Dans tous les pays développés, la problématique de l’immigration est complexe et délicate. Pour le Québec, État fédéré majoritairement francophone mais minorité au sein du Canada et d’une Amérique du Nord massivement anglophone, cette complexité n’est pas moindre qu’ailleurs, bien au contraire. Cette complexité toute particulière s’est illustrée ces derniers temps par le débat sur les accommodements raisonnables et tout récemment par le diagnostic sévère qu’a posé le vérificateur général sur certains aspects de la gestion au ministère québécois de l’Immigration et des Communautés culturelles.

Une bonne partie des difficultés observées en regard de la problématique de l’immigration au Québec peut s’expliquer par le caractère spécifique du Québec francophone : homogénéité et ancienneté du peuplement ; méfiance liée au rôle joué par l’immigration, depuis le milieu du XIXe siècle, dans la minorisation de la francophonie canadienne ; expérience récente du phénomène de la diversité ; etc. En un mot, les comparaisons avec ce qui est vécu ailleurs au Canada ou aux États-Unis sont inadéquates, pour ne pas dire injustes. Cela n’empêche pas qu’il importe de s’interroger sur les moyens qui s’offrent au Québec d’améliorer son bilan à l’égard de l’immigration, sans renoncer à promouvoir les intérêts de la majorité de sa population. L’objectif du présent texte est donc d’explorer quelques-uns de ces moyens.

En vertu de la Constitution canadienne, l’immigration est, avec l’agriculture, une compétence concurrente, c’est-à-dire un domaine également ouvert à l’intervention des deux ordres de gouvernement, mais avec prépondérance du droit fédéral en cas de conflit.

En pratique, jusqu’aux années 1970, le Québec a laissé le gouvernement fédéral exercer seul l’essentiel des pouvoirs en cette matière. Jusque-là, les préoccupations démographiques du Québec s’étaient portées davantage sur les inquiétudes soulevées par l’importante émigration vers les États-Unis, alimentée par un des taux de natalité les plus élevés en Occident. Pour l’essentiel, l’immigration et l’intégration étaient gérées par et pour le Canada anglais.

À partir de la décennie 1970, deux phénomènes ont incité le gouvernement du Québec à vouloir intervenir en matière d’immigration. D’une part, ce fut la fin de la «revanche des berceaux » : la forte natalité des francophones est devenue chose du passé et a donc cessé de compenser l’intégration des immigrants à la minorité anglophone. Avec ce changement, la minorisation des francophones, déjà largement réalisée partout ailleurs au Canada, pouvait advenir au Québec même, en particulier à Montréal où se concentraient à la fois les anglophones et la population issue de l’immigration. D’autre part, il s’est produit une « mutation identitaire » chez les francophones du Québec : ils ont peu à peu cessé de se percevoir comme une minorité au sein du Canada ou de l’Amérique du Nord pour se considérer comme une majorité au sein du Québec. À ce titre, ils en sont venus à souhaiter que ce soit à leur groupe linguistique que, dorénavant, les immigrants soient incités à s’intégrer, plutôt qu’à la minorité anglophone comme cela avait été le cas auparavant.

Au sein même de la composante économique de l’immigration, catégorie dans laquelle la marge de manœuvre du Québec est la plus grande, seuls ceux qu’on appelle les «requérants principaux» font l’objet d’une véritable sélection fondée sur des caractéristiques socioéconomiques susceptibles de prédire un établissement réussi. Ainsi, tel qu’on peut le voir dans le tableau 1, en 2009, les immigrants formellement sélectionnés ne représentaient que 52p.100 des immigrants économiques admis au Québec.

Ces deux phénomènes, parmi d’autres, ont été à l’origine de l’adoption des législations linguistiques (touchant notamment la langue d’enseignement, du commerce et du travail) et des revendications de pouvoirs supplémentaires en matière d’immigration et d’intégration. Ces revendications ont abouti, en 1991, à la conclusion de l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration, toujours en vigueur.

