En septembre 2012, le Parti québécois a gagné les élections avec moins du tiers des voix (31,95 p. 100, contre 31,20 p. 100 pour le Parti libéral). Après des années de domination presque sans partage, le duopole formé par le Parti libéral du Québec et le Parti québécois était ébranlé par la montée de nouveaux partis, capables de séduire plus du tiers d’un électorat de plus en plus fragmenté.

Dans un livre bilan qui vient de paraître, Les Québécois aux urnes, Frédérick Bastien, Éric Bélanger et François Gélineau constatent cet éclatement du vote et notent que les grands partis — et surtout le Parti québécois, dont la clientèle de base est moins captive que celle du Parti libéral —, ne peuvent miser que sur deux possibilités pour retrouver leurs positions dominantes.

D’une part, ils peuvent espérer la disparition pure et simple, ou à tout le moins la marginalisation, d’un des petits partis, qui nuisent surtout au Parti québécois. Avec le départ de Jean-Martin Aussant, l’Option nationale pourrait subir ce sort. D’autre part, ils peuvent tenter de raviver les enjeux identitaires, qui historiquement ont polarisé l’électorat entre fédéralistes et souverainistes à leur profit.

Mais les électeurs, observent les auteurs, sont peut-être plus intéressés maintenant par les questions classiques qui divisent la gauche et la droite, comme le rôle de l’État, la justice sociale ou les impôts. Quand cet axe gauche-droite prévaut sur l’axe identitaire, la Coalition avenir Québec de François Legault réussit à se tailler une place.

Toutefois, on ne se débarrasse pas d’un vieux clivage aussi facilement. Les enquêtes présentées dans Les Québécois aux urnes montrent bien que l’opposition fédéralistes–souverainistes continue d’opérer. Et le gouvernement de Pauline Marois semble avoir trouvé une façon de ranimer ces divisions identitaires, sans pour autant parler de souveraineté.

L’approche est cousue de fil blanc. Au nom de la neutralité de l’État, de l’égalité hommes–femmes et des valeurs québécoises — mais sans évaluer ni l’ampleur du problème, ni les conséquences des orientations envisagées —, le gouvernement a proposé d’interdire aux employés de l’État le port de signes religieux ostentatoires tout en maintenant le crucifix en bonne place à l’Assemblée nationale. La logique n’était pas au rendez-vous.

Mais les sondages y étaient. De toute évidence, l’approche retenue se moulait sur des résultats de sondages indiquant qu’une part significative de l’électorat voulait surtout voir s’effacer les signes religieux des autres.

Et ça marche. Les anglophones et les allophones sont largement défavorables, mais le Parti québécois ne compte pas sur eux de toute façon. Chez les francophones, en revanche, près de la moitié des répondants approuvent. Fait plus significatif, à la mi-septembre, 80 p. 100 des péquistes appuyaient la Charte des valeurs québécoises, alors que 70 p. 100 des libéraux s’y opposaient. L’axe identitaire reprenait du service. Mieux encore, la CAQ semblait coupée en deux par la manœuvre, la moitié de ses partisans supportant la Charte et l’autre moitié s’y objectant.

Alors qu’il attirait 27 p. 100 des électeurs en septembre 2012, le parti de François Legault n’obtenait plus que 18 p. 100 des intentions de vote. Certes, les pertes de la CAQ peuvent profiter autant au PLQ qu’au PQ. Mais le Parti québécois fait le pari qu’en allant reprendre ne serait-ce qu’une partie des appuis de la CAQ, il peut construire les bases d’une majorité.

Dans sa contribution au livre de Bastien, Bélanger et Gélineau, Jean-François Godbout note d’ailleurs qu’historiquement, le Québec n’a connu un gouvernement minoritaire que lorsque le troisième parti obtenait plus de 20 p. 100 des suffrages.

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Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? D’abord, il n’est pas certain que l’appui à la Charte soit durable et que l’enjeu demeure prédominant. Les électeurs vont-ils vraiment choisir un gouvernement sur une question symbolique un peu artificielle ? Surtout, c’est le PQ lui-même, et avec lui le projet souverainiste, qui risque de se transformer dans cette initiative.

Il y a bien sûr une partie du mouvement féministe qui est mobilisée par l’opposition au voile islamique, le seul véritable signe religieux qui dérange. Et dans ce cas, il est bien question d’égalité et de laïcité.

Mais ce qui travaille la société québécoise, ce sont surtout des réticences face à des différences qu’on trouve trop visibles. Ce n’est pas pour rien que les appuis à la Charte demeurent faibles chez les jeunes et augmentent avec l’âge, et qu’ils semblent se combiner sans problème avec l’approbation du crucifix à l’Assemblée nationale.

Le Québec n’est d’ailleurs pas unique. Partout en Europe, des tensions semblables s’expriment, contribuant à la montée de nouveaux partis populistes et à ce que les Français appellent la —« droitisation » du débat politique.

En confortant de tels sentiments, cependant, le Parti québécois se déplace nettement vers la droite, et il rompt avec ses positions traditionnelles qui faisaient de la souveraineté un projet progressiste, inclusif et ouvert. Ce déplacement sera sans doute applaudi par la nouvelle droite nationaliste, qui voit l’avenir du Québec dans son passé. Mais il risque, à terme, de miner le projet souverainiste lui-même.

Pour atteindre la souveraineté, en effet, la société québécoise doit aller au-delà de son passé, qui n’était justement pas souverain, et prendre des risques. Or les forces de droite, au Québec, ont toujours refusé ces risques. Ce qui n’est pas étonnant, puisqu’être de droite, c’est précisément choisir le statu quo, au nom de la stabilité et de la paix sociale.

Ramené à la simple affirmation d’une culture un peu figée — ou à l’interdiction de quelques symboles —, l’axe identitaire opposant les partis québécois se définirait moins autour d’un projet collectif ambitieux et inclusif, et il perdrait graduellement son pouvoir mobilisateur.

Chaque fois que le Québec s’est approché de la souveraineté, en 1994 par exemple, ses dirigeants se sont efforcés de rassurer les minorités. Quand l’objectif semble s’éloigner, ces efforts apparaissent moins nécessaires. La référence identitaire risque alors de devenir une simple affaire de continuité, de survivance et de butin à conserver, comme au temps de l’Union nationale.

Photo: Shutterstock /Sylvie Bouchard

Alain Noël
Alain Noël is a professor of political science at the Université de Montréal. He is the author of Utopies provisoires: essais de politiques sociales (Québec Amérique, 2019).

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