Début juin, le gouvernement fédéral a annoncé un soutien unique et non imposable pour les bénéficiaires du crédit d’impôt pour personnes handicapées (CIPH), visant à réduire les obstacles financiers que peut entraîner une situation de handicap durant la pandémie. Or le projet de loi à ce sujet n’a pas reçu le consentement unanime nécessaire pour être débattu à la Chambre des communes. De nombreuses personnes handicapées se retrouvent ainsi sous les tirs croisés des partis politiques et sans soutien immédiat. Toutefois, le problème bien connu de l’accès au CIPH justifie les préoccupations soulevées par l’opposition sur l’équité de la mesure en question.
On estime que dans certaines provinces, moins de 40 % des personnes atteintes d’incapacités sont admissibles au CIPH suivant les critères appliqués par l’Agence du revenu du Canada (ARC).
Pour plusieurs raisons, les personnes handicapées méritent une attention particulière dans le cadre des programmes mis sur pied durant la pandémie. Elles forment un groupe diversifié aux expériences et aux besoins variés, mais elles sont nombreuses à courir un risque élevé de contracter la COVID‑19 et de subir de graves complications. En outre, quelques mesures d’intervention posent des obstacles pour elles, notamment en ce qui concerne la transmission des messages de la santé publique, le contrôle de l’infection et l’accessibilité des services sociaux et de santé.
Pour contrebalancer certaines de ces embûches ainsi que les dépenses qu’elles engendrent pour les personnes handicapées, le gouvernement fédéral avait prévu verser aux détenteurs d’un certificat pour le CIPH un montant unique de 600 dollars (il est de 300 dollars pour ceux qui bénéficient en outre de la Sécurité de la vieillesse, et de 100 dollars pour ceux qui reçoivent le CIPH, la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti). Cette aide est maintenant bloquée. Mais le hic, c’est qu’un grand nombre de personnes handicapées qui devraient avoir droit à cette prestation ne sont pas bénéficiaires du CIPH et ne recevraient aucune aide additionnelle.
Le problème réside dans la conception même du CIPH, et le versement de l’aide n’aurait pas dû reposer sur ce programme. Pourtant, le gouvernement est bien au courant de ses lacunes.
Le CIPH, un crédit d’impôt non remboursable, a été conçu dans le but d’alléger les dépenses que peut entraîner une incapacité grave. Il sert aussi de filtre ou de « passerelle » vers d’autres programmes et services s’adressant aux personnes handicapées.
En principe, le CIPH pourrait être un moyen efficace d’administrer l’aide promise. Or la pandémie a fait ressortir les problèmes de longue date qui minent sa fonction de porte d’entrée, notamment les critères d’admissibilité et d’évaluation des dossiers, la complexité du processus de demande, et les lacunes en matière de communication et de coordination avec d’autres programmes de soutien.
Les problèmes du CIPH et la nécessité de le réformer sont très bien documentés. En 2018, nous avons analysé la participation au CIPH dans un rapport publié par la School of Public Policy de l’Université de Calgary. La même année, un comité du Sénat a tenu auprès des intervenants du milieu des consultations qui ont mené à la publication du rapport « Éliminer les obstacles », dans lequel il presse le fédéral de réformer le CIPH.
Pour y donner suite, le gouvernement a rétabli le Comité consultatif des personnes handicapées. Son rôle consiste à conseiller la ministre du Revenu national Diane Le Bouthillier et le commissaire de l’ARC sur la réforme du CIPH. Le Comité a rédigé un excellent document intitulé « Favoriser l’accès aux mesures fiscales pour les personnes handicapées », qui fait état des « préoccupations très variées » des demandeurs du CIPH, des bénéficiaires actuels et des professionnels de la santé.
Depuis lors, ce dossier a peu progressé. Et en ces temps difficiles, les personnes handicapées font les frais de cette inaction. Le gouvernement dispose-t-il d’autres moyens pour leur venir en aide ?
Une solution de rechange consisterait à fournir l’aide fédérale en passant par des programmes provinciaux en matière de handicap. Celle-ci ne serait versée qu’aux personnes admissibles à ces programmes, qui sont souvent fondés sur le niveau de revenu.
Par ailleurs, les personnes handicapées inscrites à un programme provincial d’aide au revenu sont jugées inadmissibles à la Prestation canadienne d’urgence (PCU) de 500 dollars par semaine, ou encore, elles ont vu leur subvention réduite, selon leur province de résidence. Ce qui signifie que la plupart reçoivent un montant largement inférieur à celui qu’obtiennent les bénéficiaires de la PCU. La situation varie d’une province à l’autre. Pourquoi les personnes handicapées devraient-elles recevoir un soutien inférieur à celui dont bénéficie tout autre citoyen durant la pandémie ?
En tant que signataire de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies et de ses principes directeurs, le gouvernement fédéral s’est engagé à promouvoir l’égalité des chances des personnes en situation de handicap. L’idée d’offrir une prestation unique mais inaccessible pour une bonne part d’entre elles n’est certes pas un bon moyen de remplir cet engagement.
L’idée d’offrir une prestation unique aux personnes handicapées mais inaccessible pour une bonne part d’entre elles n’est certes pas un bon moyen de remplir l’engagement du gouvernement à promouvoir l’égalité des chances pour elles.
Bien que la réforme d’un crédit d’impôt peut sembler de moindre importance durant une urgence sanitaire, elle figure au sommet des priorités pour les nombreuses personnes handicapées qui ne recevront pas l’aide financière nécessaire pour subvenir à leurs besoins.
Il est grand temps de donner suite aux recommandations sur le CIPH ou d’élaborer un nouveau mécanisme de détermination de l’accessibilité au programme qui permettra de réduire les obstacles pour les personnes en situation de handicap.
En attendant, il faut trouver un moyen d’offrir aux personnes handicapées une aide d’urgence à laquelle elles pourront véritablement accéder. Ce n’est pas une question de charité ni de partisanerie ; c’est de la bonne politique publique.
Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.