À titre d’État fédéré, les responsabilités qu’assume depuis lors le Québec sont importantes : compétence exclusive en ce qui a trait à la sélection des immigrants de la composante économique et des réfugiés à l’étranger, de même qu’en matière de programmes d’intégration de tous les immigrants.

En pratique, toutefois, la marge de manœuvre du Québec reste limitée. Les autorités fédérales demeurent responsables de la définition des catégories d’immigration, ce qui leur permet, entre autres choses, de maintenir un programme de réunification familiale relativement ouvert et posant peu d’exigences, comparativement à ce qu’on peut observer ailleurs, en Australie et aux États-Unis par exemple. Le traitement des demandes d’asile relève aussi de la responsabilité fédérale exclusive (sauf pour ce qui est des coûts sociaux, assumés pour l’essentiel par les provinces). Depuis des années, ce volet de l’immigration génère un nombre important d’admissions et des masses tout aussi importantes de dossiers en souffrance. En dépit de réformes successives, les tentatives de mettre en place un processus juste, rapide et efficace n’ont pas réussi.

Au sein même de la composante économique de l’immigration, catégorie dans laquelle la marge de manœuvre du Québec est la plus grande, seuls ceux qu’on appelle les « requérants principaux » (en langage plus conventionnel, on dirait « les chefs de famille ») font l’objet d’une véritable sélection fondée sur des caractéristiques socioéconomiques susceptibles de prédire un établissement réussi. Ainsi, tel qu’on peut le voir dans le tableau 1, en 2009, les immigrants formellement sélectionnés ne représentaient que 52 p. 100 des immigrants économiques admis au Québec, et seulement 36 p. 100 de l’immigration totale. Depuis 1980, c’est-à-dire depuis que le Québec intervient de façon déterminante dans la sélection, les moyennes respectives à cet égard ont été de 49p.100etde26p.100.C’est donc dire que les modalités de la sélection n’épuisent pas, tant s’en faut, l’ensemble de la gestion de l’immigration proprement dite, et encore moins celle de l’intégration.

Cette longue entrée en la matière permet de mettre en lumière la portée nécessairement limitée des interventions du Québec en immigration. Il n’en demeure pas moins que la composante économique, et tout spécialement la catégorie des travailleurs qualifiés, qui en forme la grande majorité, constitue la locomotive du mouvement d’immigration. C’est elle qui est censée la mieux s’arrimer aux besoins économiques de la société d’accueil et c’est elle qui, à terme, par effet d’entraînement, déterminera en bonne partie la composition des immigrants du regroupement familial. Comme il s’agit en outre de la catégorie dont la réussite au plan de l’intégration économique, selon les études disponibles, est la meilleure, elle joue un rôle très important dans le maintien de l’image favorable que peut avoir l’immigration en général dans l’opinion publique.

Ne serait-ce que pour ces raisons, il importe que les modalités de la sélection des travailleurs qualifiés continuent de favoriser au maximum leur intégration. C’est par l’utilisation judicieuse de cet outil que le Québec pourra le mieux garantir le succès de sa politique d’immigration.

À cet égard, un certain nombre d’améliorations pourraient être apportées aux modalités de la sélection de ces immigrants. Présentement, la sélection est basée sur une grille composée de différents critères au regard desquels les candidatures sont évaluées : scolarité, expérience, connaissances du français et de l’anglais, âge, domaine de formation, etc.

Le concept même de grille de sélection comme processus d’évaluation des candidats à la résidence permanente a été élaboré et mis en place par le ministère canadien de l’Immigration au cours des années 1960 (et adapté au contexte québécois à la fin des années 1970), à une époque où la très grande majorité des nouveaux arrivants provenait n’était pas très différent de celui que connaissaient à l’époque le Québec, le Canada et l’ensemble de l’Amérique du Nord. L’économie québécoise était alors très différente de ce qu’elle est présentement. La main-d’œuvre locale était peu qualifiée, et on comptait bien peu de diplômés universitaires parmi les natifs du Québec, surtout chez les francophones. La question de la qualité relative de la formation reçue par les immigrants ne se posait, par le fait même, que peu ou prou. La situation actuelle est fort différente.

