Sur fond d’images magnifiques et de dialogues authentiques, L’empreinte traite de l’apport des Premières Nations à l’essor de l’identité proprement québécoise, en examinant notamment les propensions des Québécois à la solidarité, à l’équité et à l’égalité, tout comme leur amour de la nature et leur soif de liberté. Dans ce documentaire, les réalisateurs suivent le célèbre acteur Roy Dupuis dans sa quête de l’héritage amérindien, au fil de discussions franches avec des historiens, des anthropologues et des personnalités autochtones. Si le documentaire n’évite pas toujours certains accents rousseauistes, il offre un questionnement provocateur sur l’ethnogenèse du peuple québécois et la mesure de son autochtonie, voire de son caractère métis.

Le sujet de l’autochtonie québécoise fera sourciller plus d’un. Cette réaction peut s’expliquer par le truchement d’un autre thème difficile : l’assimilation des peuples autochtones et son cadre justificateur. Nous savons que cette assimilation fut souvent légitimée au moyen d’arguments discriminatoires à l’égard de cultures supposément « primitives », vouées à disparaître selon les règles du « progrès naturel ». Bien sûr, on peut affirmer que le Canadien français, comme le suggère Albert Memmi, a lui aussi connu le colonialisme, et évoquer le rapport Durham ou les campagnes de stérilisation sous Henry F. Perkins qui ciblaient notamment les «dégénérés» Canadiens français et les Abénakis du Vermont.

Un autre type de justification de l’assimilation des peuples autochtones fonctionne toutefois en sens inverse et, pour cette raison, est plus difficile à déceler. Il consiste à produire des arguments selon lesquels nous serions tous, au final, des Autochtones. Au fil de pareils raisonnements aux accents universalistes, les Autochtones sont invités à renoncer à leur statut juridique particulier, dernier rempart de leur identité distincte, autour duquel leurs luttes se sont souvent cristallisées. En dépit des efforts de quelques militants, nous jaugeons encore mal les conséquences des diverses rhétoriques qui cherchent à abolir tout principe d’égalité substantielle au profit d’une égalité seulement formelle sur le plan juridique, ce qui avantage ultimement la société dominante qui en dicte les règles de procédure et d’exception. Ici encore, le Livre blanc sur la politique indienne, présenté en 1969 par Jean Chrétien et proposant l’abolition de la Loi sur les Indiens — une manœuvre alors dénoncée par plusieurs Autochtones comme menant à leur assimilation pure et simple — , n’est pas sans rappeler le canadianisme de Pierre Elliott Trudeau, décrié par certains indépendantistes comme ravalant le caractère distinct du peuple québécois au rang de simple culture parmi d’autres au sein d’un Canada multiculturel.

C’est sur le fond de ces luttes politiques et identitaires encore actuelles que L’empreinte soulève la question du métissage proprement québécois, un métissage non seulement biologique, mais aussi — et surtout — culturel. Dans pareil contexte, on peut comprendre que le sujet suscite plusieurs questions. L’identité métisse peut en effet servir d’argument dans les stratégies d’assimilation précédemment mentionnées. En effet, il est possible que le Métis souffre de discrimination de par ses revendications de l’origine autochtone. Mais l’argument d’une société québécoise métissée peut également justifier la thèse voulant que tous les Québécois, au final, soient des Autochtones. Elle soulagerait la société québécoise du poids des injustices historiques qu’elle a commises à l’égard des Amérindiens en les obligeant à s’assimiler. Si plusieurs Québécois et Amérindiens se considèrent comme «autochtones» suivant leurs alliances biologiques et culturelles indéniables, le prix que les uns et les autres payèrent pour leur autochtonie ne fut certainement pas le même.

La question du Métis québécois inquiète donc avant tout les Premières Nations du Québec, dont plusieurs refusent toujours de reconnaître l’existence de Métis au Québec. Elle contrarie également certains Métis de l’Ouest qui soutiennent que les Métis n’existent pas au Québec parce que l’ethnogenèse de la nation métisse se limiterait à la diaspora résultant des deux rebellions dirigées par Louis Riel. Et, finalement, elle préoccupe ces «autres Métis» de partout ailleurs, que le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones décrit comme n’ayant pas tout à fait cristallisé ou choisi d’exprimer leur identité en termes nationaux sui generis.

Toutes ces appréhensions au sujet de la métissitude au Québec peuvent en surprendre plusieurs. Comment en sommes-nous venus à disloquer les identités métisse et québécoise au point que certains les voient maintenant comme mutuellement exclusives ? Pourquoi un Québécois ne pourrait-il pas se concevoir comme Métis et Québécois, lui qui baigne pourtant dans une société historiquement métissée et porteuse d’une culture distincte de par ce fait ? Comment en sommes-nous venus à accepter que la Métis Nation of Ontario retire actuellement certains privilèges à des membres dont le lieu d’origine du métissage est au Québec, inspirée en cela par l’arrêt Paquette ? Selon ce jugement, un individu peut revendiquer des droits autochtones s’il existe une filiation continue et strictement territorialisée entre une « communauté métisse », qui devait exister avant le « contrôle effectif » des pouvoirs coloniaux, et l’individu habitant encore dans cette communauté. Or le Québec au grand complet ne pourrait-il faire figure de territoire historiquement parcouru et habité par des Métis, comme d’ailleurs plusieurs lieux en Amérique du Nord ? N’est-il pas temps de décloisonner l’identité métisse et de l’affranchir ?

