(La liste des 21 signataires suit l’article.)

L’une des principales recommandations du rapport accablant de la coroner Géhane Kamel sur les décès survenus au CHSLD Herron était que le gouvernement accorde à son directeur national de santé publique une indépendance totale et « sans contraintes politiques ».

La coroner Kamel a vivement dénoncé ce manque d’indépendance, qui pourrait avoir entraîné des milliers de décès dans les centres de soins de longue durée.

Début janvier 2022, le Collège des médecins a lui aussi exigé que la santé publique soit libre de toute ingérence politique, ajoutant que ses avis doivent être « basés sur la science ».

La direction nationale de santé publique a-t-elle beaucoup changé depuis le début de l’année 2022 ?

Une évaluation exhaustive dépasse le cadre de cet article, mais les déclarations fallacieuses, non appuyées et inexactes sont encore trop fréquentes.

Par exemple, dans une déclaration soigneusement formulée, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a affirmé que le masque N95 n’est pas meilleur qu’un masque médical ordinaire sur les lieux de travail, comme les écoles, contredisant ainsi les avis des meilleurs experts.

Conséquemment, le Québec a refusé – allant même jusqu’à interdire – l’utilisation des N95 par les travailleuses de la santé, les enseignantes et les éducatrices dans les garderies (toutes des professions principalement féminines).

Il y a aussi cette infantilisation constante de la population par des messages paternalistes, par exemple à l’effet que le port d’un masque N95 serait trop difficile pour le Québécois moyen. En comparaison, aux États-Unis, la Maison-Blanche a décidé de fournir gratuitement 400 millions de masques aux adultes américains.

Pourquoi le gouvernement du Québec a-t-il si peu confiance aux capacités de ses propres citoyens ?

Les responsables de la santé publique du Québec nous ont dit que les purificateurs d’air dans les écoles « peuvent être dangereux », une affirmation farfelue. Le gouvernement a donc refusé de permettre aux écoles d’installer des purificateurs d’air, ce qui contraste fortement avec les décisions prises par d’autres gouvernements.

L’Ontario a adopté une approche plus proactive et judicieuse, en investissant 650 millions de dollars pour installer des échangeurs d’air et des purificateurs d’air dans chaque établissement scolaire. Les États-Unis, eux, ont affecté la somme stupéfiante de 500 milliards de dollars à l’amélioration de la ventilation dans les écoles et autres lieux publics. D’autres pays ont également fait de la ventilation dans les lieux publics une priorité absolue.

La question qui tue : pourquoi le Québec ne suit-il pas l’évolution de la science ?

Depuis le début de la pandémie, la mortalité associée à la COVID-19 a été plus élevée au Québec qu’ailleurs au Canada, touchant surtout des personnes âgées et plus vulnérables. Entre le 1er janvier et le 13 juillet 2022, 3866 décès liés à la COVID-19 ont été signalés au Québec, soit 530 de plus que pour toute l’année 2021. C’est d’autant plus triste que bon nombre de ces décès auraient pu être évités grâce à une gestion du risque efficace et fondée sur la science.

La recommandation du directeur de la santé publique, Dr Luc Boileau, basée sur un « risque calculé », de lever l’obligation de porter un masque dans les transports en commun le 18 juin est peut-être populaire, après deux ans de restrictions sanitaires. Cependant, elle abandonne les personnes âgées et les plus vulnérables, une fois de plus.

Le conseil de Dr Boileau selon lequel chacun « devrait gérer son propre risque » est totalement déconnecté de la réalité quotidienne à laquelle sont confrontés les plus vulnérables, notamment les personnes à faible revenu, qui n’ont pas d’autre moyen de transport pour se rendre au travail, qui vivent dans des familles multigénérationnelles, qui doivent se rendre à des rendez-vous médicaux, etc.

Ce n’est pas acceptable qu’on contraigne nos plus vulnérables à vivre en ermites.

Pourquoi n’a-t-on pas mis à leur disposition des options telles que des voitures de métro ou des autobus désignés avec le port obligatoire du masque ou des heures spéciales dans les magasins avec masques N95 gratuits ?

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L’une des pierres angulaires de la santé publique est la protection des plus vulnérables, afin que personne ne soit jamais laissé derrière.

Recommander à chacun de « gérer son propre risque », peu importe sa condition, représente une discrimination flagrante à l’égard des personnes âgées et vulnérables à un moment critique, alors que des experts sonnent l’alarme à propos d’une résurgence imminente de la COVID, aggravée par un système de soins de santé au bord de l’effondrement.

Le Dr Boileau soutient que « les perspectives de croissance (de COVID-19) étaient très faibles ». Tout le monde n’est pas d’accord avec cette déclaration.

Le journaliste Patrick Déry l’a qualifiée de « manifestement inexacte », notant que dès le 10 juin, la hausse était déjà bien amorcée, comme le montraient plusieurs indicateurs, notamment le taux de positivité des tests PCR en hausse de 10 % et des tests autodéclarés en hausse de 12 % en une semaine.