Pour cette raison, sans doute y aurait-il lieu d’explorer la possibilité de raffiner davantage le processus de sélection pour mieux tenir compte de divers facteurs qui pouvaient être négligeables il y a plus de 40 ans. À cet effet, quatre stratégies seraient particulièrement bien inspirées.

Premièrement, il faudrait raffiner l’évaluation de la scolarité et des compétences linguistiques. À l’heure actuelle, les points accordés pour la formation tiennent compte du diplôme obtenu, sans égard à la qualité relative du système d’éducation ou de l’établissement ayant délivré ce diplôme. Or des études récentes, menées par des chercheurs sérieux et crédibles, tendent à démontrer qu’au moins une partie des écarts défavorables sur le marché du travail canadien que l’on constate chez les immigrants originaires de certains pays serait liée à la qualité moindre de l’éducation reçue ou à certaines lacunes en littératie et en numératie.

Les résultats de ces recherches militent donc en faveur de la prise en compte, dans le processus de sélection, de la qualité relative de l’éducation reçue. À l’évidence, toutefois, traduire une telle réalité en points attribuables dans la grille de sélection pour des individus en chair et en os constituera un exercice très périlleux. Certains ne manqueront pas d’y voir un retour déguisé à une forme de « préférences nationales », un écueil qu’il faudra éviter. Il importe en effet que le caractère universel et non discriminatoire de la sélection soit sauvegardé et même renforcé.

L’effet observé des compétences en littératie et en numératie met aussi en lumière l’importance d’une évaluation plus rigoureuse des compétences linguistiques des candidats, notamment au regard de l’écrit. Les règles actuelles ne prévoient qu’une évaluation de l’expression orale et de la compréhension de l’oral du français et de l’anglais. Dans une société du savoir, l’importance de la maîtrise de la communication écrite n’est plus à démontrer.

Deuxièmement, il faudrait arrimer plus étroitement sélection et besoins de main-d’œuvre. L’arrimage entre les besoins de main-d’œuvre exprimés par les employeurs et le profil des immigrants admis en vertu de la grille de sélection demeure souvent insatisfaisant aux yeux du patronat. Ces dernières années, certains employeurs ont déploré que les immigrants admis soient surscolarisés pour les emplois qu’ils avaient à leur offrir, tandis qu’inversement, des entreprises organisent des missions de promotion et de recrutement à l’étranger, plaidant qu’elles ne trouvent pas, sur place, les superspécialistes dont elles ont besoin.

Bien sûr, une grille de sélection d’application générale ne pourra jamais répondre exactement et instantanément aux besoins particuliers d’employeurs spécifiques. Elle est conçue davantage pour le moyen que pour le court terme. Par contre, certaines mesures pourraient être prises pour mieux combler, et dans de meilleurs délais, les pénuries diagnostiquées ou appréhendées de main-d’œuvre.

Dans l’actuelle grille de sélection, la liste des domaines de formation privilégiés a remplacé la liste des professions en demande. La nuance entre les deux n’est pas très marquée, et les défauts qu’on reprochait à la première sont très susceptibles de réapparaître dans la seconde.

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Notamment, aucun objectif numérique n’est associé à ces domaines de formation. Il semble pourtant évident qu’il existe des différences importantes entre les domaines en ce qui concerne leurs besoins de main-d’œuvre. Par exemple, 300 immigrants formés en soins infirmiers auront un faible impact sur la pénurie dans ce secteur qui comprend plusieurs milliers de travailleurs, alors que 300 immigrants formés en génie nucléaire viendraient vraisemblablement saturer complètement le marché dans ce domaine, très étroit par définition. Le tout même si, au départ, un diagnostic comparable de rareté a été établi dans les deux secteurs.