L’empreinte demeure silencieuse sur les conflits que soulève la question du métissage après la reconnaissance constitutionnelle des Métis comme « peuple autochtone » en 1982. Le documentaire ne mentionne rien non plus des savants calculs visant à déterminer ce que serait une véritable ethnogenèse métisse. Notons que le Ralliement national des Métis, un regroupement représentant les Métis de l’Ouest, exclut ipso facto le Métis québécois, le Québec ne faisant pas partie du « territoire national » des Métis qui s’étend de la Colombie-Britannique jusqu’en Ontario. Le Québécois et ses ancêtres sont considérés comme étant « seulement mixtes » sur le plan biologique, sans plus. Ainsi, l’identité métisse, sitôt reconnue, se voit encadrée par une panoplie de critères issus d’une législation labyrinthique concernant le droit autochtone canadien. Or cela n’est pas sans conséquences: ce sont précisément ces critères qui décideront si Roy Dupuis a effectivement le droit de s’affirmer comme Métis et de vivre son identité au lendemain de ses découvertes.

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Roy Dupuis, L’empreinte.

Devant la loi n’est donc pas Métis qui veut. Dans sa première décision portant sur les droits des Métis, l’arrêt Powley de 2003, la Cour suprême énumère les trois critères permettant d’établir l’identité métisse : l’identification, non récente, à une communauté métisse, l’acceptation par une communauté métisse dite contemporaine et, plus important encore, la preuve de l’existence de liens ancestraux avec une communauté historique qui fut jadis distinctement métisse. Ce dernier facteur représente le jalon collectiviste qui servira à la reconnaissance du droit autochtone en litige et donne lieu à toutes sortes de spéculations essentialistes, et souvent tristement chauvinistes, au sujet de qui mériterait le titre de véritable Métis. On nous dira ainsi que le Métis québécois, de par son éloignement des événements de la rivière Rouge à l’époque de Louis Riel, ne fut pas imprégné de cette « conscience collective », qui elle serait l’apanage des Métis de l’Ouest. Et pourtant, les Métis québécois furent certainement du nombre des 50 000 personnes qui marchèrent au Champ-de-Mars au lendemain de la pendaison de Riel, la poitrine gonflée d’un nouveau nationalisme.

C’est ainsi que le Métis québécois qui se souvient de son autochtonie se voit aussitôt rattrapé par la violence des procédures coloniales qui créèrent jadis la figure juridique de l’Indien. Tragiquement, certains Métis accepteront ces critères au prix d’exclure les « petits Métis », qui seront parés comme étant « seulement mixtes » et ne possédant donc pas de véritable culture autochtone. Ils perpétueront ainsi une hiérarchisation des cultures pourtant étrangère à ces premières sociétés autochtones et à tous ces « gens libres » voyageant d’Est en Ouest qui influencèrent de toute évidence la vision du monde dite « québécoise ».

Dès lors, on comprend mieux pourquoi un documentaire qui affirme que le Québec fut (et demeure) un peuple métis de par ses unions et sa culture « distincte » peut faire figure de provocation dans le monde actuel des dogmes sur l’identité métisse. Il serait pourtant curieux de nier l’existence des Métis au Québec quand Louis Riel même la reconnaît implicitement en parlant des provinces canadiennes de l’Est. Dans sa lettre du 6 juillet 1885 à R. B. Deane, Edgar Dewdney et John Macdonald, il déplore la situation difficile des Métis. Il les décrit comme étant méprisés sous le «costume indien» et vivants dans des «villages d’indigence», et ajoute : « Leur titre indien au sol est pourtant aussi bon que le titre indien des Métis du Manitoba. »

Même si L’empreinte ne le fait pas expressément, le lien entre la poésie visuelle du terroir et l’affirmation de Louis Riel du «titre indien au sol» des Métis peut avoir l’effet d’une bombe. Nous touchons là peut-être au cœur de la question dérangeante des Métis, et elle donne certainement un nouveau sens à l’idée de nation québécoise. On peut en effet se demander — à l’heure où le titre d’Indien fait les manchettes en Colombie-Britannique et qu’une telle revendication est également au centre des espérances de souveraineté des Attikameks au Québec — si cette question de titre et de droits autochtones ne serait pas la véritable source de toute l’agitation autour de l’identité métisse au Québec.

On le voit bien, reconnaître la métissitude franco-amérindienne des Québécois sur le plan strictement biologique est désormais un sujet qui ne choque plus. Prendre la pleine mesure de l’apport culturel des Amérindiens à l’identité proprement québécoise, comme cherche à le faire L’empreinte, demeure toutefois un projet plus ambitieux. S’il faut en croire l’historien Denys Delâge, les Québécois devraient en effet surmonter un refoulement identitaire collectif motivé par la nécessité de paraître « Européen pure laine » aux yeux du maître anglais pour ne pas subir le même sort que les Acadiens « ensauvagés » suivant la Conquête de 1763. Mais si on se risque à aller plus loin et suggérer l’existence possible de Métis québécois, voire d’un Québec métis qui s’ignore, c’est l’explosion assurée! Elle ne manquerait pas de déborder les frontières de l’identité québécoise s’il faut en croire le réveil identitaire métis actuellement en cours non seulement au Québec, mais un peu partout en Amérique du Nord.

En bref, L’empreinte se célèbre par l’explosion d’un rire contagieux conviant les Québécois issus de ces «gens libres» à se souvenir de leur enracinement historique, culturel et ethnique dans le grand peuple métis encore largement méconnu, dont les voyages au chant de l’aviron se veulent peut-être l’écho d’une véritable identité à redécouvrir et à partager avec tous.

Photo: Shutterstock by fckncg


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Sébastien Malette
Sébastien Malette est professeur adjoint au Département de droit et d'études juridiques de l'Université Carleton.

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