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Partout au pays, le secteur public s’est efforcé de mettre en place des mesures de santé sanitaires face à la pandémie, de fournir une aide d’urgence aux ménages et aux entreprises, et de continuer à fournir un vaste éventail de services aux Canadiens. Ces efforts font actuellement l’objet de bilans soutenus par de nombreux fonctionnaires et agents du Parlement.

Je ne peux pas témoigner personnellement du fonctionnement interne du gouvernement pendant les années de pandémie. Je vais donc me concentrer ici sur la gouvernance canadienne, soit notre capacité en tant que démocratie et fédération à prendre des décisions et – surtout – d’apprendre et de s’adapter. Au cours des trois dernières années, le Canada a été touché par ce qui ne peut être considéré que comme une perturbation ou un « cygne noir » – non seulement la pandémie de COVID-19, mais aussi le mouvement Black Lives Matter, la découverte de tombes sur les sites des anciens pensionnats, la guerre en Ukraine et le décès de la reine Élisabeth. En rétrospective, la fédération canadienne a remarquablement bien fonctionné en tant que système de prise de décision.

Commençons par la base. Le Canada est une démocratie parlementaire selon le modèle de Westminster, avec l’ajout unique d’une Charte canadienne des droits et libertés. Il s’agit d’une fédération où de nombreux services essentiels sont fournis par les provinces, les territoires, les gouvernements locaux et autochtones.

La démocratie parlementaire s’est révélée très résistante au plus fort de la pandémie COVID-19. Les députés et les sénateurs ont appris à utiliser des plateformes en ligne pour se réunir et travailler, et ils continuent aujourd’hui à utiliser des approches hybrides pour les réunions des comités. Au plus fort de la pandémie, les partis ont collaboré pour adopter des programmes d’aide d’urgence et ont reporté une grande partie de leur examen.

La responsabilité envers les citoyens n’a pas été interrompue ou suspendue. Grâce à une bonne dose d’agilité et d’adaptation de la part des autorités électorales et des candidats, nous avons eu des élections fédérales, sept élections provinciales et deux élections territoriales, une ronde d’élections municipales et de multiples élections partielles. En outre, un million de Canadiens ont voté par correspondance en 2021, ce qui nous permet de tirer de précieuses leçons pour l’avenir.

Un test pour toutes les branches de nos gouvernements

Notre système judiciaire et toute une panoplie de tribunaux ont continué à fonctionner. L’équivalent d’un « chien qui n’a pas aboyé » au Canada serait les deux nominations à la Cour suprême en 2021 et 2022, sans l’amère rancœur partisane que l’on observe au sud de la frontière.

Le rôle de la Couronne fait partie de notre ADN institutionnel. La démission d’un gouverneur général en 2021 et le décès de la reine en 2022 ont permis une transition en douceur vers leurs successeurs, tandis que l’institution elle-même continuait de fonctionner.

La fédération canadienne a bien réagi aux nombreuses décisions qu’il a fallu prendre. Aux États-Unis, les gouvernements des États se sont divisés selon des lignes partisanes. De nombreux gouverneurs et législateurs des États républicains ont activement combattu et miné les initiatives fédérales, et attaqué les responsables fédéraux de la santé publique. Au Canada, les ministres et la santé publique ont travaillé en étroite collaboration pour l’achat et la distribution des vaccins, et les mesures sanitaires ont généralement évolué au même rythme.

Aucun des premiers ministres provinciaux ou maires n’a vu d’intérêt à se battre avec le gouvernement fédéral, même en janvier 2021, au plus fort de la coalition disparate des forces anti-confinement et anti-vaccin.

Le degré élevé d’harmonisation des mesures de santé publique au sein de la fédération a manifestement permis de sauver des vies. Quelque 89 pays ont enregistré des taux de mortalité plus élevés, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et la France.

La résilience de notre fédéralisme avait été mise à l’épreuve avant la pandémie. Les partis d’opposition et les premiers ministres provinciaux avaient également fait preuve d’une unité et d’une efficacité remarquables lorsque l’ancien président américain Donald Trump a fait peser une menace existentielle sur notre économie. Personne ne s’est dégonflé et n’a sapé l’unité d’Équipe Canada, qui a contrecarré la menace de résiliation de l’ALÉNA alors qu’Ottawa négociait un nouvel et meilleur accord.

Une manifestation et une loi qui restait encore à tester

L’occupation du centre d’Ottawa, au début de 2022, a peut-être été le test le plus explicite de la gouvernance et du fédéralisme canadiens. Ce qui avait commencé comme une manifestation visant à convaincre nos gouvernements de changer certaines politiques s’est transformé en un ensemble de demandes incongrues, y compris le remplacement du gouvernement démocratiquement élu. Le corps politique canadien les a rejetées en bloc. Le Parlement et le cabinet ont continué à se réunir. Les Canadiens ont continué à soutenir les mesures sanitaires et les actions qui ont mis fin à l’occupation. La solidarité des premiers ministres provinciaux n’a pas faibli. L’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence et l’examen de son utilisation ont été un exercice réussi de démocratie résiliente.