Il se peut aussi qu’un domaine de formation inscrit comme privilégié génère une surabondance de candidatures acceptables en raison d’une situation particulière dans un pays ou, plus simplement, parce que les exigences formelles reliées à ce domaine sont peu élevées. Notons au passage que les consultants en immigration sont généralement prompts à repérer ce genre de détail et à en tirer profit. Une évaluation quantitative préalable des besoins par secteur accompagnée d’une gestion en conséquence des demandes sembleraient donc tout indiquées.

Par ailleurs, à l’époque des listes de professions en demande, les autorités prenaient toujours un temps considérable à y apporter les changements (retraits ou ajouts) que la conjoncture dictait pourtant comme nécessaires. Rien n’indique qu’elles seront davantage promptes à modifier la liste des domaines de formation privilégiés. Si on ajoute à cela que des « clauses grandpère » font en sorte que les candidatures sont généralement traitées en fonction des listes existant au moment du dépôt des demandes plutôt qu’en fonction des modifications les plus récentes reflétant la situation réelle du marché du travail, on imagine facilement l’hiatus qui apparaît régulièrement entre le profil des immigrants admis à un moment donné et la situation réelle sur le marché du travail au même moment. On verra un peu plus loin qu’il pourrait exister un moyen de corriger ce problème.

Troisièmement, il faudrait miser davantage sur le facteur jeunesse. Il a été démontré que l’âge au moment de la migration constitue un facteur significatif de réussite de l’intégration. Il serait donc indiqué de resserrer l’attribution des points pour ce facteur dans la grille de sélection, d’autant plus qu’un mouvement d’immigration structurellement plus jeune que la société d’accueil permet de contrer, même si ce n’est que très modestement, certains effets négatifs du vieillissement de la main-d’œuvre.

Un autre aspect de l’âge à l’immigration doit également être considéré. L’admission d’immigrants ayant dépassé un certain âge réduira nécessairement leur potentiel de contribution aux régimes de pension publics et privés. Nombre d’entre eux pourraient ainsi, une fois parvenus au seuil de la vieillesse, se trouver dans une situation économique précaire. Ils pourraient donc être anormalement nombreux à devoir recourir au supplément de revenu garanti ou au régime d’aide sociale. Un traitement différencié relatif à l’âge pourrait être envisagé pour les candidats en mesure d’amener avec eux un fonds de retraite ou provenant de pays avec lesquels des ententes de sécurité sociale avantageuses sont en vigueur.

Au lieu de s’apparenter aux modalités en vigueur pour les permis de conduire, on pourrait plutôt s’inspirer de la pratique des établissements d’enseignement supérieur en ce qui a trait à l’attribution des places dans les programmes contingentés : seuls les meilleurs candidats, jusqu’à concurrence d’un nombre prédéterminé, sont acceptés, même si un bien plus grand nombre ont pu satisfaire aux normes minimales.

Finalement, il faudrait sélectionner les immigrants avec plus de rigueur. Les modalités actuelles de la sélection s’apparentent un peu au système en vigueur pour l’attribution des permis de conduire : certains critères sont éliminatoires et, dans l’ensemble, il faut atteindre un seuil de passage. Une fois ces exigences satisfaites, toutes les candidatures sont acceptées et elles sont traitées, sauf pour certains cas dits prioritaires, selon le principe du « premier arrivé, premier servi ». Au niveau fédéral, ce système a toujours généré une accumulation importante de dossiers en souffrance, et au Québec, un phénomène comparable est observé dans certains bassins géographiques.