En outre, la proportion des sous-variants BA 2.12.1, BA.4 et BA.5 dans le total des cas séquencés a été multipliée par près de douze en un peu plus d’un mois, passant de moins de 6 % le 8 mai, à 69,4 % le 12 juin.

Le 29 juin, moins de deux semaines après la levée de l’obligation de porter un masque dans les transports en commun et en contradiction avec la déclaration de M. Boileau, son expert Dr Jean Longtin, microbiologiste-infectiologue, a admis lors d’une conférence de presse conjointe avec M. Boileau qu’il fallait s’attendre à une recrudescence.

Les nouveaux sous-variants étant aussi transmissibles, l’empressement à lever l’obligation de porter un masque le week-end du Grand Prix du Canada, alors que les autobus et le métro sont bondés de passagers et de touristes, défie l’entendement et viole le principe fondamental de précaution en matière de santé publique.

Puisque la vague actuelle pose un risque important d’infection, un message clair et sans équivoque est essentiel : on doit implorer chacun de porter un masque dans les espaces clos et bondés – pas parce que c’est obligatoire, mais parce que cela vous protégera et que c’est aussi un geste de solidarité et d’attention envers les autres.

Nous n’entendons toujours pas ce message de la part de la santé publique.

La santé publique ne peut pas jouer son rôle si elle est guidée par l’influence politique plutôt que par la science.

Elle devrait utiliser sa position privilégiée pour dire la vérité au politique. Malheureusement, des affirmations sans fondement, des recommandations erronées et un silence assourdissant ont miné sa crédibilité.

En santé publique, la population est le patient et, comme dans le domaine clinique, le patient a le droit de demander une deuxième opinion si la première n’est pas satisfaisante.

Le Québec a besoin d’une santé publique indépendante, mais ce n’est pas possible à l’intérieur des structures politiques actuelles.

Une solution pourrait être de créer une table scientifique indépendante, libre de toute ingérence gouvernementale et composée d’experts de différents domaines, semblable au comité consultatif scientifique COVID-19 de l’Ontario. Le gouvernement et ses médecins de santé publique devraient être tenus d’écouter et de répondre à ses commentaires et recommandations.

De plus, le Collège des médecins du Québec doit assumer un rôle plus proactif et s’acquitter de sa responsabilité d’assurer une santé publique de qualité, en utilisant tous les moyens à sa disposition.

À en juger par sa gestion de la pandémie de COVID-19, le Québec n’est pas prêt pour le prochain variant, ni pour la prochaine pandémie aéroportée.

« L’indifférence et les (mauvais) calculs tuent », – Volodymyr Zelenskyy, président de l’Ukraine.

  • Michael Levy, MPH, spécialiste en santé environnementale et épidémiologiste
  • Stéphane Bilodeau, ing., Ph.D., Fellow d’Ingénieurs Canada, expert indépendant, chargé de cours au département de bio-ingénierie de l’Université McGill, et coordonnateur du groupe de travail sur la qualité de l’air intérieur, World Health Network
  • Simon Smith, Ph.D. ARCS CChem FRSC(U.K.), chercheur en développement de filtres de respirateurs (retraité), ancien président de la Société internationale pour la protection respiratoire
  • Michel Camus, Ph.D., épidémiologiste et expert en analyse des risques
  • Marie Jobin, D.Ps. psychologie organisationnelle
  • Marie-Claude Letellier, M.D., M.Sc., Mcb.A. microbiologiste et médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive
  • Dre Joanne Liu, professeure à l’École de santé des populations et de santé mondiale de l’Université McGill
  • David Juncker, professeur et directeur du département de génie biomédical de l’Université McGill
  • Nimâ Machouf, PhD, épidémiologiste, consultant en maladies infectieuses et chargée de cours à l’École de santé publique, Université de Montréal
  • André Veillette, MD, immunologiste, Institut de recherches cliniques de Montréal
  • Jérôme Lavoué, professeur, École de santé publique, Université de Montréal
  • Denis Bégin, conseiller principal de recherche, ESPUM, Université de Montréal
  • Richard Massicotte, M.Sc., Ph.D., chercheur spécialisé en désinfection des soins de santé
  • Pierre Chevalier, Ph.D., microbiologiste, Institut de santé publique du Québec (retraité)
  • Louis L. Grenier, ing. M.Sc., conception d’aéronefs, membre OIQ
  • Marc-André Lavoie, M.Sc., ROH
  • Luc Bhérer M.D., spécialiste en médecine du travail
  • Annie-Danielle Grenier, communicatrice en maladies rares et patiente partenaire
  • Lyne Filiatrault, médecin (retraitée)
  • Maximilien Debia, professeur associé, École de santé publique, Université de Montréal
  • Daron Basmadjian, pharmacien

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