliorer la littératie numérique pour tirer profit des outils technologiques essentiels à la transformation du système de santé.

Ensuite, on doit simplifier les parcours de soins, ce qui implique de surveiller en temps réel l’accès aux services, accompagner spécifiquement les clients vulnérables, actualiser les connaissances sur les pratiques cliniques (incluant la prévention) fondées sur les données probantes, favoriser les équipes interdisciplinaires, intégrer les approches de santé de précision et optimiser les transferts entre milieux de soins.

Des parcours bien conçus réduisent les soins non pertinents et remplacent certaines interventions coûteuses par d’autres, moins dispendieuses. Le dépistage précoce de certains cancers et la surveillance du tabagisme en sont de bons exemples.

Enfin, la numérisation des processus cliniques et administratifs est centrale. Il faut un Dossier de santé numérique (DSN) unique à l’échelle du système, plus de télésanté et une automatisation de certaines tâches, comme les analyses de laboratoire ou le transport de biens à l’intérieur des établissements pour gagner en efficacité.

Passer du réactif au proactif

Pour passer d’un mode réactif à une approche proactive, il faut surveiller en continu la santé de la population… et celle du système.  L’agilité découle de cette capacité à s’ajuster rapidement aux signaux internes et externes.

Le financement doit aussi évoluer : on ne paie plus pour la quantité de services, mais pour la création de valeur en santé. Les organisations (non les individus) devraient être rémunérées principalement, mais pas exclusivement, selon leur performance vis-à-vis du Quintuple Objectif. Un réseau pourrait, par exemple, être financé en fonction de la rapidité d’accès au dépistage ou des taux de complications post-chirurgicales.

Les leviers de transformation agissent sur cinq paramètres pour concevoir l’offre de services : les quatre parcours génériques de soins, la distribution de l’expertise selon les niveaux de soins (primaires, spécialisés et surspécialisés), les types de milieux de soins (milieu de vie, communautaire et hôpital), la composition géographique des équipes et les mécanismes de transition dans les soins.

Des retombées au-delà du système de santé

En s’appuyant sur les facteurs externes et internes, les leviers de transformation et les paramètres de conception, on peut construire une architecture centrée sur la création de valeur et dont l’offre de services est un moyen pour atteindre le Quintuple Objectif.

Atteindre le Quintuple Objectif produit des effets bien au-delà du système de santé : une population en meilleure santé participe davantage à la société, ce qui favorise le développement économique et social et accroît la capacité d’investissement de l’État dans d’autres secteurs clés, comme l’éducation, l’environnement, le logement, la sécurité publique, et, bien sûr, la santé.

Cet article est le premier article tiré d’un énoncé de position de l’auteur. Un deuxième article sur la feuille de route à prendre pour transformer le système de santé fera l’objet d’une prochaine publication.

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Frédéric Abergel

Frédéric Abergel détient une maîtrise en administration de la santé et un Ph.D. en santé publique. Fort de plus de 25 ans d’expérience, il a occupé des postes de haute direction dans le réseau de la santé. Il est professeur adjoint de clinique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. 

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