Peut-être y aurait-il lieu d’envisager un autre type de système de gestion des demandes d’immigration, lequel consisterait en fait à pousser plus loin le principe de la sélection. Au lieu de s’apparenter aux modalités en vigueur pour les permis de conduire, on pourrait plutôt s’inspirer de la pratique des établissements d’enseignement supérieur en ce qui a trait à l’attribution des places dans les programmes contingentés : seuls les meilleurs candidats, jusqu’à concurrence d’un nombre prédéterminé, sont acceptés, même si un bien plus grand nombre ont pu satisfaire aux normes minimales.

L’atteinte du seuil de passage par les candidats ne garantirait plus leur acceptation automatique. Les volumes globaux d’admissions souhaitées pour les travailleurs seraient répartis selon les domaines de formation privilégiés et, pour faciliter leur administration, divisés à nouveau en périodes de temps, par exemple des trimestres, au cours desquelles les dossiers ayant obtenu les meilleurs résultats pourraient être acceptés jusqu’à concurrence du nombre fixé pour le domaine et la période. Une fois atteint le nombre souhaité, les autres candidatures reçues et satisfaisant au seuil de passage pourraient être conservées et considérées à nouveau pour la période suivante.

Après avoir failli un certain nombre de fois à se qualifier parmi les meilleures candidatures examinées au cours d’une période, les dossiers seraient rejetés et les candidats avisés en conséquence. Rien ne les empêcherait toutefois de tenter à nouveau leur chance s’ils le désirent. En outre, lors de chaque examen périodique des candidatures, ce sont les modalités en vigueur à ce moment-là qui présideraient à l’évaluation, et non celles en vigueur lors du dépôt des demandes. Pour chaque période, un nombre précis de candidatures ne correspondant à aucun domaine de formation privilégié ferait également l’objet d’une sélection. Ces dossiers seraient évalués de manière identique à ce qu’on vient de décrire, c’est-à-dire seuls les candidats ayant obtenu les meilleurs résultats seraient retenus, jusqu’à concurrence du nombre fixé pour la période.

Cette méthode aurait notamment comme avantage de réduire considérablement les délais entre les changements de normes dictés par la conjoncture, le traitement effectif des candidatures et l’arrivée au pays des immigrants sélectionnés. Une sélection ainsi arrimée de plus près aux conditions récentes du marché du travail et ne retenant que les candidats présentant les meilleurs profils devrait se traduire par une intégration plus réussie et plus rapide.

Le nombre de dossiers en souffrance devrait également, grâce à un tel système, diminuer, sinon disparaître. Quant à l’influence de certains consultants sur l’offre d’immigration, en raison du système de sélection de type « permis de conduire » qui garantit à tous les candidats répondant à un certain profil d’être acceptés, elle s’en trouverait réduite.

Présentement, grâce aux développements des technologies de l’information, un tel système est parfaitement envisageable et financièrement réaliste. Il permettrait l’instauration d’une centralisation mondiale de la gestion des candidatures qui garantirait, bien mieux que les objectifs territoriaux actuels, l’universalité et la non-discrimination de la sélection. Précisons ici que la pratique actuelle, décrite dans les plans annuels d’immigration, de répartir les objectifs d’admissions selon les continents de dernière résidence ne peut qu’être vexatoire pour les candidats vivant dans les pays où l’offre est très grande, tout en n’étant ni productive, ni efficace, ni, bien sûr, équitable.

La sélection des immigrants économiques n’est pas un programme à vocation humanitaire, et il importe qu’il soit modulé essentiellement en fonction des intérêts de la société d’accueil, tout en respectant les principes d’universalité et de non-discrimination fondée sur les origines.

Dans un premier temps, les volumes totaux d’admissions s’en trouveront peut-être réduits. À terme cependant, la fluidité, la rapidité et l’efficacité d’un tel système pourra raviver l’intérêt de personnes très qualifiées et amener un plus grand nombre d’entre elles à se porter candidats, alors que les lenteurs du système actuel sont davantage susceptibles de les faire fuir. Cela pourra compenser la réduction du nombre des candidats qui ne satisfont bien souvent que minimalement aux exigences de la grille de sélection.

