Ce lundi 14 septembre, le premier ministre progressiste-conservateur du Nouveau-Brunswick Blaine Higgs vient encore une fois de gagner à la loterie politique.
Il y a quatre ans, en 2016, sans pratiquement aucun appui parmi ses collègues du caucus, il remportait au troisième tour la chefferie de son parti. Unilingue anglophone avec un passé de militant et de candidat du défunt Confederation of Regions Party, Higgs prenait les rênes du Parti progressiste-conservateur du Nouveau-Brunswick sans le vote des francophones ― qui brillaient par leur absence au congrès à la chefferie. Deux ans plus tard, en 2018, il défaisait, lors d’un vote de confiance, le gouvernement du premier ministre libéral Brian Gallant pour former le premier gouvernement minoritaire en près de 100 ans. Il a décidé en pleine pandémie de COVID-19 de déclencher des élections anticipées afin d’obtenir une majorité.
Contrairement à Stephen Harper en 2008, Blaine Higgs a su convaincre les électeurs du Nouveau-Brunswick de lui confier un mandat majoritaire. Après avoir trébuché lorsqu’il a prôné la fermeture des urgences de six hôpitaux ruraux de la province ― qui devait entraîner la démission de son unique député et ministre francophone ―, Blaine Higgs a pu rapidement se ressaisir grâce à sa gestion exemplaire de la COVID-19. Profitant de cette longueur d’avance et de la faiblesse de ses adversaires, il s’est engouffré dans la fenêtre politique qui lui était grande ouverte.
Cette victoire est quelque peu amère surtout pour les francophones, puisque, comme en 2018, les électeurs du nord francophone de la province lui ont tourné le dos. Blaine Higgs pourra-t-il se réconcilier avec la communauté francophone au cours de ce qui devrait être son dernier mandat ? Dans la mi-soixantaine, il a fait savoir qu’il n’a pas l’ambition de battre le record de l’ancien premier ministre progressiste-conservateur Richard Hatfield, qui est resté au pouvoir pendant 17 ans en remportant quatre élections provinciales consécutives.
Le moment venu, les progressistes-conservateurs devront décider s’ils veulent rebâtir les ponts avec la communauté acadienne et francophone, comme deux anciens premiers ministres, Richard Hatfield et Bernard Lord, avaient réussi à le faire.
Le moment venu, les progressistes-conservateurs devront décider s’ils veulent rebâtir les ponts avec la communauté acadienne et francophone, comme deux anciens premiers ministres, Richard Hatfield et Bernard Lord, avaient réussi à le faire. Il serait aussi impératif de changer le mode d’élection du chef de parti afin que les militants progressistes-conservateurs de l’ensemble de la province puissent faire entendre leurs voix. Le Parti progressiste-conservateur du Nouveau-Brunswick pourrait s’inspirer de son grand frère fédéral et adopter un mode de scrutin préférentiel qui accorde le même poids à chacune des 49 circonscriptions provinciales. De cette manière, les 16 circonscriptions majoritaires francophones du Nord ne pourraient être ignorées par quiconque voulant être élu à la tête du parti.
Pourquoi Blaine Higgs veut-il une majorité à la Chambre ? Durant toute cette courte campagne électorale, il a martelé son message à savoir qu’un gouvernement majoritaire pourrait apporter de la stabilité politique dans une province où le vote est de plus en plus volatile. Depuis 2006, le Nouveau-Brunswick a connu trois gouvernements de suite, libéral ou progressiste-conservateur, qui n’ont effectué qu’un seul mandat.
La province doit relever de nombreux défis, auxquels s’ajoute la gestion de la COVID-19. Avec une population parmi les plus vieilles au pays, le Nouveau-Brunswick a une croissance économique anémique et une dette publique qui dépasse 14 milliards de dollars pour une population d’environ 755 000 habitants. La relance de la province passe par une politique d’immigration ambitieuse, la révision de son système de santé de plus en plus coûteux et la réorganisation des administrations municipales. C’est dire que Blaine Higgs a beaucoup de pain sur la planche s’il veut secouer le statu quo qui prévaut dans la province depuis les grandes réformes de Chances égales pour tous du premier ministre libéral Louis Robichaud durant les années 1960.
