Selon un rapport récent du gouvernement, un travailleur sur trois au Canada s’occupe d’une personne qui souffre d’une invalidité chronique (une personne âgée dans la plupart des cas) en lui fournissant un soutien en matière de transport, d’entretien ménager ou d’exécution de tâches de la vie quotidienne. Les 6,1 millions d’employés qui dispensent ces soins gratuitement à un parent ou à un ami sont plus susceptibles que leurs collègues de connaître des interruptions de travail, de se présenter en retard au travail ou même de s’en absenter. Un grand nombre d’entre eux sont moins disponibles qu’ils ne le seraient en temps normal pour travailler des heures supplémentaires, se déplacer pour le travail ou investir dans leur carrière.

Nul doute, la prestation de soins informels a des répercussions qui vont bien au-delà du domicile. Selon le rapport précité, elles se traduisent par une perte de 2,2 millions d’heures de travail par semaine et une baisse de productivité estimée à 1,3 milliard de dollars par année.

Si l’on tient compte du nombre croissant de personnes âgées nécessitant des soins, les coûts associés aux soins non rémunérés et à la perte de productivité augmenteront vraisemblablement au cours des deux prochaines décennies. Que faire face à cette situation ?

On s’attendrait à ce que les employeurs canadiens, directement concernés, soient les premiers à reconnaître la réalité des soins informels. De fait, certains ont adopté des politiques de soutien aux employés ayant des obligations comme proches aidants, leur offrant, entre autres, des semaines de travail comprimées, des horaires de travail variables, le travail à domicile, des congés non payés ou même rémunérés. Mais tous ne sont pas également compréhensifs, et bien des employés en font les frais. Parmi les conséquences, mentionnons la baisse des revenus, les freins à la carrière et, ultimement, le retrait du marché du travail.

Il y a un an, le gouvernement fédéral a mis en place le Groupe d’employeurs sur la question des aidants naturels. Celui-ci a tenu des consultations en vue d’aider les employeurs à trouver des moyens de soutenir davantage leurs employés qui sont proches aidants. Cette démarche se fondait sur le postulat (réaliste) que les soins non rémunérés resteront le principal mode de prestation de soins de longue durée au pays.

Le Groupe de travail a notamment constaté que les mesures de soutien accordées aux proches aidants peuvent favoriser l’engagement et le maintien au travail des employés mais que cela n’est sans doute pas suffisant pour convaincre une majorité d’employeurs d’y recourir de leur plein gré. Autrement dit, les principes moraux et la compassion ne risquent pas de se traduire dans un avenir proche en vaste mouvement spontané de transformation des lieux de travail.

Les coûts associés à la prestation de soins et à la perte de productivité doivent-ils être assumés uniquement par les proches aidants et leurs employeurs ?

Il devient de plus en plus difficile pour les gouvernements canadiens de négliger l’importance de leur propre rôle dans ce dossier, bien au-delà des programmes publics peu ambitieux et sporadiques qu’ils ont mis en place jusqu’ici.

Confrontés à une situation semblable, des pays comme le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont adopté ces dernières années des stratégies nationales s’adressant aux proches aidants. Chez nous, le Manitoba et la Nouvelle-Écosse tracent la voie à suivre à de nombreux égards, mais les efforts restent fragmentés et inégaux á travers le pays.

Le Canada peut faire mieux

Nous avons besoin d’une stratégie nationale qui intégrera des outils de politique à l’intention des proches aidants et de leurs employeurs. Premièrement, la législation sur les conditions de travail (une compétence essentiellement provinciale) doit contenir des normes minimales afin de protéger les employés ayant des obligations comme proches aidants.

Deuxièmement, il faut établir un éventail complet d’instruments financiers (éventuellement une combinaison de programmes privés ou publics) soutenant les employés en matière de revenu et aidant les employeurs en cas de pertes de productivité.

Troisièmement, il est nécessaire d’améliorer substantiellement la couverture des soins àdomicile, des soins infirmiers et des services de soutien (p. ex. renforcer l’offre du transport adapté ou de centres de jour supervisés). Ce volet est essentiel et profiterait à tous.

Un tel plan est-il réaliste du point de vue financier ? En vérité, lorsque les décideurs auront reconnu les coûts indéniables engendrés par la prestation de soins non rémunérés, la question se posera plutôt comme ceci : de quelle façon pourrions-nous partager ces coûts ?

Les proches aidants en font déjà beaucoup : selon une étude, si les gouvernements de notre pays devaient prendre en charge les soins dispensés gratuitement par leurs citoyens de 45 ans et plus, la facture se serait élevée en 2009 à environ 25 milliards de dollars.

Certains estiment que les gouvernements devraient rémunérer les proches aidants. Je ne partage pas cet avis. Je pense toutefois qu’ils doivent veiller à ce que les employés qui dispensent des soins non rémunérés ne soient pas exposés à des pertes de revenu catastrophiques ou à l’éventualité de perdre leur emploi.

Il est essentiel de mettre en place des mesures de soutien financier et non financier soutenant les proches aidants, en particulier quand la prestation de soins représente plusieurs heures par semaine pendant une durée prolongée. Ces mesures devraient faire l’objet de programmes publics.

Au lieu de se contenter d’une situation où seuls quelques employeurs prévoient des dispositions à cet égard, le Canada devrait adopter une stratégie nationale cohérente en matière de soins informels. C’est le seul moyen de permettre aux employés s’occupant d’un conjoint ou d’un proche de continuer à s’investir au travail, d’aider les employeurs à se concentrer sur leur mission et de faire en sorte que les personnes nécessitant des soins puissent bénéficier des services dont elles ont besoin.

Nicole F. Bernier
Nicole F. Bernier is a researcher and writer on Canadian health and social policy, and an expert advisor with EvidenceNetwork.ca. She worked from 2011 to 2016 as a research director at the Institute for Research on Public Policy and is the author of an IRPP Study entitled Improving Prescription Drug Safety for Canadian Seniors. @NicoleFBernier

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