Les modalités de la sélection des immigrants d’une autre catégorie de la composante économique pourraient également faire l’objet d’améliorations. Il s’agit des investisseurs passifs. Le programme québécois à l’intention de ces immigrants bénéficie, depuis plusieurs années, de la faveur des élus, de certains économistes réputés et, bien sûr, des courtiers en valeurs mobilières. Le programme génère effectivement des fonds pour le capital de risque, il contribue (modestement) à financer la dette publique du Québec et permet même de subventionner certaines mesures de soutien à l’intégration économique des immigrants des autres catégories.

Si l’on a souvent vanté ses avantages, rarement s’est-on interrogé sur d’autres aspects de ce programme qui, lorsqu’on y regarde de plus près, sont préoccupants. Citons en quelques-uns :

  • La grille de sélection applicable à cette catégorie est peu exigeante, et il en résulte que, comparativement aux travailleurs qualifiés, ces immigrants sont peu scolarisés. En 2009, moins du quart des requérants principaux de cette catégorie avaient complété 17 années ou plus de scolarité, contre près de 54 p. 100 chez le deuxième groupe. Ils étaient aussi plus âgés. Toujours chez les requérants principaux, 72 p. 100 d’entre eux avaient 45 ans ou plus, au regard de moins de 5 p. 100 chez les travailleurs qualifiés. Ils étaient enfin peu nombreux à connaître le français : moins de 16 p. 100 contre plus de 93 p. 100.
  • Très souvent, l’investissement qu’ils font est constitué d’argent emprunté à des institutions financières québécoises. Le seul apport net de ces immigrants investisseurs vient des intérêts qu’ils doivent verser à ces institutions pendant quelques années.
  • Un très faible pourcentage d’entre eux s’installent au Québec à demeure, à peine plus de 11 p. 100 selon les données du Ministère lui-même. Leur apport effectif à l’entrepreneurship québécois est donc assez marginal.
  • Les enfants qui accompagnent les immigrants investisseurs sont plus nombreux et surtout plus âgés que ceux des travailleurs qualifiés. En 2009, les travailleurs ont amené avec eux en moyenne 0,5 enfant chacun, la plupart (81 p. 100) âgés de moins de 15 ans, comparativement à 1,8 enfant par investisseur, majoritairement (62p.100)âgésde15à29ans.
  • La question de l’âge de ces jeunes adultes serait sans importance si elle n’impliquait pas qu’ils pourront étudier dans une université du Québec, vraisemblablement en anglais, au même tarif que les résidants québécois — et ce, même s’ils habitent ailleurs au Canada (grâce au certificat de sélection du Québec qui leur a été délivré) — et qu’ils pourront, dans certains cas, être admissibles au Programme de prêts et bourses.
  • L’âge des requérants principaux pose aussi problème. Admis aussi tard dans la vie, ils contribueront moins longtemps à la fiscalité commune et pourront avoir besoin plus rapidement de services de santé.

Tous ces éléments militent en faveur d’une révision globale des modalités de la sélection des immigrants d’au moins deux catégories, soit les plus importantes de la composante économique : les travailleurs qualifiés et les investisseurs. Rappelons finalement que la sélection des immigrants économiques n’est pas un programme à vocation humanitaire, et il importe qu’il soit modulé essentiellement en fonction des intérêts de la société d’accueil, tout en respectant les principes d’universalité et de non-discrimination fondée sur les origines. Le premier et le plus important devoir de la société d’accueil envers les immigrants économiques, c’est de s’assurer que ceux qui sont choisis ont les caractéristiques qui puissent leur garantir les meilleures chances d’un établissement réussi dans un délai raisonnable.

Photo: dennizn / Shutterstock

GP
Gérard Pinsonneault est chercheur associé à la Chaire en relations ethniques de l’Université de Montréal.

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