La relance de la province passe par une politique d’immigration ambitieuse, la révision de son système de santé de plus en plus coûteux et la réorganisation des administrations municipales. C’est dire que Blaine Higgs a beaucoup de pain sur la planche.
Après son cuisant échec auprès des électeurs du sud-ouest anglophone de la province, le Parti libéral devrait se trouver un nouveau chef. Il faut remonter à Franck McKenna, qui, après une longue traversée du désert, avait propulsé les libéraux au pouvoir en 1987, mettant fin au long règne des progressistes-conservateurs de Richard Hatfield. Il avait permis à son parti de remporter l’ensemble des 58 sièges à l’Assemblée législative. Au terme de 10 années mémorables au pouvoir, il décidait de quitter la vie politique, comme il l’avait promis lors de sa première élection.
On ne peut pas dire que, depuis ce temps, les libéraux ont eu la main heureuse dans le choix de leur leader. Camille Thériault devait perdre les élections de 1999 aux mains d’un jeune chef progressiste-conservateur, Bernard Lord. Celui-ci a su réunifier son parti que Richard Hatfield avait été laissé en lambeaux. En 2010, Shawn Graham sera le premier à perdre le pouvoir après un seul mandat comme premier ministre libéral, mais Brian Gallant subira le même sort quelques années plus tard.
Pour une raison qui relève du mystère, les libéraux ont décidé de couronner Kevin Vickers à la tête du parti en 2019, après le départ de Brian Gallant. Kevin Vickers, qui a été agent de la Gendarmerie royale du Canada, a passé la plus grande partie de sa carrière à l’extérieur du Nouveau-Brunswick, sa province natale. C’est alors qu’il occupait les fonctions de sergent d’armes à la Chambre des communes qu’il s’est fait connaître à l’échelle nationale, ayant neutralisé avec son équipe un homme armé qui s’était introduit dans l’enceinte du Parlement. Ce geste lui avait valu d’être nommé par Stephen Harper ambassadeur du Canada en Irlande. N’ayant pas de siège à l’Assemblée législative, Kevin Vickers n’a pas pu se faire connaître auprès de la population durant la dernière année. C’est donc un chef inexpérimenté et inconnu qui a dirigé les troupes libérales à ces élections.
La déconvenue des libéraux a permis au Parti vert de tirer son épingle du jeu. Élu une première fois en 2014, David Coon a pu faire élire deux autres députés aux élections de 2018, au détriment des libéraux. Le chef vert a privé de la sorte Brian Gallant d’un second mandat et obtenu la balance du pouvoir avec le parti l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick. On peut dire que la campagne électorale de cette année a été marquée par une montée des verts, qui sont passés de 11,8 % du vote populaire en 2018 à 15,2 % cette fois-ci et conservent leurs trois sièges, tout en arrivant bon deuxième dans plusieurs circonscriptions.
Pour sa part, l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick a vu son appui diminuer de 12,5 à 9,2 % et a perdu un de ses trois députés. Quant au Nouveau Parti démocratique, il a continué sa chute et récolté un maigre 1,7 % des suffrages. Sans chef permanent et peu de candidats en lice lors des présentes élections, les néodémocrates ont été encore une fois supplantés par les verts.
Avec l’affaiblissement de l’Alliance des gens, le Parti progressiste-conservateur occupe largement, tout seul, le centre droit. Le centre gauche est en revanche pris par les libéraux, les verts et les néodémocrates. Si les libéraux ne peuvent pas trouver de nouveau chef et se renouveler, les verts devraient poursuivre leur lancée au cours des prochaines années.