« J’ai fait beaucoup d’efforts pour comprendre le Québec et pour respecter ses priorités », a expliqué Stephen Harper quelques jours avant les élections du 14 octobre, pressentant déjà que ses efforts n’avaient pas été suffisants.

Le premier ministre faisait référence, bien sûr, à la reconnaissance de la nation québécoise par la Chambre des communes et aux correctifs apportés pour atténuer les effets du déséquilibre fiscal. Mais on pourrait aussi parler d’un respect accru du partage des compétences dans la fédération, auquel les gouvernements précédents ne nous avaient pas habitués.

En début de campagne, ces efforts ne semblaient pas vains, et les conservateurs pouvaient espérer faire des gains au Québec. En août et en septembre 2008, plusieurs sondages les plaçaient en tête, à égalité avec le Bloc, avec environ 30 p. 100 des intentions de vote.

Des commentateurs envisageaient même une déroute pour le Bloc, un parti apparemment ébranlé, tant par les ouvertures des conservateurs que par les difficultés de l’option souverainiste. Même parmi les souverainistes, des voix s’élevaient pour prédire le déclin du parti.

Jacques Brassard, notamment, ministre péquiste de 1994 à 2002, remettait carrément en question la pertinence du Bloc, en parlant d’un parti réduit à ressasser le « bric-à-brac idéologique de la gauche », à l’image du NPD, « cet archaïque parti socialiste canadien ». Brassard, comme bien d’autres, était convaincu que les idées de gauche utilisées par le Bloc étaient des vieilles « picouilles » qui n’avaient plus d’attrait pour les Québécois.

Les électeurs en ont décidé autrement. C’est en effet en menant une campagne à sa manière, en se positionnant clairement à gauche, que Gilles Duceppe a récolté 38 p. 100 des suffrages et 50 comtés, contre 22 p. 100 et 10 sièges pour les conservateurs, troisièmes derrière les libéraux.

En termes de votes, pour le Bloc, c’est un peu moins qu’en 2006, mais 38 p. 100, c’est encore un peu plus que l’appui obtenu par Stephen Harper dans tout le Canada.

Dans une analyse clairvoyante parue en début de campagne, JeanHerman Guay prenait le contre-pied de plusieurs critiques du Bloc en expliquant que, dans le contexte politique actuel, le parti devait forcément se positionner à gauche. La question nationale étant devenue moins préoccupante, seul l’axe droite-gauche différenciait encore fortement les partis. Or, au Québec, les conservateurs occupaient déjà la droite, alors qu’au centre et à gauche, la faiblesse des libéraux et du NPD laissait plus de place au Bloc.

Constatant cette nécessité stratégique, Guay envisageait malgré tout un recul pour le Bloc, sans toutefois prévoir « l’ampleur de la saignée ».

En annonçant plusieurs décisions, finalement mineures, qui les situaient clairement à droite, et en ne proposant presque rien de plus que leur bilan et leur chef pour les années à venir, les conservateurs ont sans doute donné un coup de pouce au Bloc.

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Mais il faut reconnaître aussi que la culture politique du Québec penche toujours à gauche. Les sondages à cet égard ne laissent guère de doute. Comparativement aux autres Nord-Américains, les Québécois sont plus favorables à l’égalité, à la redistribution, à l’aide au développement, au protocole de Kyoto, aux impôts et à l’intervention de l’État.

Jean Charest a d’ailleurs fini par comprendre cela, à son grand avantage. Après un premier mandat cahoteux, où la moindre amorce de réforme soulevait des soupçons, il a bien vu qu’il valait mieux gouverner au centre, voire même à gauche du centre.

Les impôts ont été réduits et les libéraux québécois préconisent toujours les partenariats public-privé, mais ils ne remettent plus directement en question les grandes institutions publiques et, quand c’est possible, recherchent l’appui des syndicats et des mouvements sociaux, pour lancer un Pacte pour l’emploi, par exemple.

Depuis ce virage, l’ADQ s’est effondrée et le Parti québécois se cherche.

Stephen Harper a peut-être fait « beaucoup d’efforts pour comprendre le Québec et pour respecter ses priorités », mais il n’a pas compris, ou n’a pas voulu comprendre, que l’électorat qu’il cherche à rejoindre n’est pas seulement nationaliste, mais aussi un peu à gauche du centre.

Ce penchant n’est pas toujours évident ou facile à décoder. Mais le chef conservateur aurait mieux fait de parler un peu moins à Mario Dumont et à son entourage et un peu plus à Jean Charest.

Gilles Duceppe, lui, a compris d’instinct. Et il nous a rappelé que le nationalisme québécois contemporain demeure ancré dans une certaine vision de la social-démocratie.

Au début de la campagne électorale, je n’étais pas certain de saisir le slogan « Présent pour le Québec », qui me semblait un peu vide. En fin de compte, c’était peut-être un bon slogan. Le Bloc, en effet, a été le seul parti à vraiment rejoindre le Québec, tel qu’il est, au présent. Les autres partis devront en prendre note. Au Parti québécois également, il faudra se rappeler que le nationalisme des Québécois se conjugue encore bien avec des orientations social-démocrates.

Alain Noël
Alain Noël is a professor of political science at the Université de Montréal. He is the author of Utopies provisoires: essais de politiques sociales (Québec Amérique, 2019).

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