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La lutte contre la COVID-19 dans les communautés des Premières nations a connu de nombreux succès. D’abord, les taux de vaccination ont été élevés : près de 93 % des Autochtones de plus de 12 ans ont reçu une deuxième dose, et près de 40 % une troisième.  

Sur le plan institutionnel, les ministres fédéraux se sont réunis quotidiennement pour faire circuler des mises à jour et coordonner les réponses à l’impact de la pandémie sur nos communautés. De nombreuses provinces et autorités de santé publique nous ont priorisés pour l’accès aux vaccins. Les organisations des Premières nations, leurs médecins, leurs infirmières et leurs dirigeants ont aussi été impliqués dans la planification de la mobilisation pour la vaccination.  

Plus important encore, les individus ont fait leur devoir : ils ont respecté les consignes sanitaires et se sont fait vacciner. Bien que certaines Premières nations aient été fortement affectées par la COVID-19, le bilan global aurait pu être bien pire. Des services de santé déficients – combinés à des logements surpeuplés dans des communautés éloignées et isolées – constituaient de sérieuses embûches aux interventions en réponse à la pandémie. Mais la rapidité d’action, la volonté politique et la collaboration communautaire ont permis de relever le défi. 

Toutefois, si la réponse globale a été efficace, la pandémie a également mis en lumière de nombreuses vulnérabilités qui, si elles ne sont pas corrigées, continueront à miner la capacité des gouvernements des Premières nations à réagir aux crises futures. 

Des partenaires de second ordre 

Comme c’est souvent le cas, les difficultés rencontrées à l’échelle des communautés ont des fondements structurels persistants. L’absence de vision commune des rôles et des responsabilités des Premières nations en cas de crise entraîne des retards dans l’échange d’informations et un déploiement inefficace des ressources. En fait, l’omission de nos gouvernements dans les processus décisionnels peut conduire à une mobilisation cloisonnée et fractionnée, susceptible de ne pas produire les résultats coordonnés que les Canadiens attendent et que les Premières nations méritent. 

En filigrane de ce portrait demeure la croyance durable – et souvent implicite – voulant que les Premières nations ne puissent prendre pleinement part au fédéralisme canadien. Dans ce pays, nous divisons les compétences législatives de notre pays en deux catégories : les pouvoirs fédéraux et les pouvoirs provinciaux. En laissant les Premières nations de côté, nous nous privons des capacités et des compétences des personnes qui sont les mieux placées pour relever les défis dans les communautés. 

Ce potentiel inexploité du fédéralisme canadien en matière d’inclusion des Premières nations dans la gouvernance se constate dans la pauvreté, la marginalisation et les difficultés rencontrées par nos communautés. Nous pourrions pourtant améliorer la vie de ceux y vivent et lutter contre les vulnérabilités mises en évidence par la COVID si nous reconnaissions les droits et les capacités des Premières nations à diriger, à décider et à fournir ce dont nous avons besoin pour réussir. 

Certains de ces problèmes et vulnérabilités sont clairement apparus au début de la pandémie. Certains services de police n’ont pas voulu faire respecter les lois et les règlements des Premières nations en matière de santé publique, une province a contesté la priorité accordée aux Premières nations dans l’attribution des vaccins, et au moins une autre a fermé ses frontières, empêchant les élèves des Premières nations des provinces voisines d’aller à l’école. Nos communautés ont également été confrontées à des défis qui s’additionnent : des services de santé inadéquats, un nombre limité de logements pour isoler les personnes testées positives à la COVID-19 et un manque d’équipements de protection individuelle. 

Bien que chacun de ces défis ait été distinct, ils ont tous été aggravés par l’incapacité du Canada à embrasser pleinement l’autodétermination des Premières nations. 

Le fédéralisme canadien contemporain est le résultat des compromis politiques qui ont été nécessaires pour que la Confédération puisse naître en 1867. L’équilibre entre l’autonomie et la centralisation atteinte par la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux persiste à ce jour. Cependant, comme un casse-tête dont une pièce aurait été laissée de côté, les Premières nations n’ont jamais vraiment trouvé leur place dans la structure de gouvernance canadienne. 