La réponse du secteur public dans son ensemble, qui soutient les gouvernements élus, a été remarquable. Les chocs les plus importants de la pandémie ont touché l’éducation de première ligne et, bien sûr, les soins de santé primaires, les résidences pour personnes âgées et les établissements de soins de longue durée. Ces systèmes ont plié, mais ne se sont pas effondrés. Il y aura d’autres pandémies et d’autres urgences sanitaires, il est donc important d’intégrer ce que l’on a appris et d’investir dans la préparation.

Le choc économique résultant des fermetures, des ralentissements de la chaîne d’approvisionnement et des pénuries de personnel soulignent la nécessité de mettre en place des filets plus robustes pour les travailleurs et les petites entreprises.

Au-delà de la réponse sanitaire immédiate ou de l’aide économique d’urgence, des parties du secteur public élargi, habituellement résistantes au changement, ont procédé à des ajustements rapides à un rythme qui aurait normalement pris une décennie, ou même plus. Certains de ces changements sont en train de devenir des éléments durables de la normalité post-pandémie. Les tribunaux ont réalisé des avancées importantes dans leur approche des processus de travail. Les universités et les établissements d’enseignement supérieur se sont tournés vers l’enseignement et l’évaluation en ligne. Des plateformes de télétravail ont fait sauter la frontière entre la maison et le bureau. Bien sûr, tout le secteur public n’a pas cette possibilité.

On connaît moins la façon dont l’Agence des services frontaliers, la Garde côtière et d’autres organismes ont permis aux échanges commerciaux de se poursuivre tout en appliquant les restrictions sanitaires. On ne s’intéressera plus vraiment à la manière dont les organisations du secteur public ont assuré le fonctionnement des services après avoir renvoyé une grande partie de leur personnel chez lui avant la vaccination généralisée. Par exemple, le recensement de mai 2021 a été une réussite exceptionnelle, tout comme les trois cycles de collecte d’impôts qui ont été menés à bien. On s’intéressera encore moins à la façon dont les services internes du gouvernement fédéral, qui ont rendu tout cela possible, ont trouvé les moyens d’affronter ces défis et d’innover pour les résoudre.

Aujourd’hui, alors que le Canada se remet de la pandémie et de tous les autres chocs qui y sont liés, il convient de souligner à quel point le pays continue de faire bonne figure sur les plans des libertés individuelles, de la transparence et de l’État de droit. Notre gouvernance fondamentale est restée ouverte et démocratique, malgré les tensions.

Maintenir le goût du risque « en temps de paix »

Le journaliste Paul Wells écrit dans son récent ouvrage An Emergency in Ottawa : « Le plus difficile, lorsqu’on connaît la fin de l’histoire, est de se souvenir de ce que l’on ressentait lorsqu’on ne savait pas comment elle allait se terminer ». Nous devons éviter de succomber aux préjugés rétrospectifs lorsque nous examinons le bilan des trois dernières années. Nous devons également éviter le sophisme de la composition – supposer que ce qui est vrai pour une partie l’est pour le tout – et éviter de généraliser à partir de problèmes spécifiques parmi les centaines d’organisations du secteur public que l’ensemble du système est défectueux.

Le défi auquel nous faisons face maintenant consiste à conserver suffisamment de cet esprit de prise de risque proactive et à le maintenir en « temps de paix ». Les politiciens et les fonctionnaires auront tendance à revenir aux anciens comportements et mentalités, où l’aversion pour le risque est renforcée par les boucles de rétroaction. Il existe un danger clair et présent que les gouvernements, en s’efforçant de redresser leurs soldes budgétaires, réduisent leurs investissements dans la capacité de notre fonction publique.

Chaque choc subi par le pays est une occasion d’apprendre, de s’adapter et de s’engager à faire mieux à l’avenir. Nous devons miser davantage dès maintenant sur les investissements dans la formation et le développement du leadership et renforcer la chaîne d’approvisionnement des idées, non seulement quant aux politiques, mais particulièrement sur la façon dont notre fonction publique peut mieux fonctionner.

Bien que la gouvernance de base du Canada se soit montrée résistante, l’heure n’est pas à l’autosatisfaction. Il sera important de redoubler d’efforts pour protéger la démocratie et renforcer notre fonction publique dans toutes les parties de la fédération, alors que la politique partisane devient plus mesquine et que l’espace pour le discours public se rétrécit. Cela nous aidera à être prêts pour le prochain choc lorsqu’il arrivera, de façon inévitable.

Michael Wernick a passé une partie de la pandémie à écrire Governing Canada: A Guide to the Tradecraft of Politics, publié par UBC Press.

Cet article fait partie de la série Vers des institutions publiques plus résilientes : apprendre de la pandémie de COVID-19.

À lire dans cette série :

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Michael Wernick
Michael Wernick a été le 23e greffier du Conseil privé, de 2016 à 2019, après avoir été sous-ministre fédéral pendant de nombreuses années. Il est consultant chez MNP Digital, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur la gestion dans le secteur public à l’Université d'Ottawa et auteur de Governing Canada.

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