La tempête politique que subit le gouvernement de Justin Trudeau, fondée sur une soi-disant ingérence auprès de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada pour favoriser un « accord de réparation » avec la firme SNC-Lavalin, a pris l’allure d’une intervention de divers acteurs qui auraient fait des pieds et des mains pour tordre le bras d’une ministre très compétente mais naïve du cabinet fédéral.

Pourtant, on est loin d’affirmer, comme l’ont fait les partis d’opposition et comme l’ont repris les médias d’information sur un ton dramatique, que des personnes dans l’entourage du premier ministre aient agi de façon illégale, aient commis des actes scandaleux sous forme d’intimidation, de harcèlement et de manipulation frôlant même la corruption.

Que s’est-il passé ? L’enjeu est un de communication d’abord. En politique, les principes de communication exemplaire sont plus élastiques que dans le secteur privé. Les partis se disputent la faveur des électeurs sur la perception des enjeux, déployant alors des stratégies qui favorisent parfois plus la forme que le contenu. On monte en épingle une situation qui aurait des chances d’être perçue comme le scandale du siècle. La crise politique autour de l’affaire SNC-Lavalin s’inscrit dans cette logique. Et à mon avis, l’enjeu principal était un de communication interne d’abord.

Dans un contexte politique, il y a peu d’enjeux qui soient unidimensionnels. Un député, un ministre, le premier ministre et le greffier du Conseil privé, qui est chargé de réaliser le programme du parti au pouvoir dans l’administration, ont une responsabilité sacrée : celle de considérer les éléments sociaux, économiques, culturels, géographiques, éthiques, juridiques et politiques de toute mesure proposée par le gouvernement au pouvoir.

Un député, un ministre, le premier ministre et le greffier du Conseil privé ont une responsabilité sacrée : celle de considérer les éléments sociaux, économiques, culturels, géographiques, éthiques, juridiques et politiques de toute mesure proposée par le gouvernement au pouvoir.

Il est normal alors que s’exercent entre les ministres et le personnel politique du bureau du premier ministre (BPM) des pressions pour que le gouvernement tienne compte de toutes les dimensions d’un projet, dans le plus grand intérêt des Canadiens, où qu’ils habitent.

Un protocole de bonne communication doit être mis en place par le BPM pour que s’effectuent des échanges dynamiques entre les ministres, autour de la table du cabinet, entre le premier ministre et ses ministres, avec le greffier et à l’intérieur même du BPM où logent des stratèges aguerris en communication. Ce protocole doit être compris, respecté et suivi par tous les titulaires d’un ministère et leur personnel politique. En politique, ce protocole exige qu’un ministre accepte de recevoir des pressions de collègues sur les enjeux pour lesquels il a la principale responsabilité, au même titre qu’il le ferait si elles venaient d’électeurs et d’élus.

Le premier ministre Justin Trudeau est perçu par plusieurs comme étant un bon communicateur, qui se présente bien sur la scène internationale ; il se démarque de son prédécesseur par son besoin de se rapprocher des gens dans des bains de foule et des débats publics devant des citoyens ordinaires. Il n’est pas réticent à accepter des points de vue différents des siens tout en n’hésitant pas à répondre de ses convictions. De plus, il se prête aisément aux questions des journalistes dans ses déplacements ou quand une conférence de presse s’impose pour éclaircir des enjeux, souvent par un argumentaire proposé par les stratèges de son bureau.

L’affaire SNC-Lavalin nous fait poser la question suivante : comment un seul article du Globe and Mail sur une « ingérence indue et soutenue » du BPM selon une source anonyme peut-il créer une crise politique de l’envergure qu’on a observée en février et mars ?

Avec le recul et les témoignages des principaux acteurs dans cette saga, nous pouvons tirer quelques conclusions : d’abord, les partis de l’opposition à la Chambre des communes ont vu venir cette occasion tant rêvée en politique de créer une apparence de scandale en accusant le premier ministre d’entrave à la justice, de corruption politique et de malversation. Puis, les médias ont saisi la balle au bond en soutenant, sur toutes les plateformes à leur disposition, une crise politique, la décrivant parfois avec les termes utilisés par l’opposition. Cette affaire interpellait aussi les féministes et les Autochtones tout en touchant les relations entre le Québec et les autres provinces, ce qui pourrait aussi expliquer l’ampleur qu’elle a prise et l’exploitation qui en a été faite. Enfin, les témoignages des principaux acteurs, y compris celui du premier ministre en conférence de presse, ont révélé, à ce jour, qu’ingérence il y a eu, mais sous forme de pression politique attendue et normale, cherchant à attester que toutes les dimensions de l’enjeu pour ou contre un accord de poursuite suspendue avec SNC-Lavalin seraient prises en compte. Précisons que ces pressions se sont exercées dans les délais prescrits, la ministre de la Justice n’ayant pas épuisé la prescription qui lui aurait interdit d’infirmer la décision de la directrice des poursuites pénales.

L’aveu du premier ministre sur l’aspect des communications est révélateur et possiblement symptomatique d’un bris dans le protocole. Le BPM a l’équipe en place pour surveiller 24 heures sur 24 les moindres nuances d’une nouvelle ou d’une rumeur, suivre les rapports de force entre divers acteurs, modifier les messages en conséquence, préparer stratégiquement les annonces et les messages à transmettre au public directement et par la voie des médias d’information et les médias sociaux. Ce sont en somme l’ensemble des responsabilités d’une équipe de communication. Le chef de cabinet et le secrétaire principal du premier ministre entérinent les stratégies et dictent la marche à suivre.

De l’aveu même du secrétaire principal du premier ministre, l’antenne si soigneusement affûtée au BPM aurait manqué de vigilance dans les « conversations » entre les membres du bureau et, dans ce cas précis, le bureau de la ministre de la Justice et procureure générale. De plus, les stratèges du premier ministre, ou le premier ministre lui-même, auraient mal compris l’urgence de se prononcer rapidement et de façon substantielle sur cette question en répondant aux doutes grandissants qui s’installaient dans l’esprit du public. Durant trois semaines, les partis de l’opposition et les médias ont eu toute la latitude possible de formuler des théories, des suppositions, des insinuations, et ainsi de confirmer des allégations qui, avec le recul, ne seraient pas fondées sur les faits.

Tout ça pour dire que la transparence, comme principe de communication, a bien meilleure mine pour atténuer une crise potentielle lorsqu’elle sous-tend une stratégie éprouvée.

Photo : Le premier ministre Justin Trudeau donne une conférence de presse pour présenter sa version des faits dans l’affaire SNC-Lavalin, Théâtre national, Ottawa, le 7 mars 2019. La Presse canadienne / Justin Tang.


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Marcel Chartrand
Marcel Chartrand est consultant, administrateur de société et professeur à temps partiel au Département de communication de l’Université d’Ottawa. Il est coauteur (avec Lise Boily) du livre Conjuguer avec les médias : les défis inédits du relationniste (PUL 2017).

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