La responsabilité constitutionnelle des « Indiens et [d]es terres réservées aux Indiens », confiée en 1867 au gouvernement fédéral, est rédigée presque comme un post scriptum. Cette compétence aux contours mal définis confère à Ottawa un rôle de protection à l’égard des populations des Premières nations. Même dans les domaines où les provinces exercent généralement une compétence exclusive, comme l’éducation, la santé et la protection de l’enfance, l’attribution au fédéral de la responsabilité des Premières nations et de leurs terres nous distingue des autres Canadiens.  

Les conséquences concrètes sont importantes. Si le fait d’occuper un espace juridictionnel distinct a aidé les Premières nations à maintenir leur cohésion et leur identité, les nombreux recoupements entre les responsabilités fédérales et provinciales ont entraîné pour elles des difficultés que les autres Canadiens ne connaissent pas.  

Des exemples? Des enfants des Premières nations qui avaient besoin de soins médicaux ont été ballotés dans des parties de ping-pong juridictionnel entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Nos gouvernements locaux ont aussi dénoncé le manque d’information et de coordination en réponse aux incendies de forêt et aux inondations découlant des changements climatiques. De nombreuses Premières nations ont également vu des opportunités de développement économique leur échapper parce que les outils et les garanties financières qui sécurisent habituellement les investisseurs n’étaient pas disponibles dans les réserves. 

L’absence de clarté institutionnelle et de consensus sur l’autonomie des Premières nations a placé nombre d’entre nous dans une situation désavantageuse, en plus de coûter cher au trésor public. Pour relever les défis à venir et pour bâtir des institutions solides, nous devons trouver une façon d’insérer les Premières nations au cœur du fédéralisme canadien. Nous avons déjà les outils nécessaires : il manque simplement la volonté et la détermination de les utiliser. 

Dans certaines régions du Canada, les traités historiques proposent un engagement et une vision qui n’ont jamais été véritablement appliqués pour le partage du territoire. Pourtant, à d’autres endroits au pays, le titre autochtone fournit un cadre de collaboration tripartite qui peut renforcer le rôle des gouvernements des Premières nations dans la gestion des ressources naturelles. À tout événement, les traités contemporains prouvent qu’il est possible de conclure des accords fructueux qui placent nos communautés fermement aux commandes dans de nombreux domaines. Le Canada doit viser plus de contrôle par les Premières nations, et non moins. 

Une condition de succès 

Le succès commence et se conclut par la confiance : dans les institutions, la gouvernance et les peuples des Premières nations. Avec un peu d’aide de la Cour suprême du Canada, de nombreuses Premières nations ont trouvé le chemin de la table de négociation pour obtenir un rôle élargi – fondé sur la simple reconnaissance de nos droits – au sein de la fédération canadienne. Mais le chemin vers le pouvoir reste long et tortueux. 

La Politique sur la reconnaissance et la réconciliation des droits pour les négociations de traités en Colombie-Britannique est un pas dans la bonne direction. Bien que les droits inhérents des Premières nations existent encore aujourd’hui, force est de constater que la conciliation de la souveraineté autochtone préexistante avec la souveraineté effective de la Couronne – par le biais de traités, d’accords et d’autres arrangements constructifs – reste largement en suspens. 

Nous serons confrontés à de nouveaux défis redoutables qui nécessiteront la résilience et la coopération démontrées pendant la pandémie de COVID-19. Mais le Canada est un pays robuste et inventif, et l’une de nos principales forces est la confiance que nous avons les uns envers les autres. Entre les défis du passé et ceux du futur, l’autonomie des Premières nations doit être notre objectif. 

Cet article fait partie de la série Vers des institutions publiques plus résilientes : apprendre de la pandémie de COVID-19. 

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Jesse McCormick
Jesse McCormick est un fier citoyen du Canada, de la nation Anishinabek et de la nation Oneida (Wolf Clan). Il s'est engagé à réaliser la réconciliation par la mise en œuvre des droits, des traités et des responsabilités.

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